Toutes les armes de l’Argentine ont été actives sous la dictature militaire de 1976-1983, sauf peut-être le régiment des Grenadiers à Cheval, qui semble avoir toujours respecter la mission républicaine qui lui a été donnée à sa reconstitution en 1903 : être le gardien de l’unité nationale, conformément au vœu de son fondateur en 1812, le général José de San Martín (1778-1850). De toutes les forces armées nationales, la marine et l’armée de l’air ont été celles qui ont laissé le plus de traces criminelles dans la mémoire nationale (et internationale), eu égard à la nature de leurs activités de répression, la marine dans le sinistre cadre de son école supérieure de mécanique, la « ex-Esma » qui accueille aujourd’hui, à Palermo, dans le nord de Buenos Aires, le grand Espace pour la Mémoire placé sous le patronage de l’UNESCO, et l’aviation, à cause de l’opération Condor, une opération multinationale consistant à jeter en vol les opposants vivants qui mourraient en tombant dans le Río de la Plata ou dans l’un ou l’autre océans.
Il y a quelque temps, la Marine a pris la décision, secrètement, de déménager ses archives de la rue Bolívar (dans le centre historique de Buenos Aires) vers un site dénommé Garage central, situé dans le quartier de Retiro, près du siège de la Préfecture navale (l’état-major des forces fluviales et maritimes), dans le nord de la capitale argentine. Ce déménagement s’accompagne d’un ordre de passer à la broyeuse une partie de la documentation, officiellement sans doute pour faire de la place dans les linéaires mais dans le contexte actuel, un tel ordre éveille immédiatement la suspicion : l’état-major naval ne serait-il pas en train de détruire des preuves de l’implication de la Marine dans les crimes contre l’humanité de la période anticonstitutionnelle ?
Branle-bas de combat dans les
rangs des défenseurs de la légalité et de l’État
de droit pour faire protéger par la justice l’intégrité du dépôt
afin que rien ne se perde des 5 800 mètres officiels
d’archivage que plusieurs experts estiment en fait à 8 km.
En haut : "Les documents de la Conadep en danger" Une de Página/12 le 25 janvier 2025 Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
La découverte de ce projet de déménagement associé à une possibilité de destruction intervient après un arrêt de la justice qui a reconnu, la semaine dernière, que d’autres archives, celle de la CONADEP, la commission d’enquête sur les disparitions des opposants à la dictature, instituée au retour à l’ordre constitutionnel en 1984, étaient elles aussi menacées, cette fois, par les mauvaises conditions de conservation qui règnent à l’Archivo Nacional de la Memoria. Ces mauvaises conditions sont dues à l’absence de personnel compétent, celui-ci ayant été congédié au début du mandat dans la tentative de Mileí de détruire l’État en le vidant de ses ressources humaines et techniques, à des portes faciles à violer et à l’absence de caméra de surveillance. Tout pour plaire !
Or Mileí et sa vice-présidente, fille d’un officier supérieur impliqué dans les crimes contre l’humanité, ne font pas mystère de vouloir réhabiliter la dictature et amnistier tous les condamnés qui, morts ou vivants, purgent ou ont purgé leur peine de prison édictées après des procès publics, tout ce qu’il y a de plus démocratique.
Le moins qu’on puisse dire est que cela ne sent décidément pas très bon.
Samedi prochain, les mouvements de défense de la démocratie appellent à une vaste manifestation « contre le fascisme ». De jour en jour, divers groupes, d’artistes, d’intellectuels, de syndicalistes, etc. rejoignent cet appel.
Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12 du 25 janvier (sur les archives de la CONADEP)
La presse de droite n’évoque pas ces questions.