Maquette en papier à monter soi-même livrée aux enfants dans l'édition du 11 août 1941 de Billiken pour le Día de San Martín (17 août) |
Febo asoma; (1) ya sus rayos
iluminan el histórico convento;
tras los muros, sordo ruido,
oír se deja de corceles y de acero.
Son las huestes que prepara
San Martín para luchar en San Lorenzo;
el clarín estridente sonó
y la voz del gran jefe
a la carga ordenó.
Phébus se montre. Dès ses rayons
éclairent le couvent historique
Derrière les murs, un bruit sourd
de chevaux-légers et d'acier se laisse
entendre
C'est la cohorte que prépare
San Martín pour combattre à San
Lorenzo.
Sonna le clairon strident
et la voix du grand chef
donna l'ordre de charger.
Avanza el enemigo
a paso redoblado,
al viento desplegado
su rojo pabellón.
Y nuestros granaderos,
aliados de la gloria,
inscriben en la historia
su página mejor.
L'ennemi avance
à pas redoublé
son rouge pavillon (2)
déployé au vent.
Et nos grenadiers
alliés de la gloire
inscrivent dans l'histoire
leur plus belle page.
Cabral, soldado heroico,
cubriéndose de gloria,
cual precio a la victoria,
su vida rinde, haciéndose inmortal;
y allí, salvó su arrojo
la libertad naciente
de medio continente,
¡Honor, honor al gran Cabral!
(Letra:
Carlos J. Benielli - Música: Cayetano A. Silva)
Cabral,
soldat héroïque
en
se couvrant de gloire,
pour
prix de la victoire
offre
sa vie et se rend immortel.
Et
là, par son audace il sauva
la liberté naissante
la liberté naissante
d'un
demi-continent.
Honneur,
honneur au grand Cabral !
Paroles
de Carlos J. Benielli – Musique de Cayetano A. Silva
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
La seconde planche de la même maquette |
Les
chansons patriotiques argentines sont donc bien différentes de leurs
homologues européennes, françaises en particulier. C'est qu'elles
ne poursuivent pas le même but : nos chants patriotiques sont
des morceaux historiques contemporains des faits qu'ils relatent ou
qu'ils exaltent. Ces pièces ont été inventées les unes par des
anonymes perdus dans les foules révolutionnaires (La Carmagnole par
exemple) ou par des compositeurs qui prenaient part aux événements,
comme c'est le cas pour La Marseillaise et, avant elle, le Ah ça
ira !, qu'un musicien d'orchestre composa dans l'enthousiasme
encore riant de la Fête de la Fédération en juillet 1790 avant
qu'une période plus sombre modifie les paroles. Parfois, c'est le
travail d'artistes combattants, comme Le Régiment de Sambre et Meuse
(1870), La Madelon (créé en 1913 mais qui doit son succès à sa
reprise en 1914 par un chansonnier mobilisé), Le Chant des Partisans
(1941-1943) et aussi en Belgique, La Brabançonne, inventée, dans sa
version originale, pour les besoins du soulèvement indépendantiste
(1830). Tant et si bien qu'en général, les pacifiques chez nous
font la grimace devant "cette
musique qui marche au pas",
selon la belle formule de Georges Brassens, et qui nous renvoie trop
souvent à des images passablement bellicistes et pas toujours
glorieuses.
jouée à l'accordéon par Juan Bussolini
En
Argentine, les choses se sont passées différemment. Des chants
révolutionnaires, il y en a eu et beaucoup. Pourtant de nos jours,
on n'en connaît guère qu'un seul et c'est l'hymne national qui a
été composé et écrit à la demande de l'Assemblée de l'An XIII à
cet effet (voir mon article du 11 mai 2013 à ce sujet). Ces chants
révolutionnaires, de la période indépendantiste ou de ses suites
fédéralistes, ont été sciemment écartés de la mémoire
nationale par la République dite "conservatrice" des années 1860-1870
qui savait qu'elle se détournait bon nombre des principes
égalitaires et libérateurs qui avaient nourri la Révolution de
Mai, de 1810 jusqu'à la déclaration d'indépendance le 9 juillet
1816 et qui animèrent ensuite une bonne part du courant fédéral
jusqu'en 1860 environ. Hors de question, pour l'oligarchie unitaire qui
venait d'accéder au pouvoir, d'entretenir des brûlots aussi
subversifs...
Aussi est-ce une tout autre préoccupation qui incita les gouvernements argentins à créer de toutes pièces un répertoire complet, d'une dizaine de morceaux : la nécessité d'inculquer aux enfants issus de la grande immigration pan-européenne des années 1880-1920 la fierté d'appartenir à la Nation argentine, la nécessité de donner de la cohésion à cet afflux démographique débordant. On fit donc des chansons à l'usage des écoles de l'enseignement public, puisqu'en 1884, l'instruction avait été rendue obligatoire jusqu'à l'âge de 12 ans. Et il n'a fallu qu'une ou deux générations pour atteindre le but : depuis presque 150 ans, les Argentins ont tous appris par cœur ce répertoire dans leur tendre enfance. Chanter ces chansons dégage donc pour eux un parfum de goûter et de cour de récré, de cahiers et de pages de Billiken, de craie et de tableau noir et c'est associé à des images que nous dirions "d'Epinal", de ces images exposées au Museo Histórico Nacional de Parque Lezama, à Buenos Aires, qui sont aux Argentins ce qu'est pour les Français l'image d'un saint Louis rendant la justice sous son chêne, celle d'un Guillaume Tell bandant son arc pour les Suisses et sans beaucoup d'équivalent pour les Belges, chacune des trois communautés linguistiques du pays ayant ses dates, ses événements et, du même coup, ses images patriotiques propres (3).
La Marcha de San Lorenzo, arrangée en tango,
chantée par Hugo Marcel
sur des images d'Epinal et des photos de film
sur des images d'Epinal et des photos de film
Aussi est-ce une tout autre préoccupation qui incita les gouvernements argentins à créer de toutes pièces un répertoire complet, d'une dizaine de morceaux : la nécessité d'inculquer aux enfants issus de la grande immigration pan-européenne des années 1880-1920 la fierté d'appartenir à la Nation argentine, la nécessité de donner de la cohésion à cet afflux démographique débordant. On fit donc des chansons à l'usage des écoles de l'enseignement public, puisqu'en 1884, l'instruction avait été rendue obligatoire jusqu'à l'âge de 12 ans. Et il n'a fallu qu'une ou deux générations pour atteindre le but : depuis presque 150 ans, les Argentins ont tous appris par cœur ce répertoire dans leur tendre enfance. Chanter ces chansons dégage donc pour eux un parfum de goûter et de cour de récré, de cahiers et de pages de Billiken, de craie et de tableau noir et c'est associé à des images que nous dirions "d'Epinal", de ces images exposées au Museo Histórico Nacional de Parque Lezama, à Buenos Aires, qui sont aux Argentins ce qu'est pour les Français l'image d'un saint Louis rendant la justice sous son chêne, celle d'un Guillaume Tell bandant son arc pour les Suisses et sans beaucoup d'équivalent pour les Belges, chacune des trois communautés linguistiques du pays ayant ses dates, ses événements et, du même coup, ses images patriotiques propres (3).
La Marcha de San Lorenzo
interprétée par la Fanfarria Alto Perú, la musique du RGC
Vous allez voir : ça va vous rappeler la Marche de Radetzky
le Jour de l'An, quelque part en Autriche
Ce
caractère scolaire vous explique cette joyeuse participation de tout
le monde dès qu'il s'agit de chanter à l'unisson ces hymnes et ces
marches, dans un pays pourtant traumatisé par plusieurs dictatures
militaires successives. Et c'est tant mieux, parce qu'appartenir à
un pays ce n'est pas qu'une affaire d'idées politiques abstraites,
c'est aussi et bien davantage le résultat de souvenirs communs
chargés d'affects souriants, d'événements et de personnages,
hissés au rang de mythes parce qu'ils sont partagés par tous... Or
ce travail volontariste et délibéré de constitution du sentiment
national est parfaitement contemporain de la formalisation du tango,
dont l'identité s'est cristallisée dans ces mêmes années,
essentiellement entre le début de la grande immigration, vers 1880,
et les célébrations du Centenaire du pays, en 1910...
La même chanson, en version karaoké pour minots
grâce au Canal Paka Paka, la télévision publique scolaire et de divertissement
à l'intention des moins de dix ans
Oubliez le petit générique de début
et laissez-vous emporter par le pur style Goscinny-Uderzo
d'une bonne grosse bagarre entre les Gaulois et les Romains !
Cela pourrait être la plus réaliste des reconstitutions du combat
car il n'y manque pas même la vraie fin : les royalistes se jettent à l'eau...
Cela pourrait être la plus réaliste des reconstitutions du combat
car il n'y manque pas même la vraie fin : les royalistes se jettent à l'eau...
Pour
aller plus loin :
Connectez-vous
à la page Facebook de la revue Billiken, véritable institution argentine. Il s'agit du plus vieux magazine enfantin de langue hispanique encore publiée. Depuis
quelques années, malheureusement, sa ligne éducative cède du
terrain devant les chimères de la mode et du marketing ciblant les
enfants partout dans le monde, avec les personnages de la télévision et du cinéma
nord-américain. Son premier numéro est sorti le 17 novembre 1919,
alors que le flux migratoire reprenait de plus belle après
l'interruption due aux quatre années de conflit mondial. C'est une
publication de la maison d'édition Atlántida.
Visitez
son site Internet (s'il veut bien s'ouvrir – il est un peu
capricieux en ce moment).
Billiken de nos jours (couverture de l'édition du 22 juillet 2011)
San Martín, sur son cheval, brun d'un seul coup !
semble encore une fois s'être levé du pied gauche (4)
semble encore une fois s'être levé du pied gauche (4)
mais le petit grenadier, lui, a l'air tout réjoui !
(1)
En Argentine, on a trop souvent omis d'expliquer aux bambins le sens
de ces deux premiers mots. Or ils sont beaucoup plus difficile à
comprendre qu'en Europe dans ce pays du Nouveau Monde qui n'a aucun
lien direct avec l'Antiquité gréco-latine et où les grandes
figures mythologiques romaines ou athéniennes ne disent strictement
rien à la majorité. Nous, nous avons Versailles et Racine, la
Renaissance dans toute l'Europe ou presque et les vestiges
archéologiques mis en valeur dès le XVIIIème
siècle... mais l'Amérique du Sud ! Tant et si bien que des
générations entières d'Argentins traînent derrière elles
quelques interprétations enfantines tenaces, parfois sous forme de
vagues cauchemars ou d'impressions oniriques des plus farfelues.
Certains chantent sans bien comprendre comme c'est parfois le cas à
la messe, où certaines phrases de prière, malgré la traduction en
langue vernaculaire, restent confuses dans l'esprit des fidèles les
moins scolarisés. Quelqu'un comme Felipe Pigna se bat contre ces
faux-sens, voire ces contresens, qui favorisent la diffusion d'un
discours confus et fantaisiste dès qu'il s'agit de l'histoire du
pays. Cependant, avec le renforcement de la démocratie, la prise de
conscience pédagogique gagne du terrain chez les responsables de
musées, les guides, les enseignants, les étudiants en histoire...
(2)
Le drapeau espagnol en campagne se composait alors d'une croix rouge
sur fond blanc, comme vous pourrez le voir reconstituer sur tous les
documentaires sur ce combat que je mets à votre disposition depuis
hier sur Barrio de Tango.
(3)
Sauf jusqu'à la fédéralisation du royaume, il y a une vingtaine
d'années, où les Belges avaient en commun cette image de la
prestation de serment de Léopold 1er
et surtout les images des tranchées visitées par la reine Elisabeth
et celles d'Albert 1er,
piétinant dans la boue avec son Etat-major ou juché sur son cheval,
héroïque résistant encore et toujours à l'envahisseur allemand
sur l'Yser. On en parlera beaucoup cette année...
(4) C'est d'autant plus injuste que le sourire et l'amabilité chaleureuse de San Martín étaient connus de tout le monde, pendant sa vie publique. Mais les graphistes s'appuient trop souvent sur la statuaire et les portraits qu'on a de lui, or à cette époque, les canons de la peinture interdisaient de représenter un personnage souriant (à cause de la denture, trop souvent gâtée par la mauvaise qualité de la farine et donc du pain, qui comportait beaucoup de sable). D'où le fait que sur ses portraits, le sourire de San Martín et son affabilité naturelle transparaissent très peu, sauf sur le portrait que François Joseph Navez peignit à Bruxelles vers 1825 (et qui a inspiré la couverture de mon prochain livre).