Couverture de l'autobiographie de Horacio Ballester |
Le colonel en retraite Horacio Ballester est décédé samedi dernier, il y a près d'une semaine, à l'âge de 88 ans. Péroniste à partir de 1950, après sa rencontre avec le général, alors président de la Nation depuis quatre ans, il a résisté au terrorisme d'Etat pratiqué par un trop grand nombres d'officiers, sous prétexte d'une obéissance dûe (obediencia debida), pendant la dernière dictature militaire, de 1976 à 1983.
Après le retour à la démocratie,
marqué par l'élection de l'avocat et militant des droits de l'homme
Raúl Alfonsín, Horacio Ballester fonde, avec une poignée de
camarades, une ONG baptisée CEMIDA, pour Centro de Militares para la
Democracia (1), le 15 novembre 1984. Ce petit noyau s'était connu et
apprécié en 1972, lorsqu'ils avaient ensemble monté une mutinerie
militaire afin de renverser l'un des dictateurs d'alors, le général
Alejandro Lanusse. En vain. Ils furent arrêtés, révoqués de
l'armée et envoyés en prison, d'où ils sortirent plus résolus que
jamais à en finir avec les dictatures militaires. Ils furent
réintégrés par la suite et purent reprendre leur carrière
d'active avant de bénéficier de la retraite des officiers.
Et pourtant son parcours aurait pu
prendre une toute autre tournure, puisque le jeune officier, entré
dans l'armée en 1943, l'année du putsch du GOU (2), avait participé
en 1966 à une tentative de renversement d'un président
constitutionnel, Arturo Illía, ce qu'il avoua être plus tard la
pire erreur de sa vie.
A partir de 1984, avec ses camarades il
s'évertua de ramener dans les principes démocratiques l'ensemble
des militaires, qui avaient beaucoup de mal à accepter ce nouveau
principe, en travaillant sur les structures et la formation
professionnelle. Ils ont dû lutter contre l'état d'esprit qui
régnait alors dans le commandement et qui ne permettait pas
facilement d'adopter un discours alternatif.
Les membres du CEMIDA soutinrent les
procès contre les criminels de la Dictature intentés sous la
présidence Alfonsín puis leur reprise sous Néstor Kirchner, après
les lois d'amnistie et d'interdiction des poursuites adoptées sous
Carlos Menem. Lui-même porta témoignage dans plusieurs procès.
Sa mort n'a pas donné lieu à une
grosse couverture médiatique. Je n'ai trouvé des articles que sur
Página/12 et Télam.
Il va sans dire que le nom de cet homme
trouble toujours les milieux militaristes qui n'ont pas tous, loin de
là, dépassé le conflit éthico-politique né de la tradition des
coups d'Etat militaires en Argentine depuis 1930, une tradition qui
remonte toutefois plus haut encore dans l'histoire du pays (3).
L'armée quant à elle semble bien avoir pu dépasser cette épreuve
et être maintenant devenue un instrument de la défense d'un Etat
démocratique, même si elle n'assume pas encore ces épisodes (très
récents) de son passé. Il est probable qu'il faudra au moins deux
générations, voire trois pour que ce passé puisse être regardé
en face par les forces armées.
Horacio Ballester est l'un des témoins
de la série documentaire sur les droits de l'homme produit par Canal
Encuentro et le Centro Cultural de la Memoria Haroldo Conti, Somos
memoria (nous sommes mémoire), actuellement diffusé le samedi sur le canal culturel de la
télévision publique (sous la tutelle du Ministère de l'Education
national).
Pour aller plus loin :
consulter le site Internet du CEMIDA
visionner l'épisode consacré à Horacio Ballester de Somos Memoria sur le site de Canal Encuentro.
(1) Centre des militaires pour la
Démocratie.
(2) Groupement des Officiers Unis dont
était Perón et qui mit fin à la Década Infame, le régime
anticonstitutionnel, très favorable aux puissances de l'Axe à ses
débuts (Allemagne, Italie, Japon), et qui était alors sur le point
de céder aux Etats-Unis et de faire entrer l'Argentine dans le
conflit mondial. Voir le Vademecum historique dans la partie médiane de la Colonne de droite.
(3) Voir à ce sujet mes deux ouvrages
sur le général José de San Martín (1778-1850), San Martín à
rebours des conquistadors et San Martín par lui-même et par ses
contemporains (Editions du Jasmin). Le Père de la Patrie, comme on
l'a surnommé, s'était toujours viscéralement et rationnellement
opposé aux gouvernements militaires, au moins en temps de paix,
comme aux coups d'Etat or ce n'est pas ce qui a manqué avant
l'adoption en Argentine d'une constitution, celle rédigée sous
l'inspiration de Juan Bautista Alberdi (San Miguel de Tucumán 1810 –
Nanterre, France, 1884). San Martín aspirait à la mise en place
d'institutions politiques dotées d'une stabilité toute britannique,
républicaines ou monarchiques, peu lui important, puisque la
Grande-Bretagne avait été au début du XIXème siècle
le seul pays à avoir traversé la tourmente révolutionnaire et
napoléonienne en gardant intact son régime parlementaire, avec la
même liberté pour les individus, le monde du livre et de la presse.
Malgré ce positionnement sanmartinien, les coups d'Etat militaires
en Argentine se sont toujours recommandés de l'héritage de ce
général qui occupe la première place dans le panthéon national
argentin.