Le Gouvernement argentin
veut jouer la transparence. Dans ce but, il a mis en ligne, à
disposition du public sans aucune restriction, le résultat de
l'enquête nationale, effectuée dans des écoles publiques et
privées, sur le niveau exact des élèves de l'enseignement primaire
et secondaire.
Les résultats provoquent
quelque préoccupation. L'Argentine s'est longtemps reposée sur la
croyance, largement partagée dans l'opinion publique et répétée à
l'envie par les politiciens aux affaires, que son système scolaire
était efficace et l'un des meilleurs, pour ne pas dire le meilleur,
de la région. On entendait toutefois des voix dire que le niveau
baissait et qu'il était même catastrophique et que tout le système
était bel et bien sclérosé et vicié par la politisation à
outrance des syndicats enseignants (1). Au cours de la campagne
électorale, Mauricio Macri avait promis de redonner un élan à
l'ensemble du système pour faire remonter le niveau, qu'il déclarait
catastrophique. Beaucoup avaient pris cette constatation pour un
argument électoraliste, une preuve de sa mauvaise foi et de son
hostilité envers la majorité sortante. Il y avait peut-être un peu
de cela mais visiblement le diagnostic était solide.
En octobre dernier, à
deux mois et demi de la fin de la première année scolaire du
présent mandat présidentiel, il a été procédé à une vaste
évaluation dans tout le pays et ce sont ces résultats qui viennent
d'être mis en ligne sur la plate-forme aprenderdatos, qui dépend
d'un sous-secrétariat d'Etat au sein du Ministère de l'Education.
Ces chiffres ne sont pas
bons et ils justifient que le Gouvernement s'attelle au plus tôt à
une profonde réforme des programmes et de l'organisation de
l'enseignement. Moderniser la pédagogie au lieu de se contenter de
moderniser le matériel (mettre à disposition des ordinateurs et du
Wifi, par exemple) ne serait pas un luxe non plus... En discutant
moi-même avec des classes de tous âges, dans la banlieue de Buenos
Aires, à Mendoza et dans la province de San Luis, ces deux dernières
années, j'ai été assez surprise du peu d'autonomie d'apprentissage
des adolescents en fin de scolarité, de leur passivité indocile et
indisciplinée et du discours très simpliste, patriotard et
moralisateur que leur tenaient certains enseignants et directeurs
d'établissement (on ne s'étonnera pas dans ces conditions qu'ils
n'en retiennent rien, à l'heure d'Internet, de Youtube et des
réseaux sociaux).
Chez les plus petits, ce
qui m'a le plus frappée l'année dernière, c'était qu'ils ne
comprenaient strictement rien à ce que leurs instituteurs leur
avaient fait apprendre, d'autant que je les rencontrais dans un cadre
particulier : la célébration, très festive au demeurant de la
Fête de San Martín, autour du 17 août. Il était manifeste qu'ils
ne comprenaient aucune des paroles de la Marcha de San Lorenzo qu'ils
chantaient toutefois avec un entrain de bon aloi et qu'ils ne
comprenaient rien non plus aux dialogues appris par cœur dans la
saynète, quelque peu simplette, où ils étaient censés représenter
les événements historiques de la guerre d'indépendance. Ils
débitaient leur texte comme des perroquets, sans s'amuser le moins
du monde, avec des regards affolés vers l'institutrice en cas de
trou de mémoire et ne se déridaient vraiment que lorsqu'il fallait
dégainer un sabre en carton pour faire semblant de se bagarrer (2).
C'était d'autant plus poignant que j'ai plutôt visité des
établissements de très bon niveau où j'ai surpris bien des
enseignants (et des élèves) par mes interventions interactives, en
dialogue avec la classe, alors qu'ils attendaient tous et de toute
évidence une conférence magistrale super-rasoir, comme c'est la
coutume de la plupart des conférences dans tout le pays.
C'est la première fois depuis la mise en place de l'école obligatoire que l'Etat prend ainsi le taureau par les cornes et qu'il met sur la table la réalité de la situation. Il faut espérer que le
choc de ces données sera salutaire et aidera l'opinion publique à
soutenir le vaste chantier que le gouvernement veut mettre en place
(3) et que les syndicats d'enseignants, très conservateurs même
s'ils votent à gauche, pourraient bien vouloir entraver.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín
consulter la plateforme Aprender
consulter la page Facebook
du Secrétariat d'Etat à l'évaluation scolaire.
A noter : Página/12 ne semble pas s'intéresser au sujet ! Pas un mot sur son site Internet aujourd'hui.
(1) Ils en ont fait à
nouveau la démonstration cette année avec une grève interminable
au détriment des enfants alors qu'ils pourraient envisager des
méthodes plus efficaces de lutte salariale, laquelle est
parfaitement légitime au demeurant.
(2) Quant aux petites
filles, elles ne s'amusaient qu'au moment de défiler, quelques
secondes à peine, sur la scène dans leurs belles robes d'époque
avec une petite mantille blanche que portait fièrement une première
de la classe à laquelle revenait l'honneur d'interpréter Remedios
de Escalada de San Martín, l'épouse du héros !
(3) La France est dans une
situation similaire et doit elle aussi réformer au plus vite son
système scolaire, devenu une véritable usine à générer de
l'inégalité, de l'échec social et du traumatisme culturel, à l'inverse des généreuses valeurs
politiques et intellectuelles sur lesquelles il est fondé et
desquels il croit être toujours nourri, figé qu'il est dans l'image
qu'il s'est fait de lui-même à travers les discours de Jules Ferry,
il y a un siècle et demi !