mercredi 26 juin 2013

Meuniers et boulangers luttent contre la hausse des prix [Actu]

En bas, les pains dits Felipe, en haut à la hauteur de la vendeuse,
vous reconnaissez les criollitos dont je vous ai donné la recette il y a quelques semaines
et au premier plan, les pebetes, des sortes de pains au lait dont on fait de savoureux sandwiches
De manière endémique en Argentine, le marché intérieur manque de blé, de lait et de viande, un comble pour un pays qui est parmi les leaders mondiaux pour ces trois productions. Buenos Aires et sa banlieue sont souvent aux avant-postes de ces carences car la région rassemble un quart de la population de tout le pays et connaît donc de ce fait davantage de problèmes d'approvisionnement que dans le reste du territoire. Ces carences sont dues à la priorité que beaucoup de (gros) producteurs (1) accordent à leurs intérêts privés (exporter au prix fort, notamment grâce à la demande exponentielle des pays émergents, et engranger des devises) au détriment de ceux de la population locale. Chaque année, le gouvernement en place (Cristina Kirchner) retient pour le marché interne une partie de la récolte céréalière en contrôlant ou en tentant de contrôler les exportations, ce qui a d'ailleurs des effets sur notre propre consommation puisque nos propres prix alimentaires augmentent lorsque la production argentine sur le marché mondial du blé, des autres céréales (avoine et maïs en particulier), du lait et de la viande.

C'est sur ce fond qu'en pleine campagne électorale pour les législatives de mi-mandat, une fédération des industries meunières s'est mise d'accord avec son homologue des industries boulangères pour fournir aux points de vente de détail le pain de base, dit tipo Felipe, à un prix raisonnable sur la capitale fédérale et sa banlieue, soit entre 20 et 10 pesos le kilo, alors que ce pain se vend entre 30 et 40 $ (2).

En trois mois, à cause de la pénurie artificielle instaurée dans le pays par l'absence d'une politique d'Etat consentie par le secteur agricole, comme elle existe notamment en Europe, le prix du sac de 50 kg de farine livré par le meunier au boulanger ou à la fabrique agro-alimentaire serait passé d'environ 150 $ à 250 $ actuellement. Soit beaucoup plus que l'inflation globale sur la même période.

Les meuniers membres de la Fédération signataire viennent de s'engager à livrer aux boulangers de Buenos Aires et de sa ceinture la farine d'entrée de gamme (tipo Felipe) à prix coûtant pour que tous les Argentins puissent avoir du pain sur leur table. Les industries boulangères s'engagent elles aussi à modérer la répercussion de leurs coûts sur les prix de vente aux consommateurs. Dans leurs communiqués, les signataires reconnaissent que l'amélioration du niveau de vie argentin a beaucoup bénéficié à leurs secteurs respectifs et qu'ils peuvent donc se permettre cette mesure d'équité sociale et économique.

Deux interprétations antagonistes : la majorité y voit une bonne mesure de rationalisation du marché et un bon calcul de la part des acteurs économiques, l'opposition y voit une manœuvre démagogique suscitée en sous-main par un ministre dans le cadre de l'actuelle campagne électorale pour lutter artificiellement contre l'inflation. C'est tout de même un monde de voir ainsi le mal partout y compris sur des mesures qui peuvent aussi relever du simple bon sens et de la conscience du bien commun.

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12, le plus détaillé en ce qui concerne l'analyse de la conjoncture économique (majorité)
lire la dépêche de Télam (majorité)
lire l'article de Clarín (opposition)
lire l'article de La Nación sur l'accord (opposition)
lire l'article de La Nación sur l'action du ministre Guillermo Moreno qui serait à l'origine de l'accord
lire l'article de La Prensa (opposition)


(1) En Argentine, le secteur agricole compte très peu de petits producteurs indépendants. L'immense majorité des domaines sont gigantesques et ressemblent plus à des entreprises cotées en bourse qu'aux exploitations familiales que nous connaissons en Europe.
(2) En août dernier, lors de mon séjour à Buenos Aires, si je me souviens bien, il était déjà au-delà des 20 $ le kilo dans les boulangeries de quartier où j'ai l'habitude de faire mes courses. Le prix était plus bas au supermarché Coto pour le pain frais produit par l'enseigne.