Avec son habituel sens de l'humour, Página/12 traite l'arrêt de la Cour suprême comme une réclame de supermarché : le logo vante "2 pour le prix d'1, promo réservée aux criminels contre l'humanité" |
En décidant d'appliquer
une loi révoquée concernant les remises de peine aux détenus ayant
purgé plus de deux ans de prison préventive avant leur passage en jugement, selon le principe selon lequel tout jour d'incarcération compte
double à compter du début de la troisième année de
détention, la Cour suprême nationale argentine s'est aliéné de
nombreux simples citoyens, des militants des droits de l'homme, des
militants politiques, des intellectuels de tous poils et même, ce
qui est plus étonnant, plusieurs procureurs qui contestent la
constitutionnalité de l'arrêt. Un comble puisque la Cour suprême
est institutionnellement l'interprète de la Constitution nationale !
Dans les quarante-huit heures qui ont suivi la publication de l'arrêt de la Cour, plus de 200 condamnés
pour crimes imprescriptibles, des tortionnaires de la dictature
militaire de 1976-1983 et des voleurs d'enfants pour raison
politique, ont demandé à bénéficier de la mesure accordée par le Haut Tribunal à un tortionnaire qui avait, de toutes façons, fini
de purger sa peine. C'est ainsi un déluge de requêtes qui s'abat sur les
cours pénales dans tout le pays.
Au premier rang des
opposants à cet arrêt qui ressuscite une loi abolie depuis 2001, l'association Abuelas de Plaza de Mayo qui,
dès hier, demande une protection policière particulière pour
l'un des 122 enfants volés, désormais identifiés, dont le "père adoptif" frauduleux,
un homme très violent dans le cadre familial, pourrait sortir de
prison dans ces circonstances et se retourner contre lui, qui a
dénoncé devant la justice les sévices dont il avait été victime
dans sa jeunesse dérobée à sa véritable famille, maintenant
retrouvée.
D'autres personnes, identifiées elles aussi au terme
d'une recherche ADN, sont dans le même cas et affrontent le même danger.
L'affaire fait le premier gros titre, juste au-dessus de la photo de Messi Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Une députée nationale de l'opposition,
Victoria Donda, présidente de la commission Droits de l'Homme à la
Chambre des Députés, au Congrès de la Nation, a donné à ce sujet
une interview à la chaîne de télévision en ligne de La Nación :
sa commission va devoir travailler pour remédier à la situation,
dangereuse, créée par l'arrêt de la Cour suprême.
La couverture médiatique
de l'affaire est impressionnante et impressionnant aussi l'écho très
défavorable que la décision trouve dans tout le spectre politique,
y compris chez l'un des responsables de la jeunesse libérale au sein
du parti PRO, celui du président Mauricio Macri dont le silence à ce sujet
émeut beaucoup de monde, lui qui avait promis de maintenir la
politique de répression pénale des crimes de la dictature (voir
aussi mon précédent article sur le sujet).
Le chanteur Sting, qui
vient de donner un concert à Buenos Aires dans le cadre de sa
tournée, est allé rendre visite à l'association Abuelas de Plaza
de Mayo pour apporter son soutien très médiatique à leur lutte
pour les droits de l'homme et la récupération de leurs
petits-enfants volés en bas âge et aujourd'hui des adultes en
pleine force de l'âge.
Pour en savoir plus :
lire l'article de Página/12 sur la multitude de requête en réduction de peine
suscitée par l'arrêt de la Cour suprême
lire l'article de Página/12 sur le soutien apporté par Sting à Abuelas
lire l'article de La Prensa sur la demande de protection pour un homme adopté
frauduleusement par un sbire de la Dictature et que la libération de
son père adoptif mettrait en danger de représailles violentes
lire l'article de La Nación sur l'accumulation des requêtes en remise de peine
lire l'interview de la députée Victoria Donda, petite-fille retrouvée et parlementaire
nationale (l'interview est aussi disponible en vidéo intégrée au
même article)
écouter et regarder (toujours sur le site de La Nación) l'interview vidéo de Pedro Roberto, sous-secrétaire de la Jeunesse
au PRO, au ton délibérément neuf dans cette famille politique dont
les caciques, plus âgés, ont nettement plus d'indulgence pour les
tortionnaires de la Dictature. On voit nettement ici l'évolution de
la population argentine à ce sujet et la résolution progressive du
problème politique créé par le putsch des militaires en 1976.
Clarín ne semble guère intéressé par cette actualité.
Aucun des tortionnaires ou voleurs d'enfants poursuivis et/ou déjà condamnés n'a jamais exprimé de regret concernant ses actes criminels pendant la Dictature. La plupart d'entre eux ne reconnaissent pas la légitimité du tribunal qui les a condamnés, comme le prouve jusqu'à la caricature la démarche effectuée récemment par un accusé en passe d'être jugé auprès de la Nonciature apostolique pour obtenir l'asile politique au Vatican (l'homme se considère persécuté par un Etat qui ne respecte pas les droits de la défense et il se réclamait donc du droit d'asile avec un cynisme inouï). Le nonce a ignoré sa demande.