jeudi 27 février 2025

La trumpisation de l’Argentine continue [Actu]

Mileí enquête sur Mileí
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Décidément, tout y est. Tout comme aux États-Unis : les distinctions bidons, le ministère de la Justice mis au service du président pour le protéger de ses propres turpitudes, la censure de la presse, la violation des droits du Congrès qui a la prérogative de valider les nominations à la Cour suprême et la consommation qui s’effondre. Le cynisme est partout de mise. Le tableau est de plus en plus inquiétant !

La presse s’y intéresse de manière inégale. Tout dépend de l’idéologique que sert le quotidien. Personne ne sera étonné d’apprendre que Página/12, qui est à 100 % contre la politique en vigueur, est le seul journal national à se pencher sur l’ensemble des sujets. Les autres titres, qui hésitent entre l’opposition à Mileí et la complicité avec lui et sa clique, font un tri soigneux dans l’actualité.

Cela se constate sur les Unes des quatre titres principaux.

Pas grand-chose sur les scandales argentins
En revanche, Trump a droit à sa photo, lui !
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Enième distinction bidon :
Hier, le président s’est vanté d’avoir reçu le titre d’économiste de l’année remis par l’Ordre des Économistes du Brésil, une obscure organisation sans activité publique avouable mais qui vient de subir un cambriolage en règle et appelle le grand public à lui venir en aide (quel culot !). Sur leur site Internet, ils étalent les photos de leurs locaux dévastés et de tableaux de maître qui leur auraient été dérobés. Si ces gens ont possédé une telle collection, c’est qu’ils ont beaucoup d’argent, si toutefois il s’agit d’originaux. Sur leur site, aucune information sur leurs membres, rien sur la composition de leurs instances dirigeantes, leurs statuts, leurs activités institutionnelles. Rien non plus sur ce titre d’économiste de l’année. Aucune mention des récipiendaires précédents, pas même un mot sur Mileí. Aucune photo de leurs activités mondaines que ce genre de groupe a l’habitude d’exhiber. Même leur page Wikipedia en portugais, que j’ai pris la peine de consulter hier, ne contenait presque rien. Une date de fondation. Le nom du président en activité. L’article prétend qu’ils auraient une activité d’éditeurs d’articles et d’ouvrages de vulgarisation mais on ne trouve aucun catalogue de leurs publications nulle part, aucune liste de leurs auteurs. Le Conseil Économique du Brésil n’a pas tardé à tirer le signal d’alarme. Il a averti urbi et orbi que l’OEB est un groupuscule marginal sans aucune consistance scientifique ou quoi que ce soit qui puisse donner à sa récompense une quelconque valeur. Ce n’est que du vent mais Mileí est flatté une nouvelle fois et il bombe le torse à l’idée d’ajouter un nouveau hochet à sa puérile collection ! C’est toujours la même chose : des groupes inconsistants cherchent à capter un peu de lumière, ils annoncent qu’ils ont décerné un prix à Mileí et décrochent aussitôt une rencontre avec le chef de l’État argentin qui va même jusqu’à se déplacer, aux frais des contribuables, dans leur pays pour recevoir le colifichet en question et plus si affinités. En Espagne, Mileí en a profité pour insulter le président du Gouvernement, Pedro Sánchez, dans le cadre d’un meeting électoral de l’extrême-droite. Aux États-Unis, il a caressé, là encore en pleine campagne, l’électorat anti-démocratique qui a fait le succès de Trump en novembre. Au Brésil, il est clair qu’il va soutenir son grand pote Jair Bolsonaro, désormais poursuivi par la justice fédérale pour la tentative de coup d’État sur la Place des Trois Pouvoirs à Brazilia.

"La Cour [surpême] décide si elle permettra à Lijo de prendre place.
Forte réactions chez les chefs d'entreprise"
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Le ministère de la Justice mis au service du Président :
Mileí a prié la cheffe de cabinet du ministre de prendre la tête d’un cabinet d’instruction créé à cette fin pour enquêter sur le Crypto-gate, escroquerie géante à laquelle il a apporté son indispensable concours la semaine dernière et qui a maintenant des répercutions judiciaires aux États-Unis (nombreuses victimes chez l’Oncle Sam) ainsi qu’en Espagne puisque l’un des concepteurs de l’opération réside une partie de l’année à Barcelone. Página/12 en a fait sa Une. On y voit Mileí, qui se dit victime de l’arnaque, suivre ses propres traces.

Censure de la presse :
Samedi 1er mars, ce sera l’ouverture de la session du Congrès. Le président prononcera son discours à 21h et non pas à midi, comme c’est la tradition, prétendument, comme l’année dernière, pour que plus de monde puisse assister à la retransmission en direct à la télé (le dernier samedi de l’été, l’avant-veille de la rentrée, à 21h, les Argentins ont mieux à faire que de se caler devant leur poste s’il ne s’agit pas d’un match de foot !). Pour la première fois cette année, tous les journalistes ne seront pas admis sous la coupole du Congrès et ce n’est même pas celui-ci qui distribuera les accréditations. Depuis cette semaine, la sœur du président a en effet pris la haute main sur l’image publique et la voix de son frangin. C’est elle, la secrétaire-générale de la présidence, qui va désigner les heureux élus admis auprès du prince et de sa cour.

"Lijo a obtenu le droit de partie et la Cour suprême
doit décider si elle procède à la prestation de serment"
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Nomination par décret de deux nouveaux juges à la Cour suprême :
Selon la constitution, les nominations à la Cour suprême sont une compétence partagée entre le président, qui propose les noms des futurs magistrats, et le Sénat, qui valide leurs nominations après avoir examiné leurs aptitudes à la fonction. Cette fois-ci, tout passe par décret et c’est le branle-bas de combat à tous les étages de la société. De nombreux élus, les organisations représentatives du monde judiciaire, le patronat, les médias, les associations, les syndicats, les partis, même un ancien juge à la Cour suprême fraîchement retraité, Juan Carlos Maqueda, protestent vigoureusement contre cette mesure. Mauricio Macri lui-même, l’ancien président de droite, pourtant très peu scrupuleux dans ces domaines, condamne sans barguigner ces décrets. Cela n’y change rien pour le moment. Un ministre a même osé présenter aux médias une justification de ce décret anticonstitutionnel : le président aurait procédé ainsi parce qu’il ne parvenait pas à trouver au Sénat le nombre de votes suffisants pour faire valider les nominations. Le pire de tout est sans doute qu’une instance judiciaire a admis le fait accompli en autorisant l’un des deux magistrats à quitter son poste en son sein pour prendre ses fonctions à la Cour suprême. On attend maintenant de voir si l’actuel président de ladite Cour acceptera ou non de faire prêter serment aux deux collègues ainsi nommés et qui ne dénoncent pas l’illégalité du procédé. Comme à Washington, la plus haute juridiction du pays reniera-t-elle sa mission qui est de protéger l’État de droit ?

Mileí : J'ai entendu quelque part qu'on va me nommer
Economiste de l'Année
Le conseiller : "Des dégâts", Javier, "Des dégâts"
Dessin de Paz, texte de Rudy, à la Une de Página/12 aujourd'hui
Traduction © Denise Anne Clavilier
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Consommation en deuil :
Le bilan de 2024 vient de sortir. Il est édifiant mais sans surprise. Dans les supermarchés argentins, en valeur constante, les ventes 2024 ont chuté de 11 % par rapport à 2023 (dernière année du mandat de Alberto Fernández). Seuls Página/12 et La Prensa s’y intéressent ce matin.

Et pour couronner le tout, comme ambassadeur aux États-Unis, Mileí envoie, par décret, légitime celui-là, un homme qui n’a ni compétence et ni expérience en matière de diplomatie. Il a été choisi pour avoir créé un instrument en ligne d’import-export. En France, à l’ambassade américaine, nous avons un repris de justice gracié par Trump lors de son premier mandat parce qu’il est le père de son gendre, celui-là même qui veut, avec l’appui de beau-papa, faire de la Bande de Gaza un Miami-Las Vegas méditerranéen ! Que Trump donne son placet à l’Argentin, c’est compatible avec tout ce que nous avons vu depuis le 20 janvier mais qu’allaient faire l’Élysée et le Quai d’Orsay dans cette galère ? Ils seraient mieux inspiré de tenir tête, comme Zelensky.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

Économiste de l’année :
lire l’entrefilet d’aujourd’hui de Página/12 (il y avait un article plus développé et plus factuel hier sur le même sujet)

Auto-enquête :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de La Nación

Censure de la presse :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación

Décret anticonstitutionnel :
lire l’article de Página/12 d’hier
lire l’article de Página/12 sur les justifications présentées par le ministre
lire l’article de La Prensa sur la réaction des avocats constitutionnalistes
lire l’article de La Prensa sur les justifications du ministre
lire l’article de Clarín sur les réaction de la société civile
lire l’article de Clarín sur les propos du juge Juan Carlos Maqueda
lire l’article de La Nación sur les réactions de la société civile
lire l’article de La Nación sur les propos de Juan Carlos Maqueda

Chute de la consommation :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa

Nomination de l’ambassadeur aux États-Unis :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Nación


Ajouts du 28 février 2025 :
La Cour suprême a fait prêter serment, en catimini, sans invité ni journalistes, ce qui n’est pas dans la tradition, à l’un des deux magistrats cités dans le décret présidentiel et retient sa décision concernant l’autre. Les trois juges, clairement de droite, qui composaient la Cour ne doivent pas avoir la conscience tranquille pour agir ainsi.
Pour en savoir plus :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación