Générique de l'émission
Aujourd'hui,
les festivités de commémoration de la victoire de San Lorenzo (pas
à Almagro, il ne s'agit pas d'un tournoi sportif !) commencent
dans la localité du même nom, dans le département de San Martín et la Province de Santa Fe. Victoire militaire remportée par José de San
Martín, en un quart d'heure (sic), sur un détachement montévidéen
de soldats fidèles au dernier vice-roi, renversé le 25 mai 1810 à
Buenos Aires par la Revolución de Mayo.
On
fête cette année le deux cent-unième anniversaire de ce combat
qui, sous l'impulsion du futur général San Martín, libéra le
littoral du Paraná, des incursions contre-révolutionnaires d'un
seul coup et presque définitivement. Et c'est aussi la clôture du
bicentenaire de ce glorieux épisode de la guerre d'indépendance qui
commençait à peine et qui allait durer jusqu'en 1816 puis se
transformer en guerre civile à partir de 1819.
Sur
Canal Encuentro, la chaîne culturelle du service public argentin,
une excellente chaîne, qui joue un peu le rôle que tient dans
l'Hexagone France 5, une émission d'histoire animée tout en rondeurs et en fausse bonhomie par Pacho
O'Donnell (1), militant du courant revisionista (entendez hostile à
l'interprétation oligarchique du passé argentin), pose rituellement
la question de ce qu'il se serait passé si... tel événement
n'avait pas eu lieu.
Il
existe donc une émission sur le combat de San Lorenzo. Elle est
présentée en intégralité sur You Tube.
L'émission
a été en partie tournée devant et dans la caserne du Régiment des
Grenadiers à cheval (RGC), protagoniste collectif des célébrations
de San Lorenzo, à Palermo (Buenos Aires) et à San Lorenzo
(Provincia Santa Fe) (2). On y voit intervenir plusieurs
intellectuels péronistes ou sympathisants de la cause, comme Felipe
Pigna, professeur d'histoire à l'Unsam (Université nationale San
Martín) et le sociologue Horacio González, qui préside aux
destinées de la Bibliothèque Nationale argentine. Vous remarquerez
que les péronistes ou pro-péronistes ne portent pas la cravate
(trop connotée politiquement pour eux) alors que Terragno, qui ne
fait pas partie de ce sérail, en arbore une (et fort voyante). Or il
n'est pas présenté comme historien (et que fait-il donc là, s'il
n'est pas historien ?) mais comme avocat et écrivain (ça lui
apprendra à ne pas être du bon côté, et toc !).
Vous
repérerez votre lot de silhouettes immobiles et impassibles, en
uniforme marine à liseré rouge, l'uniforme des grenadiers, si cher
au cœur des Argentins. Si vous ne les remarquez pas, vous avez un
problème ophtalmique... Un plan sur l'authentique sabre courbe de San Martín
dans son reliquaire de la caserne de Palermo, dans le hall d'honneur,
et un autre, avec O'Donnell à côté comme le ferait un touriste ou un gamin en visite scolaire, sur la copie du drapeau de
l'armée des Andes, dans une autre vitrine, tout près du sabre
(l'original est à Mendoza). Et enfin, le cheval de San Martín est
bien entendu blanc, du début à la fin, sur toutes les images,
picturales ou cinématographiques, alors qu'il ne s'agit là que
d'une très classique recette d'artiste bien formé, pour construire
un tableau dans les règles de l'art. Ce cheval blanc ne correspond
en rien à la réalité.
Bref,
la symbolique est aussi chargée que dans un épisode de Secrets
d'histoire de Stéphane Bern, sur notre service public français.
Quant à la géographie européenne, elle est comme d'habitude des
plus approximatives : la route maritime empruntée par la Santa
Balbina, frégate qui conduit la famille San Martín en Espagne en
1784, trouve Cadix en Galice et le navire anglais qui amène San
Martín à Londres en 1811 le fait débarquer en Ecosse (3).
Vingt-cinq
minutes d'un documentaire très bien fait sur le plan
cinématographique, impeccable pour découvrir la caserne des
Grenadiers à Buenos Aires, à déguster en savourant un bon mate
bien chaud accompagné d'un conito Havanna ou d'un alfajor Jorgito
(c'est moins cher mais plus industriel) (4)... Profitez qu'on est en
hiver. A San Lorenzo, par ces chaleurs, le conito Havanna fond dans
la main avant d'avoir atteint la moindre bouche !
Pour
aller plus loin :
visiter
le site Internet de l'Institut Manuel Dorrego (je raccourcis à dessein une dénomination interminable) et sa page Facebook
visiter
le site Internet de Canal Encuentro.
(1)
Depuis quelques années, Pacho O'Donnell préside les destinées de
l'institut d'histoire révisionniste Manuel Dorrego, fondé par
l'actuel gouvernement, pour soutenir les thèses historiques
alternatives (c'est peu dire que cette fondation a créé du scandale dans le milieu académique argentin, surtout pour le choix hyper-partisan du président en question). En Argentine, l'histoire est toujours un lieu de
contentieux idéologique et politique et n'est pas encore celui du
débat méthodologique et scientifique qu'elle est devenue en Europe
ou en Amérique anglo-saxonne. Il faut donc prendre ce que dit Pacho
O'Donnell avec des pincettes : c'est un historien qui a tendance
à adapter les événements à ses désirs et non l'inverse. Et ce qu'il dit nous en apprend plus sur ce que pourrait bien l'Argentine demain ou après-demain que ce qu'elle a été, ou telle qu'on peut la considérer avec l'objectivité qui s'impose à l'historien.
(2)
La caserne de Palermo abrite le Musée du Régiment. Nous le
visiterons au cours du voyage que je propose avec Human Trip :
le Roman national argentin, voyage culturel, humain et solidaire, du
24 avril au 8 mai 2014.
(3)
Ce ne sont pas les seules erreurs. Le commentaire dit par une voix
féminines nous sert deux grosses âneries auxquelles même certains
historiens révisionnistes sérieux, comme Norberto Galasso, ont
tordu le cou : la mort de Bermúdez qui se serait taillé les
veines après le combat de San Lorenzo pour ne pas avoir suivi
parfaitement les ordres du colonel (le pauvre officier est mort d'une
amputation. Vous pensez si, à cette époque, pour mourir après
l'amputation d'une jambe, on avait encore besoin de s'ouvrir les
poignets !), Cabral qui serait un esclave (si cela avait été
le cas, il n'y a pas le moindre doute qu'on en trouverait trace dans
le rapport sur les morts au combat rédigé par San Martín après la
bataille, vu les positions résolument abolitionnistes qui étaient
les siennes) et enfin que Cabral a été promu sergent post-mortem,
ce qu'on verrait aussi dans les documents officiels dans les mois de
février ou mars 1813. Non, Cabral a été fait sergent par la vox
populi, notamment dans sa province natale de Corrientes, peut-être
plus simplement encore par des propagandistes postérieurs, comme Bartolomé Mitre, qui construisaient déjà la légende en s'éloignant de
l'histoire ou enfin, tout simplement, par le letrista de la Marcha de
San Lorenzo, dont je vous parlerai demain et qui a été composée
alors qu'il ne restait plus en vie aucun témoin de l'événement.
(4)
Le conito Havanna, c'est un petit cône de dulce de leche recouvert
de chocolat qui fait deux bouchées et pas une de plus, le tout dans
une marque très chère. L'alfajor de Jorgito, c'est le bon vieux
choco-BN de l'Argentine : deux sablés collés ensemble par une
couche de dulce de leche (ou de pâte de fruit), le tout recouvert
d'un glaçage blanc ou de chocolat noir. Miam miam !