Comme tous les ans, le Carnaval de Buenos Aires (Carnaval Porteño) se déploiera sur les 3 premières semaines de février. Pour des raisons de comodité urbaine et pour l’exploitation touristique de l’événement, ce Carnaval, déclaré d'Intérêt culturel il y a quelques années par le Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, a été décorellé de la date variable du Mercredi des Cendres pour être tout entier inclus dans la période des vacances scolaires d'été. Cette année, les Cendres tombant le 25 février, le Carnaval continuera peut-être pendant le Carême.
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Le Carnaval de Montevideo aura lieu, quant à lui, du 3 au 16 février 2009.
Lien avec la page 2009 du Carnaval de Montevideo.
Des Carnavals existent partout dans toutes les agglomérations, grandes et petites, de la région, à des dates sensiblement similaires et sur des durées variables.
3ème grand événement, mais d’une autre nature : La Cumbre Mundial del Tango (Sommet Mondial du Tango) à San Carlos de Bariloche (en Patagonie) se tiendra du 5 au 13 mars 2009. Il va réunir de nombreuses artistes, producteurs, éditeurs, directeurs de théâtre et de centres culturels dans la station de ski la plus réputées d’Argentine à la fin de l’automne. On en parle comme d’une petite Suisse Argentine. Et il est vrai que les chocolats de Bariloche sont réputés à juste titre (ceci dit, tous les chocolats du monde sont les meilleurs, du moment qu’ils sont faits avec le coeur).
Cette semaine même, en Argentine comme en Uruguay, ont lieu les Carnavales de Reyes, plus courts que ceux qui précédent le Carême (quelques jours seulement), mais très festifs eux aussi.
A cette occasion, Montevideo a interdit plusieurs de ses rues à la circulation automobile, les bus sont détournés et tutti quanti, depuis hier lundi 5 janvier et jusqu’au jeudi 8 inclus. Il faut des artères libres pour laisser passer les défilés des Rois Mages, avec leurs chameaux, leurs équipages chamarrés et toute leur cour aussi exotique que possible, le tout en fonction des ressources financières et de l’imagination matérielle des organisateurs du défilé (el corso).
Des défilés similaires ont lieu aussi en Espagne mais aujourd’hui seulement (le 6 janvier) et avec un moindre degré dans la luxuriance et les déguisements (il est vrai aussi qu’il y a d’autres fêtes à défilé en Espagne : Moros y Cristianos sur la côte méditérannéenne, Semana Santa partout sur toute la péninsule...).
Sous les tropiques, en Guyane française, les deux Carnavals ont de fait fusionné en un seul qui commence à l’Epiphanie et se termine sur la gigantesque fête des 3 jours gras et fériés (dimanche, lundi et mardi gras, du 22 au 24 février cette année).
Le Carnaval est arrivé en Amérique du Sud sur les pas des Espagnols (et des Portugais), comme une coutume chrétienne - qu’il n’est pas. Tout au contraire. Avec la fête irlandaise d’Halloween, qui se fête le 31 octobre, vieille fête celtique 100% pré-chrétienne, le Carnaval est la seule fête païenne à être arrivée jusqu’à nous sans avoir été intégrée et digérée puis revêtue d’habits chrétiens avec éléments liturgiques à la clé (1). Le carnaval est en fait la forme actuelle post-romaine d’une très ancienne fête qui est attestée dès les premiers temps de la Rome antique pendant laquelle durant 2 ou 3 jours l’ordre social ordinaire était suspendu, voire renversé, quelques jours où les femmes pouvaient accéder à une existence publique et se montrer à l’extérieur de leur maison, où les esclaves pouvaient manquer de respect à leurs maîtres, où le soldat répondre à ses officiers... Dans la société esclavagiste qui s’installa dans le Nouveau Monde dès l’arrivée des Européens, le Carnaval fut l’une des rares coutumes européennes profondément adoptées par les esclaves qui trouvaient dans ces réjouissances le moyen d’échapper momentanément à l’humiliation et à la dureté de leur servitude. Ces hommes et ces femmes venaient la plupart du temps de l’ouest africain, c’étaient des prisonniers de guerres locales ou des sujets que leur roi avaient vendus aux Européens. Ils étaient à leur arrivée en Amérique plus ou moins christianisés (quelques uns furent baptisés), sous la contrainte, ne serait-ce que celle de la servitude, par leurs propriétaires, dans un Empire surveillé par l’Inquisition espagnole, une inquisition plus politique que religieuse. Instituée au début pour traquer les pratiques juives et musulmanes clandestines, strictement interdites sur l’ensemble des terres du Roi d’Espagne à la fin du 15ème siècle (2), l’Inquisition a très vite étendu sa traque (toujours pour atteindre des buts politiques d’unification religieuse absolue) à toute pratique déviante, donc réputée démoniaque et à laquelle bien entendu les rituels animistes des Africains ne pouvaient qu’être assimilés. Buenos Aires a même vu s’installer chez elle un Grand Inquisiteur en 1776, lorsqu’elle a été élevée au rang de capitale du Vice-Royaume des Provinces du Río de la Plata. Et un Grand Inquisiteur fut aussi l’un des tout premiers symboles de l’Empire colonial à être renvoyé d’où il venait dès 1810, dans la grande vague de libéralisme politique qui fondait la Revolución de Mayo (25 mai 1810).
Le temps qui précède le Carême et son jeûne de viande est longtemps resté en Europe celui où l’on faisait bombance pour épuiser (et ne pas laisser perdre) les dernières ressources de viande salée conservées depuis l’automne (principalement du lard, qui servait à assaisonner les plats de légumes et légumineuses qui constituaient l’essentiel du régime alimentaire d’une population très majoritairement paysanne).
Dans le Nouveau Monde et particulièrement dans les villes ou les campagnes agraires (comme le sont les régions de Buenos Aires et de Montevideo), le sort des esclaves était moins rude que dans les mines du Potosí ou n’importe quel autre chantier de travaux de force où il n’y avait pas vraiment de Carnaval mais seulement des mineurs et des garde-chiourmes.
Au bord du Río de la Plata, donc, le renversement des valeurs sociales, le cortège de déguisements, de danses et de musique qui caractèrisent le Carnaval a pris le dessus sur les dimensions alimentaires car c’était l’un des rares moments de l’année où les Africains et esclaves fils d’esclaves pouvaient, sous prétexte de déguisement, renouer avec leurs racines culturelles, avec leurs rites ancestraux, pratiquer leurs musiques et leurs danses toutes porteuses de significations animistes et vivre pour quelques temps dans l’année leur dignité d’homme. Du coup, le Carnaval s’est étendu en durée sur plusieurs semaines, d’autant que dans l’hémisphère sud, cette période est celle de l’été, avec des jours longs, des températures clémentes (voire des vagues de chaleur à Buenos Aires) et une abondance de nourriture fraîche : fruits, légumes, lait, oeufs et même viande, qui n’a jamais manqué en Argentine ou en Uruguay qui furent les grands pourvoyeurs de cuir des Armées espagnoles (et Dieu sait si la cavalerie et l’artillerie des 16e, 17e et 18e siècles étaient consommatrices de cuir !).
Le Carnaval de Reyes a pris de l’ampleur dans le sous-continent pour les mêmes raisons. Et par un phénomène de syncrétisme très puissant, aussi important en Argentine et en Uruguay qu’au Brésil (où ce phénomène est davantage connu, à cause du Carnaval de Rio), ces deux époques festives de défilés et de déguisements ont donné naissance à une foule de personnages, d’archétypes (et de costumes) directement issus de la culture africaine et tant bien que mal grimés, sous l’oeil vigilants des inquisiteurs, en figures traditionnelles de l’iconographie christiano-européenne (angelots, chérubins, pages, fous et surtout diablotins), dans des profusions de couleurs, qui étaient parfois des signes de reconnaissance pour les noirs (car les inquisiteurs n’y voyaient que du feu).
Aujourd’hui, pendant le Carnaval, chaque quartier a ses couleurs et son type de costume, chaque comparsa (groupe de défilé, de musique) a sa mélodie emblématique, son rythme et son style de marche, ses types de tambours etc. Le temps de carnaval est aussi un temps de bals populaires, de kermesse, de convivialité vécue sur la place publique. D’où le grand attrait touristique qu’il représente.
A Buenos Aires, le carnaval tel qu’il existe aujourd’hui date de 1869. Il est donc sous sa forme actuelle antérieur à la grande vague d’immigration qui a démarré quelques années plus tard, vers 1875-1880.
(1) contrairement à Noël, à la Chandeleur, à la St Jean Baptiste, à l’Assomption, à la Toussaint, dont les dates ont été choisies pour faire mémoire de certaines éléments de la foi chrétienne sans que la situation dans l’année et le cycle des saisons de la célébration n’en soit fixée par les Ecritures contrairement au cycle de Pâques-Pentecôte, scripturairement très précis et non théologiquement modifiable. Ces fêtes vinrent donc dans les premiers siècles de l’ère chrétienne occuper peu à peu diverses dates bien ancrées dans les moeurs de l’Empire Romain auxquelles elles se substituèrent progressivement au fur et à mesure que la signification païenne des anciennes festivités s’effaçait des mémoires ou des coeurs. De la même manière, de nos jours, Noël demeure une grande date festive, marquée par une grosse activité commerciale et des concours de ripaille, et alors qu’elle commence même à s’étendre, comme fête des cadeaux et des illuminations, au-delà de la zone chrétienne (en Chine, au Japon...), elle se vide de plus en plus de sa dimension chrétienne, du moins parmi la population européenne qui en fait, dans sa majorité, autre chose.
(2) Le Roi d’Espagne ne se servit jamais de ses possessions d’outre-mer comme d’un déversoir pour les indésirables de la Péninsule. Les indésirables étaient chassés (ou arrêtés et mis à mort, notamment les juifs convertis convaincus de judaïser en secret ou les musulmans convaincus eux aussi de trahir leur baptême forcé). Les criminels de droit commun, quant à eux, devenaient des galériens quand ils échappaient à l’exécution.
A l’inverse de l’Angleterre (et un peu de la France aussi) qui fit de ses territoires d’Amérique du Nord (puis d’Australie) une espèce de sanctuaire où les indésirables, adeptes de certaines obédiences religieuses rebelles à l’ordre anglican mais aussi anciens bagnards, filles perdues, asociaux divers et variés, pouvaient partir s’installer du moment qu’ils débarrassaient le plancher insulaire et cessaient de compromettre la monarchie dans ses rôles temporel ou spirituel (de chef des Eglises locales). D’où aux Etats-Unis et, à un moindre degré, au Canada et en Australie, une immigration très communautariste et fort peu individuelle : les puritains du Mayflower, les méthodistes, les baptistes..., puis après l’Indépendance, l’organisation par communauté nationale des nouveaux arrivants.
Alors qu’en Argentine, l’immigration fut d’abord une immigration espagnole assez uniforme qui se métissa certes quelque peu avec les Indiennes dans les couches populaires puis après l’Indépendance ce fut une immigration individuelle, essentiellement masculine pendant les premières décennies de la grande vague migratoire de 1880-1930, et qui donna lieu à un authentique brassage culturel afro-pan-européen dont témoignent la gastronomie et la musique populaire, en particulier le tango argentin et le candombe uruguayen (voir l’article de Barrio de Tango sur les villancicos et le menu du réveillon ou celui que j’ai consacré au panier de la ménagère en septembre). Il n’y a pas en Argentine ce melting-pot à la nord-américaine qui est en fait une mosaïque de quartiers ethniques posés les uns à côté des autres : italien, juif, russe, noir, chinois, latino, irlandais, et même des quartiers français qui se sont maintenus dans quelques villes de Louisiane...