dimanche 18 août 2013

L'hommage de Miguel Rep à San Martín [Humour]

Au lendemain du Día de San Martín, le 17 août 2013, qui vaut à l'Argentine la torpeur d'un long week-end hivernal, puisque lundi sera férié, l'irrévérencieux dessinateur de presse Miguel Rep, que mes lecteurs connaissent bien, a renouvelé son hommage au héros national (1778-1850), dont vous savez désormais qu'il est mort sur le sol français, deux jours après l'Assomption, dans la belle ville de Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais (j'ai eu l'occasion d'en parler assez longuement hier sur Concepto FM, en direct et... en espagnol !).

L'année dernière déjà, alors que je mettais la dernière main à la énième épreuve de San Martín, à rebours des conquistadors (Editions du Jasmin, décembre 2012), le même artiste s'était fendu d'une vignette pas piquée des hannetons que je vous avais déjà traduite (et dont vous comprendrez mieux les subtilités après avoir lu mon bouquin) – voir l'article du 30 octobre 2012.

Voici la vignette de cette année, parue dans Página/12 en ce long week-end et reproduite aussitôt dans le blog du peintre. Il y a bien entendu deux grilles de lecture, l'une historique (l'Argentine était alors encore plongée dans une guerre civile entre fédéraux et unitaires) et l'autre partisane, qui ne quitte pas d'un pouce l'actualité politique de cette campagne électorale où tous les partis défouraillent à tout va.



"Je suis José de San Martín. Je suis mort hier, mon corps n'aura plus jamais mal aux dents (1). Ce n'est plus qu'une crampe étrangère (2). Pour ma part, je suis désormais ailleurs. Ma fille reste là, avec les problèmes de succession (3). Maintenant je vois tout, moi qui étais privé de tout par la cataracte. Je vois Boulogne, la mer, les couleurs de l'été (4). Je vois une poignée de gens qui viennent saluer mes restes (5). Je vois ce que je n'ai jamais aimé chez les gens. Ceux qui jouent les bons apôtres. Ils passent leur temps à t'embobiner. Sourires, belles paroles et trahison. Un vrai truc de politicien. Je ne suis pas, je n'ai jamais été bien commode (6). J'aurais dû écrire cette maxime (7) : Ne te fie pas à ceux aux saintes-nitouche. Et mon pays en est rempli (8). Ils arrivent tout d'un coup, ils coupent la parole avec leur petit sourire faux-jeton et leur vide sidéral. Enfin ! j'espère qu'ils finiront par apprendre quelque chose ! J'ai toujours pensé aux autres. Serait-ce cela, l'immortalité : être lucide ? L'immortalité durera-t-elle longtemps ou a-t-elle une fin ? L'immortalité est-elle mortelle ? (9) Et puis flûte, que m'importe si je ne l'ai pas méritée ? Qu'ai fait [après tout] ? Travailler pour l'oubli. Je ne suis pas plus important que cette mouche sur mon cadavre. Allez, profitez-en bien !" (10)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Miércoles 21 de agosto, presentación (en castellano) de San Martín, à rebours des conquistadors, primera biografía en francés del General, en el CCC Floreal Gorini, Corrientes 1543, sala Dubrovsky (3r piso). Entrada libre y gratuita.



(1) L'expression originale argentine est "avoir des fourmillements".
(2) Allusion à la description de sa mort par les témoins oculaires.
(3) Allusion probable au leg de son cimeterre à Juan Manuel de Rosas (1793-1877), alors Gouverneur fédéral de la Province de Buenos Aires (et pas tendre avec ça), qui rendit furieux les unitaires qui estimaient que ce sabre ne pouvait pas revenir à cet assassin de Rosas. San Martín récompensait par ce don posthume le courage et le patriotisme dont Rosas avait fait preuve au cours des années 1840 contre les Français et les Britanniques qui avaient tenté d'imposer leur loi à le toute jeune Argentine.
(4) En Argentine, le mois d'août renvoie à l'hiver.
(5) La famille Balcarce-San Martín, autour de Mercedes, la fille, se conformant aux dernières volontés du défunt, était restée très discrète sur ce décès jusqu'au jour de la sépulture.
(6) C'est surtout une légende en ce qui le concerne. Il n'était pas tendre avec les traîtres mais avec les personnes de bonne foi, ses contemporains ont toujours décrit un homme délicieux, aimable, conciliant au-delà de l'imaginable et personnellement très attachant. C'est bizarre de trouver cet élément de la légende mitriste sous la plume d'un journaliste de Página/12.
(7) Allusion à un texte de San Martín que les Argentins apprennent par cœur à l'école et qu'en général, devenus adultes, ils vomissent tant ils l'interprètent de travers. Mais il faut voir aussi comment c'est enseigné aux gamins. Tout est dans la biographie que j'ai publiée aux Editions du Jasmin.
(8) Et une cuillerée pour l'opposition !
(9) Je suppose qu'il y a là une allusion à la réputation de philosophe qui s'attache, non sans raison, à San Martín. Encore que sa philosophie n'ait jamais semblé très portée sur la métaphysique...
(10) Je suppose qu'il parle ici du long week-end et du jour férié de lundi.