Alors que le président
italien effectue pour la première fois depuis seize ans une visite d'Etat en Argentine (1) et offre son appui pour la
négociation commerciale du pays avec l'Union Européenne, voilà que l'ONU
rabroue la Cour Suprême qui vient de voter la possibilité
d'appliquer aux détenus condamnés pour des crimes contre l'humanité
une règle de remise de peine qui provient d'une loi abolie depuis
2001 (voir à ce propos mon article du 4 mai 2017). Cela fait tant
désordre que les journaux font la sourde oreille (à part Página/12
qui est bien content d'en faire ses gros titres) et que différentes personnalités
politiques publient leur désaccord avec la Cour, au premier rang
desquelles la gouverneure de la Province de Buenos Aires, María
Eugenia Vidal, ancienne seconde de Mauricio Macri lorsqu'il était chef du
gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, il y a encore
dix-huit mois.
Le Bureau pour l'Amérique
du Sud du Haut Commissariat de l'ONU pour les Droits de l'Homme,
installé à Santiago du Chili, a rappelé à la Cour Suprême
qu'elle devait respecter des principes universels des
Nations Unies. Le responsable du bureau, un diplomate reconnu pour
son talent, insiste sur le fait que les crimes contre l'humanité ne
sont pas des crimes ordinaires et qu'on ne peut pas leur appliquer le
bénéfice de la mesure la plus avantageuse de la manière dont on le
fait pour les crimes crapuleux ou passionnels. Sa déclaration
indique que l'organisation internationale est sérieusement inquiète
sur cette évolution du droit en Argentine, dont Cristina Kirchner,
en voyage en Grèce et reçue par Alexis Tsipras, proclame qu'elle
constitue une régression de son pays, qui retourne vingt ans en
arrière. En effet, l'Argentine a ratifié en 1995 la Convention
internationale sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et
contre l'humanité et ses dispositions, qui seraient incompatibles
avec l'arrêt de la Cour, ont été intégrées dans la constitution
nationale.
Au moment où le Haut
Commissariat onusien fait ainsi un rappel à la loi, un tribunal
fédéral siégeant à San Juan déclare l'arrêt de la Cour suprême
anticonstitutionnel et refuse d'en faire bénéficier un détenu qui
purge sa peine dans une prison de la province. De surcroît, la Cour
Internationale Inter-Américaine des droits de l'Homme reçoit elle
aussi des plaintes provenant d'institutions et de responsables
politiques argentins concernant cet arrêt du 3 mai dernier.
D'un autre côté, un
groupe de travail de l'ONU sur les détentions arbitraires de
personnes vient d'arriver en Argentine et doit rendre visite à
Milagro Sala dans la prison de Jujuy où elle est détenue à titre
préventif alors qu'elle est députée argentine au Parlasur et
qu'elle a été arrêtée et inculpée sans qu'il lui soit reconnu la
moindre immunité parlementaire. Or plusieurs experts de l'ONU ont
déjà reconnu qu'il s'agissait bien d'une détention contestable au
regard des standards internationaux.
L'évêque aux Armées,
Monseigneur Santiago Olivera, tout récemment nommé à cette charge,
a pris, lui aussi, ses distances avec cet arrêt et rendu public son
désaccord au fait que les crimes contre l'humanité valent à leurs
auteurs le même traitement pénitentiaires que ceux des crimes
ordinaires. Olivera estime en effet que l'application de cet arrêt
de la Cour à ces criminels ne mène pas à un chemin de
réconciliation telle que l'entend l'Eglise, qui affirme que le
pardon passe par la justice et la réparation par le coupable (en
l'occurrence sa condamnation par les tribunaux légitimes) (2).
Enfin, le gouvernement,
dont certains membres s'étaient désolidarisés assez vite de
l'arrêt de la Cour, vient de présenter au Congrès un projet de loi
qui n'autorise l'application de l'arrêt que pour les condamnés dont
le procès s'est tenu dans les années de validité de la loi
abrogée, dit du Jour compte double, en français, ou 2x1 en espagnol. Le Chambre
des Députés s'est emparée du sujet et va en débattre dans les
jours qui viennent.
Appel à la manifestation de demain "Messieurs les juges, Plus jamais un seul criminel contre l'humanité relâché 30 000 détenus-disparus toujours avec nous !" |
Demain, mercredi 10 mai
2017, à 18h, toutes les associations de droits de l'homme appelle à
une méga-manifestation contre cet arrêt de la Cour suprême sur
Plaza de Mayo. On peut s'attendre à ce qu'il y ait beaucoup de
monde.
Pour en savoir plus :
lire également, dans le même quotidien, l'interview de Francisco Madariaga, l'un des petits-enfants retrouvés
par Abuelas, qui craint que son père adoptif, une fois sorti de
prison grâce à la disposition de remise de peine validée par la
Cour suprême, lui règle son compte (il a en effet subi des sévices
graves de sa part au cours de son enfance et les a décrits pendant
le procès de ce sbire de la dictature)
lire l'article de La Prensa, qui rapporte la prise de position de María Eugenia Vidal
lire l'article de La Nación sur la décision du tribunal de San Juan
lire l'article de La Nación sur le projet de loi envoyé au Congrès
lire l'article de Clarín
sur les plaintes contre l'arrêt de la Cour suprême
lire la dépêche de Télam
sur la déclaration de Monseigneur Olivera
lire la dépêche de l'AICA, l'agence de presse catholique, sur l'analyse de la Conférence
des religieux et religieuses d'Argentine sur le même sujet.
Ajout du 10 mai 2017 :
lire l'article de Radio Vatican en français sur la déclaration de Monseigneur Olivera.
Ajout du 10 mai 2017 :
lire l'article de Radio Vatican en français sur la déclaration de Monseigneur Olivera.
(1) L'Argentine enchaîne les visites officielles et solennelles, ce qui marque le succès diplomatique de la politique lancée il y a près de dix-huit mois par Mauricio Macri, ce qu'il appelait le "retour au monde" de l'Argentine. Comme son homologue suisse il y a quelques semaines, le président italien est arrivé avec un groupe de quarante hommes d'affaires prêts à investir en Argentine, qui en a bien besoin.
(2) Et dans toute la
mesure du possible le fait que lui-même demande pardon à ses
victimes. Voir mon article du 4 mai 2017 sur l'Assemblée générale
des Evêques argentins qui a remis ce sujet à l'ordre du jour.