Capture d'écran du site Internet de Clarín à 9h30 ce matin (heure de Paris)
A moins d'un retournement totalement improbable et à cette heure imprévisible, c'est plié de chez plié, comme dirait l'autre : Mauricio Macri rempile à la tête de la Ville Autonome de Buenos Aires pour quatre ans, l'écart du 1er tour étant beaucoup plus large que ce que les sondages de la semaine dernière laissaient encore croire.
Une vingtaine de points sépare Mauricio Macri, libéral (PRO), de son adversaire le plus proche, le péroniste Daniel Filmus (2). Et les candidats éliminés dès le premier tour, se présentant comme force d'opposition à la Présidente plutôt qu'à Macri, ne combleront pas le retard par le report de leurs voix sur le candidat de la majorité nationale : Ricardo Alfonsín, leader de l'UCR au niveau national et premier adversaire (loin derrière) de Cristina Fernández de Kirchner, a déjà appelé à voter Macri (3),et le candidat arrivé en 3ème position, Pino Solanas, qui tient une ligne quelque peu rigide, systématiquement hostile à tout ce qui n'est pas son propre mouvement, Proyecto Sur (4), a annoncé qu'il ne voulait pas se prononcer entre les deux candidats arrivés en tête. On peut néanmoins espérer qu'il aura le bon sens politique de le faire dans les 3 semaines qui viennent mais le caractère de l'homme et l'ampleur de sa défaite d'hier, après une ascension politique prometteuse sur Buenos Aires, ne laisse guère présager la manifestation d'une telle sagesse et d'une telle maturité démocratique.
Ainsi donc, avec ce qui est considéré à Buenos Aires comme un fort taux de participation, 75%, et une infime proportion de votes blancs qui, de toute manière, ne comptent pas,1,25%, Mauricio Macri engrangeait, à 1h du matin (état du dépouillement avec lequel je travaille eu égard au décalage horaire de 5 heures entre l'Europe atlantique et Buenos Aires), 47% des voix (+ quelques décimales) tandis que Daniel Filmus frôlait (mais ne faisait que frôler) les 28%. Solanas, quant à lui, ne parvenait pas à atteindre 13% des voix exprimées.
Qui plus est, Mauricio Macri arrive en tête dans les 15 comunas, ou circonscriptions électorales, qui constituent la totalité du territoire de la Ville Autonome de Buenos Aires. Qu'ils soient des quartiers sud, des quartiers nord ou du centre ville, les Portègnes se sont donc majoritairement prononcés pour Macri. Lequel a célébré hier soir son triomphe, avec une inhabituelle exubérance, sans doute inversement proportionnelle à la peur qu'il a pu avoir ces derniers temps de ne pas être réélu.
Il reste donc à Daniel Filmus à sauver l'honneur (très tôt, dans la soirée d'hier, il a promis de relever le défi et ne s'avoue pas vaincu), en obtenant dans trois semaines, le 31 juillet, le score le plus haut possible mais il n'y aura pas ballotage au sens français du terme, même s'il y aura bien balotaje, c'est-à-dire second tour de scrutin, en langage politique sud-américain, encore peu habitué à rendre compte de seconds tours dans des scrutins uninominaux.
Les causes de cette différence entre les derniers sondages, d'il y a une semaine, qui situait les deux candidats dans la fourchette des 30 à 40% d'intentions de vote, et le résultat du scrutin réel sont encore difficiles à identifier mais il ne fait guère de doute que le scandale Schoklender y est pour quelque chose (5), surtout de la manière dont il a été exploité contre Filmus. Peut-être l'opération carnet, rose ou bleu, lancée il y a quelques mois par le couple Macri qui exhibe avec fierté la grossesse de Madame, épousée, à grand renfort de publicité, au printemps de l'année dernière (en septembre ou en octobre si mes souvenirs sont bons) a-t-elle joué (6). Il est vraisemblable aussi que, pour mettre à mal le pouvoir de séduction de Mauricio Macri (7) et la puissance des organes de presse hostiles à la candidature de la gauche péroniste, il aurait fallu au Frente para la Victoria un programme autrement argumenté alors que le candidat a beaucoup compter sur la popularité et le bon bilan de la Présidente. Le clip de propagande que l'équipe de campagne a mis en avant était fort indigent de ce point de vue-là, ce qui ne manque pas d'étonner de la part de cet ancien Ministre de l'Education nationale qui a prouvé à plusieurs occasions qu'il est ce qu'on appelle en France une tête bien faite et un excellent penseur des enjeux de la culture, de l'éducation et des droits de l'homme (8). On peut aussi remarquer que l'émotion suscitée avant-hier et hier par la mort si violente de ce chantre de la liberté, de la démocratie et de l'entente entre les peuples qu'était Facundo Cabral n'a pas joué en faveur de Daniel Primus, comme on aurait pu s'y attendre sur une fraction, même minime, de l'électorat (voir mon article d'hier sur ce meutre épouvantable qui émeut toute l'Amérique Latine). En revanche, on voit que les Portègnes ont pratiqué ce qu'en France on appelle le vote utile. La répartition des voix est en effet très disproportionnée entre les différents candidats.
Ces résultats constituent une excellente nouvelle pour le monde des actionnaires et des spéculateurs (la Bourse, le courtage en import-export et la publicité constituent le gros des activités les plus rentables sur Buenos Aires intra-muros), pour le secteur du tourisme de masse, pour le groupe médiatique Clarín et ses homologues.
En revanche, ils représentent une catastrophe pour le secteur culturel, pour la grande majorité des artistes, pour les secteurs de l'éducation et de la santé, qui constituent le sujet central de ce blog et qui, depuis 4 ans, sont traités à Buenos Aires en parents pauvres de la politique budgétaire, puisque Macri ne considère leurs activités et leurs résultats qu'en fonction des règles du marché, qui, bien évidemment, ne sauraient s'appliquer à ce que les économistes appellent justement le secteur non marchand.
Pour aller plus loin :
lire l'article principal de Página/12 (plus que déçu mais combatif)
lire l'article principal de Clarín (exultant)
lire l'article principal de La Nación (triomphant)
Eu égard au décalage horaire, je vous donne ici des liens qui vous conduiront vers des articles parus aux environs d'1h du matin. Si vous les consultez dans la journée du 11 juillet 2011, il ne sera pas mauvais de cliquer sur le titre du quotidien pour rafraîchir les données et obtenir des résultats affinés au plus près des résultats définitifs, tous bureaux de vote dépouillés.
Cliquez sur les images pour obtenir des résolutions lisibles sur l'écran.(1) L'actualité est ainsi faite que je dois consacrer aux élections portègnes un article numéroté que je comptais originellement dédier au chanteur et compositeur Edmundo Rivero, dont c'est cette année le 100ème anniversaire de la naissance. Mais hier, la mort violente du chanteur Facundo Cabral a constitué le sujet de l'article n° 2299 et ce matin, l'importance de l'information politique me semble mériter, par ses conséquences sur la vie culturelle et artistique à Buenos Aires dans les années qui viennent, cet article numéroté de ce mois qui marque l'entrée de Barrio de Tango dans sa 4ème année d'existence.
(2) La couleur du PRO est le jaune pétant (celui du soleil au centre du drapeau argentin), la couleur du Frente para la Victoria (les péronistes qui forment l'actuelle majorité nationale) est le bleu ciel de ce même drapeau national. D'où le péril jaune (el peligro amarillo) du gros titre (d'humour noir, sans en rajouter dans les jeux de mots) à la une de Página/12, qui aura tout fait pour mettre en lumière ce qu'il estime être les vices irrémédiables du gouvernement Macri. En parlant de "péril", la rédaction du journal veut montrer qu'elle croit encore à un possible renversement de la situation.
(3) Politiquement, ce n'est pas une surprise, car Alfonsín a choisi une alliance avec le PRO dans la Province de Buenos Aires et ailleurs, achevant ainsi l'évolution de la UCR, fondée en 1891 comme un parti de gauche révolutionnaire, qui avait pour objectif d'en finir avec la corruption effrénée de la droite affairiste des années 1880-1916 (qu'on a appelée Generación del 80) et qui, depuis un peu plus de 4 ans, montrait tous les signes d'une dérive droitière de plus en plus prononcée. Pourtant, sur le plan historique, c'est assez choquant car Ricardo Alfonsín est le fils de Raúl Alfonsín, l'avocat qui a rétabli la démocratie en Argentine après avoir été élu démocratiquement et constitutionnellement chef d'Etat en octobre 1983, à la fin de la plus sanglante dictature que l'Argentine ait connue (voir mes articles sur la belle figure de Raúl Alfonsín). Or si vous suivez ce blog depuis un moment, vous savez que Mauricio Macri est dans le collimateur de la justice pour de très nombreuses et très graves infractions aux règles démocratiques les plus élémentaires (écoutes téléphoniques illégales de ses adversaires politiques -voir, entre autres, mon article du 1er juillet 2011-, mise en place d'une milice de gros bras pour passer à tabac les sans-abris, la nuit, et les faire déguerpir -voir, entre autres, mon article du 27 novembre 2010-, système de fausses factures et comptes publics trafiqués -voir, entre autres, mon article du 21 février 2011-, entraves aux procédures parlementaires et judiciaires -voir, entre autres, mon article du 16 mars 2011-, tenue de propos ouvertement xénophobes contre les immigrés boliviens et péruviens -voir mon article du 10 décembre 2010-, et j'en passe, comme en faisait foi encore mon article du 5 juillet 2011 sur l'ordonnance de fermeture du Club 17 de Agosto, que l'exécutif portègne a superbement ignoré)
(4) sans doute parce qu'il craint de se faire récupérer par un mouvement aux côtés duquel il ne ferait pas le poids électoral, ce qui serait le cas s'il faisait alliance avec le Partido Justicialista (les péronistes) dont il a éconduit les avances au lendemain du premier tour des élections de juin 2009. Toutes les tentatives d'alliance avec d'autres partis, notamment le GEN de Margarita Stolbizer, la Coalición Civíca de Elisa Carrió, une ex-militante de l'UCR, fantasque, irrationnelle et imprévisible, ont toutes échoué depuis la percée de Proyecto Sur en juin 2009.
(5) Je fais référence ici au scandale du détournement de fonds publics par le fondé de pouvoir du programme de construction de logements sociaux de l'ONG Madres de Plaza de Mayo (voir mon article du 6 juin 2011 à ce sujet), qui a été fortement exploité par la presse pro-Macri (sans jeu de mot) et par le personnel politique anti-péroniste, de droite, de gauche et du centre. Jusqu'à ce faux sondage qui a été dénoncé au milieu de la semaine dernière, quand on s'est aperçu qu'un call-center de Buenos Aires appelait les foyers portègnes pour distiller des mensonges sur les liens totalement fictifs entre le père de Daniel Filmus et le scandale Schoklender (voir mon article du 6 juillet 2011 à ce sujet). La justice est saisie de cette tentative de déstabilisation du candidat et sans doute de fraude électorale (car c'est bien à fausser le scrutin que visait cette pseudo enquête d'opinion) mais vu les moeurs politiques et judiciaires argentines, il y a fort à parier que, quand bien même l'enquête prouverait l'implication du PRO ou de Macri dans l'opération, l'élection de ce dernier ne serait pas pour autant invalidée. Pour mettre fin au mandat de Macri, s'il est réélu, il faudra très probablement une procédure parlementaire, à l'initiative de la Legislatura Porteña, ou un dépôt de plainte très solide au niveau fédéral (Gobierno de la Nación ou Congreso, pouvoir exécutif ou pouvoir législatif national), et si cette procédure aboutissait, elle conduirait non pas à l'organisation de nouvelles élections, comme l'exigerait le principe démocratiquen en tout cas en Europe, mais simplement au remplacement de Macri par sa Vice Présidente, María Eugenia Vidal, dont on a vu, il y a quelques jours, dans une interview à La Nación, qu'elle partage les moeurs politiques de son champion (voir mon article du 6 juillet 2011 à ce sujet).
(6) Verrait-on cela en Europe, dans une droite favorisant les intérêts des grandes entreprises et des grandes fortune dans l'année précédent une échéance électorale nationale ? Bien sûr que non ! Sur le mélange vie privée-vie politique pratiqué par Mauricio Macri à Buenos Aires, lire mon article du 20 septembre 2010. Et vous verrez que, comme "vous l'avez compris, avec Juliana, c'est du sérieux".
(7) L'homme est redoutable sur ce point. J'ai eu personnellement l'occasion de le voir de très près en représentation politique en août 2008. Il est très beau, il a beaucoup de prestance et d'élégance et un charme indéniable. Il parle admirablement bien (ce n'est pas pour rien un chef d'entreprise), ce qu'il dit est en contradiction manifeste avec la réalité de son action politique mais c'est un discours très bien construit qui n'a donc pas de mal à emporter l'adhésion de qui écoute, s'il a laissé au vestiaire son esprit critique et sa mémoire, ce qui peut arriver à tout le monde devant quelqu'un qui a du charisme, et indéniablement, Macri n'en manque pas. Cette nuit-là, en août 2008, il avait réussi à faire taire des perturbateurs qui profitaient de l'obscurité pour le conspuer et avait mis de son côté cette grande salle remplie d'artistes et d'intellectuels, qui lui était plutôt hostile par principe. C'était, il est vrai, au tout début de son mandat, je ne l'ai plus jamais revu depuis inaugurer le festival de tango. Il laisse ça à Hernán Lombardi, son ministre de la culture et du tourisme, voire à Gustavo Mozzi, le directeur de la manifestation.
(8) Selon toute apparence, ces trois points sont ceux sur lesquels le corps électoral de Buenos Aires vient de montrer une certaine immaturité au regard des standards de démocratie qu'appliquent (mais pour combien de temps encore ?) les vieilles démocraties européennes, où il est fort rare qu'un homme politique aussi compromis que lui soit renouvelé à la tête d'un Gouvernement. On a bien assisté, il y a a quelques années, à l'élection de Berlusconi, lui aussi poursuivi par la justice de son pays, mais c'était dans le cadre d'une alternance, après un gouvernement de centre gauche qui avait fini par décevoir son électorat. Dans mes articles des jours précédents, je pense avoir laissé entrevoir comment la presse argentine, par la façon dont elle rend compte de l'actualité, d'une manière très partiale et parfois tout à fait déformée, atteste de et entretient ce manque de maturité démocratique dans son lectorat, qui n'est lui-même qu'une toute petite partie du corps électoral portègne. Il y a pleins d'électeurs hier qui ont fait leur devoir, dans la capitale argentine, sans avoir jamais lu un article d'analyse politique. Ceci dit, Rome ne s'est pas faite en un jour et l'Argentine, comme tous les autres pays de la région, n'a pas eu trop de ce dernier quart de siècle pour se remettre de deux cents ans et plus de corruption et de dictatures en tout genre.