Il
y a dix jours, alors que je me trouvais à Saint-Dié des Vosges au Festival international de Géographique (FIG), la documentariste d'origine
nord-américaine Caroline Neal, le Maestro Horacio Salgán et son
fils, le désormais pianiste César Salgán, ont accepté de donner
une interview à Página/12 à l'occasion de la sortie d'un nouveau
film documentaire, Salgán & Salgán (85 minutes couleurs), autour de
ce duo musical père-fils, un long métrage qu'ils ont tous les deux
déclaré ne pas avoir vu et ne pas vouloir voir. Ils se
reconnaissent très timides et réservés ! Il a d'ailleurs
fallu à la cinéaste beaucoup de patience pour obtenir leur
participation : “Mi
trabajo de convencerlos para filmarlos fue de hormiguita” : "mon travail pour les convaincre de se laisser filmer a été un petit travail de fourmi", dit-elle dans cette interview à Página/12 au
lendemain de la première projection, le 2 octobre dernier.
Le
film est en effet sorti au Malba (le musée d'art moderne de Buenos
Aires à Palermo), le 1er octobre, et il y est projeté tout le mois, chaque vendredi, ainsi que à des dates diverses dans
d'autres salles un peu partout dans la capitale fédérale et les provinces.
Une des pages culturelles de Página/12 (édition du 2 octobre 2015) |
Extraits
d'une interview où les deux hommes ont beaucoup plaisanté comme
font souvent les timides pour éviter de se livrer :
–¿Cómo
surgió "Salgán & Salgán"?
Caroline
Neal: –Yo
iba a filmar el backstage de una entrevista, era algo muy chiquito.
Pero enseguida vi que hay una relación muy interesante entre ellos,
algo había ahí. Después sumamos a Alberto Muñoz, que trabajó en
el guión. Sentimos que era un material muy rico, por lo que es cada
uno y por la relación entre padre e hijo.
Página/12
- Comment
est né Salgán & Salgán ?
Caroline
Neal : J'allais filmer les coulisses d'une entrevue, un tout petit truc. Mais tout de suite, j'ai vu qu'il y avait une relation
très intéressante entre eux, là il y avait quelque chose. Ensuite nous
avons fait équipe avec Alberto Muñoz, qui a travaillé sur le
scénario. Nous avons compris que c'était un matériel très riche,
en ce qui concerne chacun d'eux et à cause de la relation entre père
et fils.
(Traduction
©
Denise
Anne Clavilier)
Horacio
Salgán: –Pero
nadie sabe quién es el padre y quién el hijo (risas).
César
Salgán: Hace
poco fui a hacer un trámite. “¿Cómo se llama usted? Salgán.
“¿Es algo del maestro?” Sí. “¡Ah, ya me parecía que era el
hermano!” Y después me quedé pensando: ¡A lo mejor creía que
era el hermano mayor! (risas).
Página/12
Horacio
Salgán : Mais personne ne sait qui est le père et qui est le
fils (rires).
César
Salgán : Il y a peu je suis allé faire des démarches
administratives. Comment vous appelez-vous ? Salgán. Vous êtes parent avec le musicien ? Oui. C'est donc ça, j'avais l'impression que vous étiez son frère ! Après, je me suis dit : Si ça se trouve, elle croyait que
j'étais le frère aîné ! (rires).
(Traduction
©
Denise
Anne Clavilier)
[…]
C.S.: –Conociéndolo
a mi papá, no sé cómo hizo Caroline para convencerlo, realmente.
Porque él nunca fue de hablar y menos de cosas íntimas. De cosas
musicales puede ser, pero de temas personales, jamás. ¡Si hasta
logró filmarlo cuando yo le cortaba el pelo! A alguien que nunca fue
afecto a dar entrevistas, por exceso de timidez, a alguien tan
reservado... Si me lo cuentan, no les creo. Es que Caroline en un
momento llegó a ser uno más. Sin darnos cuenta, se armó una linda
relación entre los tres.
Página/12
César
Salgán : Tel que je connais mon père (1), je ne sais pas
comment Caroline s'y est prise pour le convaincre, je vous assure.
Parce qu'il n'a jamais été homme à parler et encore moins
d'affaires intimes. D'affaires musicales, je ne dis pas mais sur le
plan personnel, jamais. Elle est même arrivée à le filmer pendant
que je lui coupais les cheveux ! Quelqu'un qui n'a jamais couru
après les interviews, par excès de timidité, quelqu'un de si
réservé... Si on me le racontait, je ne le croirais pas. C'est que
Caroline est arrivée à un moment à être l'une des nôtres. Sans
que nous nous en rendions compte, c'est une belle relation qui s'est
tissée entre nous trois.
(Traduction
©
Denise
Anne Clavilier)
[...]
–¿Y
por qué no vieron la película?
H.
S.: –Porque
yo no lo quiero ver a él, y él no me quiere ver a mí (risas).
–¿No
me va a contestar nada en serio?
H.
S.: –Yo
podría haber hecho una gran cantidad de películas, aunque sean
breves, pero podría haber hecho muchas cosas. Pero no, nunca me
llamó la atención. No me gusta. No me interesa.
C.
S.: –Inclusive,
si le hacían una nota o estaba en un programa de televisión, él se
quedaba con la imagen de lo que había hecho, pero no quería verlo
después. Si yo le digo “van a pasar un programa tuyo por
televisión”, él no lo mira.
Página/12
- Et
pourquoi n'êtes-vous pas allés voir le film ?
Horacio
Salgán : Parce que je ne veux pas aller le voir lui et lui il
ne veut pas aller me voir, moi (rires)
- Vous
ne voulez vraiment pas être sérieux et me répondre ?
Horacio
Salgán : Moi, j'aurais pu faire des tas de films, fût-ce des
films courts, mais j'aurais pu faire beaucoup de choses. Mais non, ça
ne m'a jamais intéressé. Je n'aime pas ça. Ça ne m'intéresse
pas.
César
Salgán : Et même quant on l'interviewait ou qu'il participait
à une émission de télévision, il restait sur l'impression de ce
qu'il avait fait mais il ne voulait pas le voir après. Si je lui
dis : on va diffuser une émission avec toi à la télévision,
il ne la regarde pas.
(Traduction
©
Denise
Anne Clavilier)
[...]
C.
N.: –¡Es
igual, en todo! (Risas.) César dice que no quiere ver una actuación
suya filmada, porque él tiene un recuerdo lindo de cómo sonó y
cuando lo ve filmado nunca es igual, saca esa gloria de la memoria.
C.
S.: –Lo
que creo es que a veces uno arriba del escenario, como en cosas de la
vida, siente ciertas emociones. Entonces a veces después de una
actuación, uno se queda con que fue una noche mágica, por el
público, por la música. Se queda con esa imagen y después por ahí
ve el video, y no fue tan así como uno lo sintió. Entonces tengo
miedo de arruinar un recuerdo.
–También
podría suceder al revés...
C.
S.: –Sí,
pero hay muchos momentos que prefiero guardar como los viví y no
volver a verlos. A él (Horacio) le pasó cuando grabó “Boedo”:
pensó que había salido mal y no lo quería escuchar.
H.
S.: –Tengo
la imagen mía tocando el piano, que actuando fue horrible.
Página/12
Caroline
Neal : Et c'est pareil pour tout ! [rires]. César dit
qu'il ne veut pas voir un de ses spectacles à l'écran parce qu'il a
un bon souvenir de la manière dont ça sonnait et quand il le voit à
l'écran, ce n'est jamais pareil. Cela lui vole ce que le souvenir a de beau.
César
Salgán : Ce que je crois, c'est que parfois on monte sur la
scène, comme dans la vie, on ressent telles ou telles émotions. Et
alors parfois, après le spectacle, on reste sur l'impression d'une
nuit de magie, grâce au public, grâce à la musique. On reste sur
cette impression-là et après on voit la vidéo et ce n'est pas
comme ce qu'on a ressenti. Du coup, j'ai peur d'abîmer le souvenir.
- Le contraire pourrait aussi se passer...
César
Salgán : D'accord, mais il y a plein de moments que je préfère
garder tels que je les ai vécus sans les revoir. Pour lui
(Horacio), ça lui est arrivé quand il a enregistré Boedo : il
a cru que le résultat était mauvais et il ne voulait pas l'écouter.
Horacio
Salgán : J'ai toujours cette impression de moi au piano, que je
jouais et que c'était horrible.
(Traduction
©
Denise
Anne Clavilier)
C.
S.: –Cuando
él grabó “Boedo” con la orquesta, en ese momento no se podía
escuchar la grabación, había que esperar a que saliera el disco. Y
él se quedó con la idea de que había una parte que no había
tocado bien. Y no lo quiso volver a escuchar. Hasta que un día lo
escuchó en un taxi y se dio cuenta de que no lo había tocado tan
mal. Entonces sí, pueden pasar las dos cosas. Pero no estoy
acostumbrado a verme, ni siquiera en fotos. Por ahí veo una foto mía
en Facebook y la saco del muro, porque no la quiero ver. Imagínense
en una película que habla de mí...
–¿Y
la directora qué opina?
C.
N.: –Filmamos
durante tanto tiempo, tantas cosas y tantas horas de material y
charla, y resulta que elegí pedacitos de todo eso. Y verlo después
así, digamos, destilado a su esencia, tal vez sería una experiencia
muy fuerte. Tal vez sería shockeante para dos personas tan
reservadas.
Página/12
César
Salgán : Quand il a enregistré Boedo avec son orchestre, à ce
moment-là il ne pouvait pas écouter l'enregistrement, il fallait
attendre que le disque sorte. Et il est resté avec cette idée qu'il
y avait un endroit où il n'avait pas bien joué. Et il n'a pas voulu
le réécouter. Jusqu'à ce jour où il l'a entendu dans un taxi et
il s'est rendu compte qu'il n'avait pas joué si mal. Alors c'est
vrai, les deux choses peuvent arriver. Mais je ne m'habitue pas à me
voir, même en photo. C'est pour ça que si je vois une photo de moi
sur Facebook, je la retire du mur parce que je ne veux pas la voir.
Alors imaginez un peu un film qui parle de moi...
- Et
la réalisatrice, elle en pense quoi ?
Caroline
Neal : Nous avons tourné si longtemps, tant de choses et tant
d'heures de pellicule et de conversation, et du coup, j'ai choisi des
tout petits bouts de tout ça. Et le voir comme ça, après, disons
distillé dans son essence, ce serait sans doute une expérience très
forte. Sans doute ce serait un choc pour deux personnes aussi
réservés.
(Traduction
©
Denise
Anne Clavilier)
C.
S.: –El
hilo conductor de lo que ha sucedido, por ahí lo ha visto Caroline,
pero nosotros no. Al contrario, nosotros nos preguntamos: ¿de dónde
sacó una historia? Para mí somos dos tipos que viven encerrados, él
escribiendo, yo tocando y otras cosas, pero no pasó más que eso. Si
a mí me dicen que tengo que escribir un guión de todos esos años,
lo escribo en dos renglones: yo en mi casa tocando y mi papá
conmigo. Creo que la historia la ha visto Caroline. Por otro lado,
recibo comentarios de gente que la ha visto y le ha gustado, y
entonces me da mucha intriga de saber qué hizo Caroline con lo
nuestro, para que resulte interesante para otros. Porque insisto,
para nosotros es muy rutinario.
H.
S.: –Y
bueno, yo por ahí quiero verlo, pero con anteojos negros... (risas)
Página/12
César
Salgán : Le fil conducteur de ce qui s'est produit, de ce
côté-là, Caroline l'a vu, nous non. Au contraire, nous nous nous
demandions : d'où est-ce qu'elle a sorti une histoire ?
Pour moi, nous sommes deux types qui vivons enfermés, lui à écrire
et moi à jouer et d'autres trucs, et il ne s'est rien passé de
plus. Si on me dit à moi qu'il faut que j'écrive un scénario sur
toutes ces années, je l'écris en deux lignes : moi à la
maison en train de jouer et mon père à côté de moi. Je crois que
l'histoire, c'est Caroline qui l'a vue. D'un autre côté, les gens
qui ont vu le film me font des commentaires, il leur a plu et ça
m'intrigue beaucoup de savoir ce qu'a bien pu faire Caroline avec
nous pour que ça s'avère intéressant pour les autres. Mais en ce
qui nous concerne, j'insiste, c'est vraiment de la routine.
Horacio
Salgán : OK, moi, je veux bien aller le voir, mais alors les yeux
bandés... (rires) (2)
(Traduction
©
Denise
Anne Clavilier)
–Les
recomiendo la película. Vayan a verla.
H.
S.: –¿Quién
trabaja?
–Un
tal Salgán.
H.
S.: –Ah,
sí... Me suena.
Página/12
- Je
vous recommande ce film. Allez le voir.
Horacio
Salgán : Il y a qui dedans ?
- Un
certain Salgán.
Horacio
Salgán : Ah oui... Ça me dit quelque chose.
(Traduction
©
Denise
Anne Clavilier)
Pour
lire l'interview intégrale, cliquez ici.
Pour
en savoir plus :
lire
l'article de Clarín du 30 septembre 2015
lire
l'article de La Nación du 30 septembre 2015 sur le documentaire
lire
l'article de La Nación du 30 septembre 2015 sur Horacio Salgán et
sa contribution dans le tango
lire
la dépêche de Télam du 30 septembre 2015 avec bande-annonce du
film
voir
la fiche -encore embryonnaire- du film sur le site argentin Cine
Nacional
Se
connecter avec la page Facebook du film.
(1)
Il est beaucoup plus fréquent en Argentine de parler en public de mi
papá ou mi mamá dans des circonstances où l'usage francophone
européen emploie père et mère. En Argentine, il ne s'agit pas d'un
registre de langage enfantin ou réservé au cercle intime.
(2)
Littéralement : avec des lunettes noires. En Argentine,
anteojos negros, ce ne sont pas des lunettes de soleil (anteojos de
sol) mais des lunettes aux verres obscurcis, pour priver de la vue
celui qui les porte.