Páez Vilaró dans un récent carnaval, jouant du tambour dans une comparsa de Montevideo |
Carlos
Páez Vilaró était un grand artiste uruguayen. Passionnément. Il
était à la fois un musicien de candombe, de murga, adepte des
comparsas du carnaval de Montevideo, un artiste plastique dont les
œuvres sont reconnues dans toute la région et un écrivain poète à
ses heures. Il a aussi éphémèrement fait une incursion dans le
cinéma avant de retourner vivre dans et de la peinture, grâce à la
musique de Piazzolla... Toute sa vie, cet homme s'est attaché à
développer et à défendre la dimension populaire et métissée de
la culture orientale, comme on l'appelle sur les bords du Río de la
Plata.
La Cérémonie du Soleil, à Casapueblo,
avec l'hymne au soleil écrit et dit en public par Páez Vilaró et sous-titré en espagnol
Il
est décédé hier, brutalement, au milieu des siens, en début de
matinée, juste après avoir appelé son médecin car il venait de
ressentir une brutale douleur dans la poitrine. Jusqu'à cette
dernière minute, il a conservé une pleine vitalité et toutes ses
facultés physiques et intellectuelles. Il est mort à
quatre-vingt-dix ans dans son musée-atelier de Casapueblo, un
spectaculaire ensemble résidentiel qu'il avait baptisé la Maison du
Soleil. Il avait mis une trentaine d'années à construire cette
sculpture habitable (1), selon sa propre expression, dans un décor
proche du sublime, à quelques kilomètres de la station balnéaire
de Punta del Este, qui est à l'Uruguay ce que Mar del Plata est à
l'Argentine. Il avait l'habitude d'y passer le long été uruguayen
pour profiter de la chaleur, d'y travailler dans un flot de lumière
naturelle et d'y recevoir le public à bras ouverts.
Aussitôt
après sa mort, son corps a été conduit à la capitale pour y être
veillé jusqu'à 11h, heure locale, ce matin.
Cette
disparition, inattendue malgré son grand âge, met en berne les
drapeaux uruguayens et donne lieu à un hommage des plus hautes
autorités politiques du pays. Dans la soirée, on a vu le président
Pepe Mujica et son vice-président Danilo Astori visiter la chapelle
ardente installée au siège de l'AGADU (la société des auteurs
uruguayens) et ce matin, c'est à la Chambre que le corps sera veillé
et d'où il partira pour sa sépulture, dans le caveau de l'AGADU.
L'hommage à Páez Vilaró sous ls titre Le Soleil va le regretter
Carlos
Páez Vilaró était né en Uruguay le 1er novembre 1923
mais il avait passé une grande partie de son enfance et de sa
jeunesse à Buenos Aires. Des six enfants qu'il a eus de ses deux
mariages successifs, trois sont argentins et trois sont uruguayens.
Tant et si bien qu'il y a peu d'artistes qui fassent autant que lui
le lien entre les deux rives de l'estuaire. Il a d'abord gagné sa
vie avec des métiers ouvriers à Buenos Aires puis il est rentré à
Montevideo, pour des raisons de santé et il y est resté. Comme son
homologue et compatriote, Pedro Figari, il s'est penché sur l'apport
afro-américain dans la culture rioplatense : "lui,
disait-il de Figari, il a peint les noirs du souvenir, moi je peins
ceux d'aujourd'hui".
Dans son désir d'approfondir et de s'approprier cet aspect de sa
propre culture, il a beaucoup voyagé en Afrique, dans les années
60, lorsque ces pays accédaient, parfois avec des flambées de
violence, à leur propre indépendance.
La
plus grande épreuve de sa vie aura sans doute été l'accident
aérien dont l'un de ses fils a été victime en 1972 : l'avion
de ligne s'était écrasé dans les Andes. Alors, armé d'une foi
immense dans l'avenir et la vie, il est allé chercher son fils dans
la Cordillère enneigée. Avec toute une chaîne humaine de
solidarité venant de tout l'Uruguay, de Buenos Aires, de Mendoza, de
Santiago. Cette aventure, qui s'est bien terminée puisque son fils
fait partie des survivants de la catastrophe, joue un rôle certain
dans sa notoriété continentale, d'autant plus que les Andes sont un
symbole très complexe et d'une grande force évocatrice pour tous
les Sud-Américains.
Tambores en libertad, méditation historico-musicale
de Páez Vilaro sur le candombe et ses origines afro-coloniales
Et
puis il y a, entre autres peintres, Pablo Picasso et Benito Quinquela
Martín, les deux peintres qui l'ont marqué de leur empreinte, l'un
qu'il a connu à Paris et l'autre qu'il a connu dans son quartier de
La Boca, du côté de Caminito, là où aujourd'hui se tient le Museo
de Bellas Artes de la Boca Quinquela Martín. Et puis aussi Carlos
Gardel, qui fait lui aussi le lien entre les deux rives du fleuve.
Une de ses œuvres est à admirer dans le métro de Buenos Aires, à
l'Abasto, à la station Carlos Gardel. Si vous y passez, pensez à
lui. Il le mérite.
Documentaire sur Carlos Páez Vilaró
produit par Canal A, en 1999 (filmé à Casapueblo)
Toute
la presse uruguayenne (2) et une bonne partie de la presse argentine
lui rend hommage ce matin.
Il
y a quelques jours, j'avais annoncé pour aujourd'hui un nouvel
article en rapport avec mon prochain livre sur San Martín.
Conformément à la règle que, dès le début de ce blog, je me suis imposée et qui est de laisser toute la place au disparu, lorsqu'un décès
majeur frappe les pays du Río de la Plata, je reporte à demain l'article prévu pour ce 25 février, anniversaire de la naissance
du général.
Pour
aller plus loin :
du
côté uruguayen :
lire
l'article d'hier de El Observador sur la mort de l'artiste
lire
l'article d'hier de El Observador sur son importance dans la culture
uruguayenne
lire
l'article de ce matin de El Observador sur la veillée
lire
l'article de La República d'hier sur sa mort
lire
l'article de La República d'hier sur son œuvre
lire l'article de Noticias d'hier
Du
côté argentin :
lire
l'entrefilet de Clarín (bien valorisé dans la mise en page Web mais
très court!)
lire
l'article de El Litoral (le quotidien régional de la rive occidentale du fleuve
Uruguay, Santa Fe, Entre Rios, Corrientes et Misiones) – l'article
intègre une interview vidéo.
lire
la dépêche de Télam, avec une petite vidéo intégrée reprenant
des images de ces dernières semaines, notamment de ce qui ressemble
à la fête de ses 90 ans.
(1)
Cette grappe immaculée dévalant la pente pour s'arrêter juste
au-dessus de la mer ne sera pas sans vous rappeler à la fois la
Costa Blanca, Santorin et le palais du Facteur Cheval, chez nous, en
France... Il s'agit d'un complexe qui accueille une maison d'été
pour le maestro, son musée-atelier, un hôtel, un centre de loisirs
offrant toutes sortes d'activités aux touristes du lieu...
(2)
Seul El País manque à l'appel car le site Internet était en
maintenance ce matin et il n'a toujours pas retrouvé sa
disponibilité sur le réseau, peut-être parce que les sites des
journaux uruguayens dans leur ensemble semblent crouler sous le flux
des connexions.