En bas, les pains dits Felipe, en haut à la hauteur de la vendeuse, vous reconnaissez les criollitos dont je vous ai donné la recette il y a quelques semaines et au premier plan, les pebetes, des sortes de pains au lait dont on fait de savoureux sandwiches |
De
manière endémique en Argentine, le marché
intérieur manque de blé, de lait et de viande, un
comble pour un pays qui est parmi les leaders mondiaux pour ces trois
productions. Buenos Aires et sa banlieue sont souvent aux
avant-postes de ces carences car la région rassemble un quart
de la population de tout le pays et connaît donc de ce fait
davantage de problèmes d'approvisionnement que dans le reste
du territoire. Ces carences sont dues à la priorité que
beaucoup de (gros) producteurs (1) accordent à leurs intérêts
privés (exporter au prix fort, notamment grâce à
la demande exponentielle des pays émergents, et engranger des
devises) au détriment de ceux de la population locale. Chaque
année, le gouvernement en place (Cristina Kirchner) retient
pour le marché interne une partie de la récolte
céréalière en contrôlant ou en tentant de
contrôler les exportations, ce qui a d'ailleurs des effets sur
notre propre consommation puisque nos propres prix alimentaires
augmentent lorsque la production argentine sur le marché
mondial du blé, des autres céréales (avoine et
maïs en particulier), du lait et de la viande.
C'est
sur ce fond qu'en pleine campagne électorale pour les
législatives de mi-mandat, une fédération des
industries meunières s'est mise d'accord avec son homologue
des industries boulangères pour fournir aux points de vente de
détail le pain de base, dit tipo Felipe, à un prix
raisonnable sur la capitale fédérale et sa banlieue,
soit entre 20 et 10 pesos le kilo, alors que ce pain se vend entre 30
et 40 $ (2).
En
trois mois, à cause de la pénurie artificielle
instaurée dans le pays par l'absence d'une politique d'Etat
consentie par le secteur agricole, comme elle existe notamment en
Europe, le prix du sac de 50 kg de farine livré par le meunier
au boulanger ou à la fabrique agro-alimentaire serait passé
d'environ 150 $ à 250 $ actuellement. Soit beaucoup plus que
l'inflation globale sur la même période.
Les
meuniers membres de la Fédération signataire viennent
de s'engager à livrer aux boulangers de Buenos Aires et de sa
ceinture la farine d'entrée de gamme (tipo Felipe) à
prix coûtant pour que tous les Argentins puissent avoir du pain
sur leur table. Les industries boulangères s'engagent elles
aussi à modérer la répercussion de leurs coûts
sur les prix de vente aux consommateurs. Dans leurs communiqués,
les signataires reconnaissent que l'amélioration du niveau de
vie argentin a beaucoup bénéficié à leurs
secteurs respectifs et qu'ils peuvent donc se permettre cette mesure
d'équité sociale et économique.
Deux
interprétations antagonistes : la majorité y voit
une bonne mesure de rationalisation du marché et un bon calcul de la part des acteurs économiques, l'opposition y
voit une manœuvre démagogique suscitée en sous-main
par un ministre dans le cadre de l'actuelle campagne électorale
pour lutter artificiellement contre l'inflation. C'est tout de même
un monde de voir ainsi le mal partout y compris sur des mesures qui
peuvent aussi relever du simple bon sens et de la conscience du bien
commun.
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Página/12, le plus détaillé en ce
qui concerne l'analyse de la conjoncture économique (majorité)
lire
la dépêche de Télam (majorité)
lire
l'article de Clarín (opposition)
lire
l'article de La Nación sur l'accord (opposition)
lire
l'article de La Nación sur l'action du ministre Guillermo Moreno qui
serait à l'origine de l'accord
lire
l'article de La Prensa (opposition)
(1)
En Argentine, le secteur agricole compte très peu de petits
producteurs indépendants. L'immense majorité des
domaines sont gigantesques et ressemblent plus à des
entreprises cotées en bourse qu'aux exploitations familiales
que nous connaissons en Europe.
(2)
En août dernier, lors de mon séjour à Buenos
Aires, si je me souviens bien, il était déjà
au-delà des 20 $ le kilo dans les boulangeries de quartier où
j'ai l'habitude de faire mes courses. Le prix était plus bas
au supermarché Coto pour le pain frais produit par l'enseigne.