Une du supplément culturel de Página/12 |
Il
avait 90 ans et il vivait retiré depuis plusieurs années.
Eduardo Yamil (1) Falú, né à Salta le 7 juillet
1923, dans une famille de commerçants d'origine syriaque (la
vieille tradition phénicienne !), a été et
demeurera l'un des très grands compositeurs, chanteurs et
guitaristes du folklore argentin, à côté de
figures comme Mercedes Sosa, Ariel Ramírez ou Atahualpa
Yupanqui. Il est une part de la contribution essentielle et abondante
du Nord-Ouest argentin au patrimoine musical national.
Sa
mort, hier, à son domicile de Buenos Aires, laisse toute
l'Argentine de la musique rurale orpheline d'un grand maître.
La Sadaic, société des auteurs et compositeurs, et la
toute jeune Academia Nacional del Folklore lui rendent hommage. La
presse nationale et locale aussi.
Il
avait commencé la guitare à l'âge de 11 ans et la
carrière professionnelle à celui de 15 ans. Vers 1945,
au début du gouvernement Perón par conséquent,
il s'était installé à Buenos Aires. Au cours de
sa longue trajectoire, il aura enregistré une cinquantaine
d'albums. Pour composer ses chansons, il s'associait à de
grands poètes. Il a même travaillé avec Ernesto
Sabato et Jorge Luis Borges, pour des œuvres longues, Romance a la
muerte de Juan Lavalle et José Hernández (2), mais
c'est surtout son partenariat avec Jaime Dávalos qui retient
l'attention des commentateurs aujourd'hui.
Ses tournées l'ont
conduit aux Etats-Unis, en URSS (en 1958), au Japon (1963) mais aussi
en Espagne, en France (1959) et en Allemagne, encore qu'en Europe on
ait vite oublié l'effet qu'il put produire en son temps. Il
s'était engagé dans la défense et la promotion
de la musique populaire dans son pays, exerçant même les
fonctions de vice-président de la Sadaic, où son neveu,
l'autre grand guitariste de folklore, Juan Falú, suit ses
traces.
Il a
fait des incursions dans la musique de chambre et la musique épique,
participant même à redorer le blason d'un personnage peu
aimable du début du XIXème siècle, le
général Juan Lavalle, qui s'empara de la Province de
Buenos Aires en 1828 en en faisant fusiller le Gouverneur, le fédéral
Manuel Dorrego, tenu pour un grand héros dans l'intérieur
des terres (3) (4).
Tonada del viejo amor, de et par Eduardo Falú, avec Los Fronterizos et Ariel Ramírez, en 1993
De
nombreuses villes l'ont fait citoyen d'honneur (ciudadano ilustre) et
il a été reçu à l'Université de
Córdoba, la plus vieille du pays, en qualité de Docteur
Honoris Causa.
Sa
province natale, Salta, a décrété deux jours de
deuil.
Les
obsèques ont lieu aujourd'hui, au cimetière de la
Chacarita, sans cérémonie ni veillée funèbre
(ce qui est rare). A 14h, heure de Buenos Aires, il sera porté
en terre dans le caveau de la Sadaic.
Eduardo Falú buvant le maté en fumant une cigarette. |
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Clarín
lire
la dépêche de l'agence Télam.
(1)
Djamel dans la transcription
française.
(2)
Dont on pourrait dire qu'elles sont au folclore ce que María
de Buenos Aires (Piazzolla-Ferrer) et Oratorio para Gardel
(Salgán-Ferrer) sont au tango. Des œuvres fleuve qui
intègrent leur genre d'origine au répertoire réputé
noble de l'opéra et de la musique de chambre. Un peu comme lorsque
Molière, dans la France du Grand Siècle, est passé
de la farce en un acte et en prose à la comédie en cinq
actes et en alexandrins.
(3)
Juan Carlos Cáceres fait allusion à toutes ces musiques
composées depuis sa mort en l'honneur de Dorrego à
travers la légende de son bourreau, dans son ouvrage, Tango
Negro, dont j'ai publié la version française, traduite
et commentée par mes soins, aux Editions du Jasmin, en avril
de cette année. Elles ont une telle force évocatrice
que Cáceres veut y voir des témoignages permettant de
décrypter les événements historiques qui ont
suivi la guerre d'indépendance, entre 1820 et 1852. Romance a
la muerte de Juan Lavalle, composé par Eduardo Falú sur
un livret de Ernesto Sabato, ne peut bien entendu pas entrer dans la
catégorie des documents d'époque mais dit bien le
retentissement de cet épisode historique dans la mémoire
populaire actuelle.
(4)
En général, Buenos Aires a construit son identité
politique dominante (et quelque peu dominatrice) à travers
l'unitarisme tandis que les Provinces intérieures du centre et
du nord du pays (le sud n'existait pas encore en tant qu'entité
politique) l'ont fait à travers les héros de la
fédération. Depuis la fin du XIXème
siècle, la pensée contestataire, notamment les courants
radicaux et péronistes, valorise quant à elle l'épopée
fédérale.
(a) Mercredi dernier, une explosion de gaz a soufflé un immeuble du centre de Rosario, la plus importante ville de la Province de Santa Fe. L'explosion a endommagé gravement plusieurs manzanas des alentours. Elle a fait à ce jour 14 morts, 7 disparus (que l'on a guère d'espoir de retrouver vivants), de nombreux blessés et des centaines de sinistrés sans toit. L'employé de l'entreprise gazière qui travaillait sur une conduite de l'immeuble est sous les verrous. Les dirigeants sont inculpés mais ont été laissés en liberté. Rosario est en deuil pour plusieurs jours.
(b) Clarín est hostile, c'est le moins qu'on puisse dire, au Frente para la Victoria de Cristina de Kirchner que les sondages annoncent comme le grand vainqueur de cette première phase électorale (les vraies élections législatives auront lieu en octobre. Demain on qualifie les candidats).