samedi 30 septembre 2017

Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond à Jujuy [Actu]

"Morales est capable de tout"
Le gros titre est tiré des déclarations de Milagro Sala
sur l'antenne de C5N, hier, lorsqu'elle a appris la révocation de sa liberté

Depuis janvier 2016, la dirigeante politique de gauche Milagro Sala a maille à partir avec la justice de sa province, la province de Jujuy. Sa mise en cause dans plusieurs instructions pour faits de corruption, concussion, abus d'argent public et même violence ayant entraîné la mort, lui vaut d'avoir été incarcérée à titre provisoire puis condamnée dans une première affaire (pour laquelle elle a fait appel).

Milagro Sala étant une députée kirchneriste au Parlasur, la chambre législative d'une Amérique du Sud qui développe une coopération continentale (sans aucune concession des souverainetés nationales), et la justice provinciale n'ayant tenu aucun compte de la moindre immunité parlementaire, les leaders d'opinion de l'opposition dénoncent régulièrement, depuis janvier 2016, la partialité des magistrats jujégnes, attribuée à leur soumission au Gouverneur Gerardo Morales (majorité nationale).

Jusqu'à il y a quelques semaines, cette partialité ne me sautait pas aux yeux, dans la mesure où les arguments développés par l'opposition n'étaient pas toujours exempts d'aveuglement partisan, ce qui est un euphémisme. Or en août, de longues, très longues semaines après un avis de la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) qui réclamait la mise en liberté de Milagro Sala, dont l'intégrité physique aurait été menacée dans l'établissement pénitentiaire où elle était détenue dans une cellule individuelle, nettement plus confortable qu'à l'ordinaire, la militante a été mise en liberté surveillée mais d'une manière pour le moins singulière, ce qui a mis en évidence l'arbitraire des juges et leur volonté d'humilier la prisonnière. D'abord, parce que le magistrat en charge de cet aménagement du régime carcéral a voulu l'installer dans un immeuble en ruine sans aucun confort (ni eau courante, ni électricité, ni chauffage, ni sanitaires). Le procédé était tellement grossier (et contraire aux engagements internationaux de l'Argentine) qu'il a dû faire machine arrière et se rabattre finalement sur un placement dans la maison familiale qui fut dès avant le retour de la mère de famille entourée d'un important détachement de forces de l'ordre pour surveiller la demeure nuit et jour alors que les criminels de la dictature définitivement condamnés et qui obtiennent ce traitement de faveur à cause de leur grand âge ou de leur état de santé (réel ou supposé) vivent sans surveillance et profitent souvent d'une liberté de mouvement dont on a peine à croire qu'elle existe pour des criminels de cette envergure. Ils sont censés respecter une peine de prison à domicile mais ils sortent dans la rue, vont faire leurs courses, s'attablent aux bonnes tables de leur quartier (en général assez chic) pour prendre un café, une collation, déjeuner ou dîner, vont au cinéma. Bref, ils mènent, de façon illégale, une vie normale, ce qui était refusé de façon évidente à une femme, d'origine indigène, élue du peuple, normalement protégée par une immunité et toujours présumée innocente puisque aucun jugement définitif n'est encore intervenu – et, vu les lenteurs de la justice argentine et la complexité du code de procédure pénale, le jugement définitif n'est pas pour demain matin !

L'affaire Milagro Sala est traitée en gros titre, à droite
Le gros titre principal est consacré à la "non-venue" du Pape François
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Contre cette levée d'écrou et cet aménagement du régime carcéral, qui dérogent délibérément aux usages en vigueur dans le pays, le procureur de Jujuy a fait appel et la Cour d'appel vient de lui donner raison en prononçant la révocation du régime de prison domiciliaire (ou résidence surveillée) pour Milagro Sala. Au terme de cet arrêt, elle devrait retourner derrière les barreaux. Elle a toutefois la capacité de se pourvoir en cassation, ce que ses avocats vont sans doute faire, ne serait-ce que pour gagner du temps, un temps précieux qui sera mis à profit par l'opposition argentine pour sensibiliser les ONG et les instances internationales (Amnesty International, Human Right Watch, ACAT, CIDH, ONU, et tutti quanti).

Quelles que soient les infractions dont Milagro Sala a pu se rendre coupable et pour lesquelles elle n'a toujours pas été condamnée, ce nouveau rebondissement montre assez clairement que la justice de Jujuy s'est engagée dans un règlement de compte partisan avec elle et avec l'organisation qu'elle dirige, la Tupac Amaru, qui se veut révolutionnaire et qui a été soutenue financièrement par le gouvernement précédent, avec de l'argent public.

Pour en savoir plus sur l'affaire :
lire l'article de Página/12, qui ne mâche pas ses mots et accuse sans ménagement les gouvernements, provincial et national
lire la reprise des propos de Milagro Sala à l'antenne d'une télévision kirchneriste, C5N, dans La Nación, journal favorable à la majorité actuelle
lire l'article de Clarín

Ajouts du 14 octobre 2017 :
Milagro Sala vient d'être remise sous écrous dans le même établissement pénitentiaire que celui où la CIDH lui avait rendu visite et avait estimé que son intégrité physique était mise en danger. L'arrestation s'est réalisée dans des conditions très brutales et humiliantes pour la militante politique, emmenée de chez elle menottée et en pyjama, à l'aube.
Lire l'article que Horacio Verbitsky a publié sur le site de Página/12, dès que la nouvelle a été connue
lire l'article de La Nación rédigé à partir de dépêches d'agence
lire l'article de Clarín