Le Gouvernement de la Ville autonome de Buenos Aires a lancé un appel d’offres public pour un monument qui rendra hommage au compositeur et bandonéoniste Astor Piazzolla (1921-1992).
La sculpture sera érigée esquina Callao y Libertador, située dans le quartier de la Recoleta.
Le lieu a été retenu parce que dans Balada para un loco (Astor Piazzolla - Horacio Ferrer), qui marqua une véritable révolution du tango canción lors de sa création en 1969, le fou dont il est question et qui erre en divagant dans les rues de la Recoleta (le quartier où Horacio Ferrer a ses racines portègnes), fait, dans son délire, une allusion à l’avenue Callao. Ce vers qui appartient à la première strophe chantée (ce tango s’ouvre avec un texte parlé), est devenu à Buenos Aires une espèce de citation-réflexe, une pierre de touche de l’univers culturel, esthétique, émotionnel du Portègne Lambda (et ça se chante, ça ne se dit pas) : "¿No ves que va la luna rodando por Callao?" (Tu ne vois pas que la lune s’en va rôder du côté de Callao). A Buenos Aires, on chante cette phrase aussi absurde qu’évocatrice et mélodieuse comme en France, ou en Belgique et Suisse francophones, on dit "Les sanglots longs des violons de l’automne" (1) ou "Bon appétit messieurs les ministres intègres" (2) ou "...Avec un ciel si bas qu'un canal s'est perdu /Avec un ciel si bas qu'il fait l'humilité..." (3).
Cet appel d’offre est lancé par la Comisión Honoraria de Homenaje a Astor Piazzolla, composée de représentants du Ministère de la Culture du Gouvernement de Buenos Aires, d’élus de la Legislatura (parlementaires portègnes) et de la Fundación Astor Piazzolla (sur les destinées de laquelle veille la veuve du compositeur). Le jury sera composé de neufs membres, 3 représentants de la Fundación (déléguées à cette fin par celle-ci), 2 personnalités représentant la Academia Nacional del Tango d’une part et la Direction Générale du Patrimoine et de l’Institut Historique de Buenos Aires, d’autre part, nommées par la Legislatura et de 3 personnalités désignées par le Ministère portègne de la Culture choisies parmi les hauts fonctionnaires territoriaux. Ce jury compte trois femmes.
Les projets doivent être remis entre le 1er et le 11 février prochain, du lundi au vendredi de 10h à 16h exclusivement, à la Direction Générale des Musées de la Ville. Une pré-sélection de projets sera rendue publique le 11 mars et le 15 avril aura lieu l’annonce du résultat définitif.
L’artiste sera responsable de toute la réalisation de l’oeuvre. Le concours a été ouvert le 5 novembre dernier.
Prions pour que l’oeuvre soit belle et digne de l’artiste ainsi honoré. Car on ne peut pas dire que les oeuvres sculpturales généralement retenues à travers ces appels d’offre constituent des hommages véritablement heureux. A Buenos Aires, autant l’art pictural, les murales, les portraits, les plaques fileteadas, donnent souvent des oeuvres très belles et profondément émouvantes, autant la statue de Gardel qu’on voit à l’Abasto, devant la Esquina Carlos Gardel, le buste de Pugliese à Villa Crespo, le Monumento al Tango inauguré il y a un an environ à Puerto Madero ou la Floralis Genérica à la Recoleta sont peu inspirés. La statue de Gardel et le buste de Pugliese sont même franchement ratés : on y cherche en vain une trace, un petit quelque chose qui rappellerait, même de loin, la personnalité de Gardel ou de Pugliese. Pire, sur son buste, Pugliese, que toutes ses photos nous montrent incroyablement souriant, jovial et fraternel, se paye le luxe de vous tirer une trombine que vous vous demandez ce que vous lui avez fait de mal pour qu’il vous regarde comme ça ! En revanche, la statue de Gardel au cimetière de la Chacarita recèle une vraie émotion et la caricature de Pugliese, assis à son piano, avec son énorme paire de bésigles (de la même artiste pourtant) est véritablement touchante et elle est juste au-dessus du buste (où elle a été replacée cet hiver, cf. mon article du 23 juillet 2008 à ce sujet).
Une bonne dose de folie dans les oreilles, ça s’impose pour finir. En attendant de découvrir l’oeuvre sur place plus tard...
Balada para un loco, chanté par Roberto Goyeneche, le créateur de la version masculine, dans l'enregistrement de la création avec l'orchestre d'Astor Piazzolla. (En toute honnêteté, il faut rappeler que Balada para un loco a été créé par Amelita Baltar, la seconde femme d’Astor Piazzolla, avec un texte subtilement mais substantifiquement différent : vous pouvez lire les deux versions sur le site Todo Tango, à la section Letras soit par l’ordre alphabétique soit en allant ouvrir la page d’Horacio Ferrer).
(1) Verso de Chanson d’Automne de Paul Verlaine, le Prince des poètes (1844-1896). Durante la segunda guerra mundial, estas palabras se escucharon en el programa de la BBC hacia los franceses de la resistancia interior. Eran el anuncio del desembarque aliado del 6 de junio del 1944, el D Day, en la costa francesa.
(2) Primer verso del gran parlamento de Ruy Blas (acto III, escena 2) de Victor Hugo (1802-1885)
(3) Dos versos de la estrofa 3 de Le plat pays, canción de Jacques Brel (1929-1978), en homenaje a su país, Belgica. Para los lectores a quienes les interesa saber más de este cantautor genial, acá el enlace al sitio Web oficial.