jeudi 20 février 2025

Un Monument national va être démoli pour faire plus de fric [Actu]

L'intérieur en disposition théâtre pour la finale
du Mundial del Tango en 2019
(photo ministère de la Culture de la Ville autonome de Buenos Aires)
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Le Luna Park, grand stade bâti à proximité du Río de la Plata qui se transforme aussi très souvent en salle de concert géante et qui a également accueilli des veillées funèbres historiques comme celle organisée pour Carlos Gardel, lorsque la dépouille de celui-ci a été rapatriée de Colombie, ce bâtiment déclaré Monumento Nacional et qu’à ce titre la loi protège comme un élément patrimonial de toute l’Argentine, vient de faire l’objet d’une autorisation de destruction pure et simple.

C’est là que Perón avait fait le connaissance de Evita en 1942 lors d’une soirée de bienfaisance au bénéfice des sinistrés de la ville andine de San Juan, détruite par un tremblement de terre. C’est là que se tiennent depuis des années les épreuves finales du Mundial de Tango, le championnat international de danse. C’est là que se sont tenus de grands bals lorsque ceux-ci étaient encore au programme des fêtes de Carnaval. C’est là qu’ont chanté ou joué des géants de la musique nationale, comme Mercedes Sosa, ou internationale, tant dans le domaine populaire que le domaine classique. Le Luna Park a aussi accueilli des rencontres sportives d’anthologie, nationales et internationales, des compétitions et des exhibitions, dans à peu près toutes les disciplines, de sports de combat comme de sports d’équipe. Et des meetings politiques, certains glorieux d’autres beaucoup moins mais tous font partie de l’histoire du pays et de la ville.

Le propriétaire, l’archidiocèse de Buenos Aires, et le concessionnaire, une entreprise privée qui veut tirer encore plus de fric de l’exploitation de la salle, ont fait conjointement la demande auprès des pouvoirs publics qui la leur ont accordée sans respecter l’habituelle lenteur avec laquelle on traite d’ordinaire les dossiers concernant ce genre de bien. Bizarre, bizarre. Comme c’est bizarre !

Photo tirée du site du Ministère du tourisme
de la Ville Autonome de Buenos Aires
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Tout va être mis à bas pour être reconstruit, plus en hauteur, avec une plus grande capacité d’accueil et un immense parking en sous-sol (au lieu du développement plus durable d’une desserte en transport en commun).

C’est une trahison de l’histoire du pays que ce type de raisonnement vénal a privé d’un patrimoine historique qui lui manque aujourd’hui et qui constituerait des atouts fabuleux de prestige et de tourisme de qualité dans tout le pays. Ces stratégies de très court terme se sont en effet multipliées à l’infini depuis l’indépendance : on a détruit le passé pour gagner des sous et on s’étonne maintenant que les Argentins ne sachent jamais où ils en sont de leur identité et de leur enracinement dans leur propre pays ! Pour ne pas mentionner tous ces citoyens dans toutes les provinces qui trouvent leurs villes moches et qui envient les Européens d’avoir des splendeurs comme la cathédrale de Cologne, le Prater à Vienne, l’Alhambra à Grenade, le Dôme à Florence, le Louvre à Paris ou le domaine de Windsor en Angleterre…

A Buenos Aires même, il n’existe plus que trois bâtiments laïcs datant d’avant l’indépendance : une partie de la maison du vice-roi Jacques de Liniers, la Casa del Negro (une étroite maison de plusieurs étages à San Telmo qui a survécu on ne sait comment et qui doit sans doute son nom au propriétaire qui l’a fait bâtir lorsque le quartier était encore un faubourg villageois, sans doute un esclave affranchi ou qui avait préféré devenir propriétaire à devenir libre. On en trouve dans les archives notariales !) et juste à côté, dans la rue perpendiculaire, une splendide maison patricienne transformée en musée privé il y a une dizaine d’années. Du Cabildo colonial, il ne reste presque rien d’authentique à Buenos Aires. Quant au reste, ce sont quelques églises du centre-ville, un ancien monastère Sainte Catherine, longtemps le seul monastère féminin de toute la ville, dans ce qui était encore les faubourgs et qui jouxte maintenant un grand centre commercial chic, Galerías Pacífico, qui abrita à la fin du 19e siècle les collections du Museo Nacional de Bellas Artes, une maison d’exercices de tradition jésuite (celle construite par Mamá Antula, la première sainte argentine, récemment canonisée) et ce qu’il reste de la maison provinciale de la Compagnie de Jésus avant l’expulsion de 1767, le musée national qu’on appelle aujourd’hui la Manzana de las Luces.

Quel vandalisme irresponsable !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
En fin d’article, Página/12 prétend qu’il manque encore l’accord du pape pour démolir le Luna Park mais c’est faux. Le Vatican n’a rien à dire. Le patrimoine des diocèses ne lui appartient pas. Le ou la journaliste commet la même grossière erreur que cet abruti de Trump lorsqu’il a promis au pape de l’aider à reconstruire Notre-Dame pendant la nuit tragique de l’incendie.
Clarín et La Nación n’abordent pas le sujet.