vendredi 30 octobre 2015

Disparition d'un colonel démocrate [Actu]

Couverture de l'autobiographie de Horacio Ballester

Le colonel en retraite Horacio Ballester est décédé samedi dernier, il y a près d'une semaine, à l'âge de 88 ans. Péroniste à partir de 1950, après sa rencontre avec le général, alors président de la Nation depuis quatre ans, il a résisté au terrorisme d'Etat pratiqué par un trop grand nombres d'officiers, sous prétexte d'une obéissance dûe (obediencia debida), pendant la dernière dictature militaire, de 1976 à 1983.

Après le retour à la démocratie, marqué par l'élection de l'avocat et militant des droits de l'homme Raúl Alfonsín, Horacio Ballester fonde, avec une poignée de camarades, une ONG baptisée CEMIDA, pour Centro de Militares para la Democracia (1), le 15 novembre 1984. Ce petit noyau s'était connu et apprécié en 1972, lorsqu'ils avaient ensemble monté une mutinerie militaire afin de renverser l'un des dictateurs d'alors, le général Alejandro Lanusse. En vain. Ils furent arrêtés, révoqués de l'armée et envoyés en prison, d'où ils sortirent plus résolus que jamais à en finir avec les dictatures militaires. Ils furent réintégrés par la suite et purent reprendre leur carrière d'active avant de bénéficier de la retraite des officiers.

Et pourtant son parcours aurait pu prendre une toute autre tournure, puisque le jeune officier, entré dans l'armée en 1943, l'année du putsch du GOU (2), avait participé en 1966 à une tentative de renversement d'un président constitutionnel, Arturo Illía, ce qu'il avoua être plus tard la pire erreur de sa vie.

A partir de 1984, avec ses camarades il s'évertua de ramener dans les principes démocratiques l'ensemble des militaires, qui avaient beaucoup de mal à accepter ce nouveau principe, en travaillant sur les structures et la formation professionnelle. Ils ont dû lutter contre l'état d'esprit qui régnait alors dans le commandement et qui ne permettait pas facilement d'adopter un discours alternatif.

Les membres du CEMIDA soutinrent les procès contre les criminels de la Dictature intentés sous la présidence Alfonsín puis leur reprise sous Néstor Kirchner, après les lois d'amnistie et d'interdiction des poursuites adoptées sous Carlos Menem. Lui-même porta témoignage dans plusieurs procès.


Sa mort n'a pas donné lieu à une grosse couverture médiatique. Je n'ai trouvé des articles que sur Página/12 et Télam.

Il va sans dire que le nom de cet homme trouble toujours les milieux militaristes qui n'ont pas tous, loin de là, dépassé le conflit éthico-politique né de la tradition des coups d'Etat militaires en Argentine depuis 1930, une tradition qui remonte toutefois plus haut encore dans l'histoire du pays (3). L'armée quant à elle semble bien avoir pu dépasser cette épreuve et être maintenant devenue un instrument de la défense d'un Etat démocratique, même si elle n'assume pas encore ces épisodes (très récents) de son passé. Il est probable qu'il faudra au moins deux générations, voire trois pour que ce passé puisse être regardé en face par les forces armées.

Horacio Ballester est l'un des témoins de la série documentaire sur les droits de l'homme produit par Canal Encuentro et le Centro Cultural de la Memoria Haroldo Conti, Somos memoria (nous sommes mémoire), actuellement diffusé le samedi sur le canal culturel de la télévision publique (sous la tutelle du Ministère de l'Education national).

Pour aller plus loin :
visionner l'épisode consacré à Horacio Ballester de Somos Memoria sur le site de Canal Encuentro.



(1) Centre des militaires pour la Démocratie.
(2) Groupement des Officiers Unis dont était Perón et qui mit fin à la Década Infame, le régime anticonstitutionnel, très favorable aux puissances de l'Axe à ses débuts (Allemagne, Italie, Japon), et qui était alors sur le point de céder aux Etats-Unis et de faire entrer l'Argentine dans le conflit mondial. Voir le Vademecum historique dans la partie médiane de la Colonne de droite.
(3) Voir à ce sujet mes deux ouvrages sur le général José de San Martín (1778-1850), San Martín à rebours des conquistadors et San Martín par lui-même et par ses contemporains (Editions du Jasmin). Le Père de la Patrie, comme on l'a surnommé, s'était toujours viscéralement et rationnellement opposé aux gouvernements militaires, au moins en temps de paix, comme aux coups d'Etat or ce n'est pas ce qui a manqué avant l'adoption en Argentine d'une constitution, celle rédigée sous l'inspiration de Juan Bautista Alberdi (San Miguel de Tucumán 1810 – Nanterre, France, 1884). San Martín aspirait à la mise en place d'institutions politiques dotées d'une stabilité toute britannique, républicaines ou monarchiques, peu lui important, puisque la Grande-Bretagne avait été au début du XIXème siècle le seul pays à avoir traversé la tourmente révolutionnaire et napoléonienne en gardant intact son régime parlementaire, avec la même liberté pour les individus, le monde du livre et de la presse. Malgré ce positionnement sanmartinien, les coups d'Etat militaires en Argentine se sont toujours recommandés de l'héritage de ce général qui occupe la première place dans le panthéon national argentin.