jeudi 27 juillet 2023

La statue de la discorde à Bariloche [Actu]

Etrange statue avec un cheval qui ressemble
à Jolly Jumper quand il est épuisé !
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A San Carlos de Bariloche, la plus importante station de ski d’Argentine et d’Amérique du Sud, une statue équestre du général et président Julio Argentino Roca (1843-1914) orne la place de la mairie (centro cívico) depuis 1941 (photo de une ci-dessus).

Son installation à cet endroit a couronné la construction commencée en 1940 de cette place aux allures helvétiques. A cette époque, l’Argentine vivait sous l’un de ces gouvernements putschistes d’extrême-droite qui s’étaient succédé à Buenos Aires depuis le premier coup d’État de la période constitutionnelle, en septembre 1930. L’homme qui était ainsi honoré était le conquérant blanc, d’ascendance européenne, de la Patagonie, au milieu de laquelle se trouve la station montagnarde habitée depuis le début du 19e siècle par une importante colonie suisse et germanophone (Allemagne et Autriche). Ce pourquoi après 1945 Bariloche est connue pour avoir facilement accueilli de trop nombreux criminels nazis qui avaient fui l’Europe et y vivaient officiellement sous une fausse identité, tout en étant parfois connus sous leur véritable nom.


"Triste Argentine de la razzia indienne", dit le gros titre
qui ne cache pas son mépris pour les peuples premiers
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Autrement dit, cette statue sent le soufre puisque la conquête de Roca, passée dans l’histoire sous le nom de « Conquista del Desierto », a été l’occasion d’un véritable génocide du peuple mapuche qui vivait sur ces terres australes (pas si désertes que ça), sur lesquelles le voisin chilien avait des vues depuis le milieu du 19e siècle. Le risque que le Chili s’empare de ce vaste territoire avait précipité l’opération militaire ordonnée depuis Buenos Aires et celle-ci fut sans pitié pour ceux des indigènes, nombreux, qui osèrent lui résister, malgré leur infériorité technologique, face à l’artillerie et aux armes à feu des envahisseurs.

Il y a quelques semaines, il a donc été décidé que la statue, qui choque les peuples premiers toujours présents dans la région, serait retirée de la place de la mairie pour être replacée dans un parc au milieu d’autres statues, à l’écart de la bourgade.

Aussi la mise en œuvre ces jours-ci de cette décision déchaîne les réactions hostiles surtout à droite, où l’on apprécie beaucoup le personnage, qui a longtemps figuré sur les coupures de 100 pesos : outre sa prise de contrôle de la Patagonie, on doit aussi à Roca la loi qui a établi l’école obligatoire et gratuite, le grand rêve caressé par un autre personnage polémique, un géant de la vie politique et culturelle de l’Argentine, Domingo Faustino Sarmiento (1811-1888). Et qu’est-ce que vous voulez que la gauche dise lorsque la droite lui sort cet argument ?

La Nación préfère ne pas mettre l'accent sur l'événement
Il n'a droit qu'à une manchette sans photo (en haut à droite)
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L’historiographie de gauche n’a longtemps retenu du personnage que cette violence inouïe à l’égard des Amérindiens, violence qui avait généralement été acceptée par les contemporains d’origine européenne mais qui nous soulève le cœur cent cinquante ans plus tard. La droite s’efforce aujourd’hui d’amoindrir l’importance de ce fait dans sa propre historiographie et insiste sur d’autres aspects : la concurrence avec le Chili, qu’il fallait bien remettre à sa place (d’autant que plus tard, on a découvert des gisements de pétrole dans le territoire ainsi conquis), et la sacro-sainte école. Curieusement, Clarín publie aujourd’hui dans son édition imprimée deux commentaires de deux historiens officiellement opposés, l’un classé à droite, l’autre (Pacho O’Donnell) furieusement péroniste de gauche. Pourtant les deux éditos se rejoignent peu ou prou, les deux auteurs soutenant qu’il est important de ne pas projeter nos valeurs sur le passé si l’on veut le comprendre. Bref, ces cris d’orfraie n’ont pas lieu d’être, c’est eux qui le disent (quel progrès !) et ce qui compte, c’est de contextualiser cette statue.

Une statue qui va tout de même être remplacée sur la place de la mairie par un monument en l’honneur des Mères et des Grands-mères de la Place de Mai. Des associations militantes classées à gauche toute. Derrière le geste, il y a donc bien une intention partisane et l’envie de faire tourner en bourrique les gens de droite. Et c’est plutôt réussi si l’on en croit les unes des journaux !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 sur la polémique déclenchée par la décision municipale
lire l’article de Página/12 sur le transfert de la statue
lire l’article de Clarín (version en ligne)
lire l’article de La Nación
Comme si souvent, le site de La Prensa ne propose pas l’article annoncé sur sa une du jour.

Ajout du 28 juillet 2023 :
lire cet article à la une de Página/12

lire, toujours dans Página/12, la note rédigée par Pacho O’Donnell, davantage dans son élément ici que dans Clarín

"Roca, de nouveau en campagne", dit le gros titre ce matin
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La Prensa, quant à elle, renouvelle
l'expression de son insondable mépris
avec ce titre secondaire : "Le coin des gens sensés :
Roca sera toujours au centre de la Patrie"
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avec photo couleur de la statue

Mise à jour du 3 août 2023 :
lire
cet article de Clarín sur la décision judiciaire en référé qui suspend à titre conservatoire l’exécution de l’arrêté municipal disposant le retrait de la statue. La guerre semble bel et bien déclarée.

Mise à jour du 4 août 2023 :

lire cet éditorial de Página/12 au sujet de cette décision de justice