lundi 27 octobre 2025

Ainsi donc, l’Argentine a basculé peut-être sans remède [Actu]

"Le péril violet", dit le gros titre
du seul quotidien de gauche à l'échelle nationale
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Il y a 79 ans, l’ambassadeur des États-Unis en Argentine, un homme d’affaires que n’étouffaient pas les scrupules, un certain Braden, osait ouvertement fédérer tout l’arc politique qui n’adhérait pas aux positions de Perón sur une seule candidature à l’élection présidentielle et Perón a été triomphalement élu avec 56 % des voix dès le premier tour puisque l’élection se résumait, comme disait le slogan de ses partisans, à « Braden ou Perón ». En 1946, les Argentins ont choisi l’indépendance et la souveraineté nationale et ils ont pu les conserver au moins jusqu’en septembre 1955 et le coup d’État contre Perón réélu, organisé par la Marine avec l’aide et le soutien de la CIA.

Cette année, en toute connaissance de cause, avec près de deux ans d’expérience de la dérégulation à la sauce Mileí, avec la dépression qui s’annonce à l’horizon et des pertes d’emplois abyssales dans la fonction publique, les services et l’industrie, les Argentins viennent de choisir la soumission aux États-Unis de Donald Trump. Ils viennent de renoncer à leur souveraineté proclamée en 1816 et à la solidarité envers les plus vulnérables, au premier chef les malades et les handicapés, au plus grand profit des plus grosses fortunes du pays et des investisseurs/prédateurs étrangers. Ce triomphe de Mileí surprend tout le monde y compris dans son propre camp. Lui-même n’y croyait pas. La presse argentine, y compris celle de droite, reste bouche bée.

"La Libertad Avanza a fait un carton", dit le gros titre
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Il n’y a pas grand-chose à dire de plus devant ces résultats que sur place, mes amis argentins eux-mêmes ont bien du mal à comprendre. Malgré les scandales qui ont éclaté tout au long des deux ans et singulièrement depuis juin dernier, Mileí et sa clique emportent au moins un tiers des sièges à pourvoir au Congrès, ce qui aura pour effet de bloquer systématiquement toutes les tentatives de rejet des veto présidentiels, empêchera de toutes manières le vote de quelque loi que ce soit qui redistribue un tant soit peu les richesses du pays et financent la culture et l’économie du savoir ou, enfin, consacre le refus du président de mettre en œuvre les lois récemment votées pour maintenir en fonctionnement l’hôpital des enfants malades, le Garrahan, un établissement de pointe que toute l’Amérique du Sud enviait jusqu’à présent à Buenos Aires, ainsi que les universités nationales, à bout de souffle à cause du manque de budget.

"Mileí fait un carton, laisse le peronisme KO et appelle
les gouverneurs à faire un accord", dit le gros titre
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Avec 99,3 % des bureaux de vote dépouillés, vers 4h du matin heure locale, à l’heure où la plupart des quotidiens de presse écrite bouclaient leurs éditions d’aujourd’hui, on obtenait les résultats provisoires suivants :

A la Chambre des députés, qui devait être renouvelée de moitié, LLA (Mileí) remporte 40,7 % des voix et Fuerza Patria (courage, Patrie, ou vas-y, Patrie), regroupant tous les courants du peronisme de gauche unis pour présenter des candidatures communes, 34,9 %.
Au Sénat, dont un tiers des sièges était en jeu, LLA remporte 42 % et Fuerza Patria 36,9 %.
Dans un pays où le vote est obligatoire, seuls 68,4 % des électeurs se sont déplacés, un des chiffres les plus bas depuis le retour à la démocratie en décembre 1983.

Dans certaines provinces, les deux partis arrivent au coude à coude.

Pour les élections à la chambre basse, tel est le cas de la province de Buenos Aires (qui ne comprend pas la ville homonyme qui a largement plébiscité LLA), la province de Chubut en Patagonie, la province viticole et andine de La Rioja (où Fuerza Patria arrive en tête pour quelques décimales), La Pampa, au sud de la Province de Buenos Aires, et enfin Santa Cruz, le fief des Kirchner dans le sud de la Patagonie, où une étiquette locale, Fuerza Santacruceña, arrive en tête. Là aussi, quelques décimales la séparent de LLA (32,1 contre 31,7).
A Corrientes, dans le nord-est du pays, la province des agrumes et de la yerba mate, c’est un parti local qui obtient la première place, devant les mileistes puis Fuerza Patria.
A Formoza, dans l’extrême-nord argentin, les péronistes l’emportent très largement sous une étiquette locale, Frente para la Victoria (une étiquette peroniste qui date d’élections précédentes).
A San Juan, dans les Andes, la gauche de gouvernement, sous l’étiquette locale Fuerza San Juan, arrivent en tête avec un peu plus de 2 points d’avance sur le second, un parti local, tandis que LLA enregistre un peu plus de 8 points de retard sur les péronistes de Fuerza San Juan.
Dans la province de Tucumán où fut proclamée l’indépendance en 1816 et où est né le père de la Constitution, Juan Bautista Alberdi, une formation locale, Frente Tucumán Primero, devance de loin LLA, par 50,6 % contre 35,1.

"Mileí obtient un incontestable succès
et appelle à chercher des accords", dit le gros titre
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L’actuel ministre de la Défense, Luis Petri, est élu député avec une marge de presque 28 points sur les suivants. Il faudra donc le remplacer à la tête des armées. Ce pour quoi Mileí vient d’annoncer qu’il prendrait son temps pour remanier son gouvernement et d’ailleurs, le ministre de la Justice, qui avait annoncé son départ jeudi sur les réseaux sociaux, est tout près de se raviser : il se dit ce matin « indéfectiblement lié à l’aventure politique » de LLA.

Dans les mois qui viennent, il est à craindre que Mileí, encouragé par ce succès et par le soutien de son ami Trump, accorde une amnistie complète à tous les bourreaux de la dictature militaire de 1976-1983, qu’il fasse libérer ceux des condamnés qui restent incarcérés, qu’il détruise les outils de recherche des survivants, les enfants volés sous cette même dictature et que recherche l’association Abuelas de Plaza de Mayo, ces outils qui ont montré la voie à tant d’autres pays où des phénomènes similaires ont existé avec la population autochtone comme en Irlande ou en Espagne ou avec la population des colonies ou ex-colonies (la France est d’ailleurs concernée avec le cas de très nombreux enfants réunionnais) et qu’il fasse fermer les lieux de mémoire dédiés aux victimes de cette terrible Junte ou qu’il les vende au plus offrant comme du foncier ou de l’immobilier quelconque.

Voyons aussi comment se développera, si elle se poursuit, l’instruction concernant le député mileiste José Luis Espert, impliqué dans un immense scandale de trafic de drogue et de financement de sa campagne par un criminel que la justice du Texas veut juger pour ce type de trafic ainsi que l’enquête internationale (Argentine - États-Unis) sur le scandale de la crypto-monnaie $ Libra dans lequel Mileí et sa sœur sont tous deux fortement impliqués.

Leur pays, sa réputation sur la scène internationale et leur propre vie personnelle s’en vont à vau-l’eau mais les Argentins s’en moquent ! Ils ne se mobilisent même pas pour voter.

© Denise Anne Clavilier


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