Le
14 mars, Pepe Mujica bougonnait dans sa moustache que tout ce qu'il
avait en commun avec le "Pape
argentin", c'était
le tango et le mate. Quelques semaines plus tard, on l'entendit
clairement grommeler entre ses dents à l'un de ses proches au
sujet de la "mégère"
[Cristina] qui se rengorgeait avec "son
Pape argentin". Bref,
cette élection-là lui restait en travers de la gorge et
l'interprétation qui lui était donnée dans le
monde entier et surtout de l'autre côté du Río de
la Plata n'avait pas l'heur de lui plaire.
Et
voilà que de passage en Espagne, où il a reçu un
prix dans le cadre des célébrations du Bicentenaire de
la constitution de 1812, le truculent Président de la
République Orientale de l'Uruguay, l'ancien guerrillero
révolutionnaire, José Mujica, dit affectueusement Pepe,
a tout de même fait le détour par Rome pour se jeter
dans les bras du Pape François dont il se gaussait il y a deux
mois ! Après Cristina et Dilma, ses deux voisines, et après
Rafael (Correa), son compère équatorien, il faut croire
que Pepe n'a pas résisté. Les photos en disent en effet
plus qu'un long discours. D'ailleurs, les articles de journaux sont
tous brefs, tant sur le site du Vatican et dans les colonnes de
l'Osservatore Romano, que dans les journaux uruguayens, qui n'ont
relaté l'audience d'hier samedi qu'en reprenant des dépêches
d'agence et les photos exclusives de l'AFP. Pourtant l'entrevue a été
très longue, beaucoup plus longue que d'habitude pour un Chef
d'Etat : quarante-cinq minutes lorsque d'ordinaire l'entretien privé,
hors témoins, dure une vingtaine de minutes.
Capture d'écran de La Red 21, hier soir |
En
fait, ce Pape est en train de retourner tout ceux qui l'approchent,
même parmi ses adversaires les plus tenaces. Estela de Carlotto
était toute remuée, elle qui suivait si volontiers
(sans toutefois pousser l'accusation aussi loin que lui) les thèses
arbitraires développées par Horacio Verbitsky sur
l'attitude du Pape, alors Provincial des Jésuites, pendant la
Dictature (voir mon article du 25 avril 2013).
Pepe
Mujica a été emballé par la personnalité
qu'il a rencontrée. Parler avec le Pape serait, d'après
lui, comme parler avec un ami du quartier. Il attend du Pape une
révolution dans l'Eglise et le rapport qu'il a fait de son
entretien relève d'une grille de lecture politique,
particulièrement inadaptée sur la nature spirituelle de
l'action du Pape. Mais c'est déjà beaucoup de la part
du vieux baroudeur du Frente Amplio, la grande tradition de la gauche
uruguyenne, dont Mujica représente l'un des courants les plus
mal-pensants, si l'on me permet ce concept à l'envers.
Avec
son habituel sens de la diplomatie, le Pape François a
présenté Mujica comme un sage, il semble même
l'avoir tutoyé, selon une tendance qu'il a manifestée
déjà dans toutes sortes d'occasions, religieuses ou
plus protocolaires.
Extrait Osservatore Romano, daté du 2 juin 2013, page 1 |
Cette
belle familiarité humaine ne semble guère plaire à
Página/12 qui reprend ce matin, dimanche, son ton hostile, en
publiant, sans s'appuyer sur aucun fait d'actualité saillant,
un article indigeste et hargneux de Horacio Verbitsky, qui laisse
tomber ses hantises des annés de plomb et noie le lecteur sous
un flot de chiffres de mauvais aloi à travers lesquels il
s'efforce de le persuader que l'Eglise entretient la pauvreté
en Argentine, en exagère les statistiques, le tout à
seule fin de discréditer le gouvernement de Cristina de
Kirchner (2), et un autre article de Washington Uranga, qui spécule
à vide sur le Pape François à partir de rumeurs
recuites, romaines et portègnes, qu'il traite comme des faits
dignes de foi en tachant d'insinuer que le Pape continue à
cacher son jeu et à intervenir dans la politique argentine par
des coups de fil incessants. Ce n'est pas qu'il s'agisse d'un article
creux ou anecdotique comme ceux de Clarín ou La Nación,
sur le même sujet, mais d'un texte de non-information qui se
présente comme une analyse de fond. C'est lui, Washington
Uranga, qui revient sur les calomnies cultivées par Verbitsky,
lequel semble quant à lui avoir donc déserté ce
sujet pour aller chercher sa tête de Turc préférée
sur d'autres terrains, tout aussi spécieux.
Pour
aller plus loin sur l'entrevue entre Pepe Mujica et le Pape François
:
lire
l'article de El País (le quotidien de Montevideo, à ne
pas confondre avec son homonyme espagnol). El País vous
propose aussi la vidéo de la rencontre (les images sont
fournies par le Service d'Information du Vatican, sur le site duquel
vous disposez de vidéos agrémentées de plusieurs
canaux linguistiques, dont le français, que vous ne trouverez
évidemment pas sur le site d'un quotidien uruguayen)
lire
l'article de El País sur les positions développées
par Mujica la veille en Espagne, sur l'avortement (qu'il vient de
faire légaliser en Uruguay, voir mon article du 18 octobre 2012) et la consommation du cannabis.
En
Argentine, Página/12 y allait samedi de sa mise à jour
en pleine journée, un petit billet un soupçon aigre...
Le
Vatican a, pour sa part, publié des communiqués
au ton qui évolue selon que l'on parle français ("Le
Pape reçoit chaleureusement le Président uruguayen"),
anglais ("Le Pape François reçoit le Président de
l'Uruguay"), espagnol ("Le Pape François reçoit le
Président de la République Orientale de l'Uruguay") ou italien ("Droits de l'homme et paix sociale au centre de l'entretien
entre le Pape et le Président uruguayen").
(1)
Evangile de Jean, chapitre 21, versets 4 à 13, récit
dit de la pêche miraculeuse. Le Pape est la figure du pêcheur
par excellence qui a pour mission de pêcher non des poissons
mais des hommes, c'est-à-dire de les tirer du mal car dans la
symbolique de l'Ancien Testament, la mer, c'est un symbole du mal qui
veut engloutir l'homme. Or il faut bien le dire, dans cette
circonstance, Mujica est bien un gros poisson !
(2)
Quelle aberration que cet homme qui a tant lutté pour la démocratie
soit aussi intolérant et incapable d'accepter dans les faits
le droit qu'a toute opposition de s'exprimer. D'autant que le 26 mai, le
même journal reconnaissait les rapprochements des positions
entre l'Eglise en Argentine et le Gouvernement (voir mon article du 27 mai 2013).