dimanche 19 avril 2015

La marche pro-Nisman provoque un séisme dans la communauté juive [Actu]

Le 18 février 2015, un mois après sa mort, s'est tenue à Buenos Aires une grande marche en l'honneur du procureur Alberto Nisman, à l'appel d'une majorité de magistrat en tête de laquelle se trouvait le procureur fédéral Germán Moldes, un opposant notoire à l'actuel gouvernement à moue de bulldog, et la confédération juive, DAIA, elle-même dirigée par des partisans du PRO (opposition ultra-libérale de Mauricio Macri).

Hier, un ancien directeur exécutif de la DAIA, le sociologue Jorge Elbaum, dénonçait dans les colonnes de Página/12 un lien trouble et malsain entre la confédération, le magnat nord-américain de la finance Paul Singer et les fonds spéculatifs qui depuis près d'un an empêchent depuis New York que l'Argentine règle ses dettes selon les accords signés avec ses créanciers et le réquisitoire que Alberto Nisman voulait soutenir, le 14 janvier dernier, contre le gouvernement qu'il tâchait de convaincre d'entrave à la justice dans l'enquête (dont il était lui-même chargé) sur l'attentat antisémite de 1994 contre l'AMIA (85 mors et 300 blessés, dont de nombreux handicapés à vie).

Mercredi prochain, le 22 avril, des membres de la DAIA appellent à une assemblée générale pour créer au moins un courant politiquement indépendant du PRO à l'intérieur de la confédération qui regroupe plusieurs organisations juives à travers tout le pays et ne peut pas, ultra-politisée comme elle l'est aujourd'hui, représenter l'intégralité de la communauté politiquement tout aussi divisée que l'ensemble du pays.

Comme vous avez pu le voir si vous lisez régulièrement Barrio de Tango, l'affaire Nisman a fait apparaître de manière très claire l'instrumentalisation partisane des institutions confessionnelles (juives) et de manière tout aussi claire que la communauté avait été appelée à se lever en faveur d'un homme et d'une famille dont la probité est des plus douteuses : compte bancaire non déclaré à l'étranger (1), prévarication et enrichissement personnel dans le cas du défunt procureur et actuelle course à l'entrave judiciaire de la part son ex-femme, elle-même magistrate fédérale, pour des motifs qui semblent particulièrement sordides (motivations vénales pour ce qu'elle laisse voir sur son visage fermé et haineux).

Página/12 rend compte de l'appel à l'assemblée générale pour mercredi. On verra jeudi ce qu'il en sera sorti. Mais il est possible qu'une scission intervienne à plus ou moins longue échéance au sein de cette confédération des institutions juives. Dans un pays comme l'Argentine, où depuis 1930 les institutions communautaires juives sont plus que verrouillées, ce n'est pas un petit effet qu'entraîne cette affaire ignoble (2).

Pour aller plus loin :
lire le billet de Jorge Elbaum dans Página/12 sur les liaisons dangereuses de la DAIA
lire l'article d'aujourd'hui sur la convocation d'une assemblée générale mercredi
lire la dépêche de Télam reprenant l'article de Elbaum dans Página/12
consulter le site Internet de la DAIA, dont l'actualité est une exposition de photo sur le voyage du Pape François en Israël l'année dernière
consulter la page Facebook de la DAIA (avec fort peu d'amis pour une telle institution: seulement un demi-millier !)

Ajout du 29.04.15 :
Le ministre des Affaires étrangères, Héctor Timerman, se retire de l'AMIA dont il était membre, pour dénoncer publiquement le parti pris des institutions juives et leur action qui conduit à entraver l'enquête sur l'attentat tout prétendant représenter la communauté juive, qui est la principale victime en nombre dans cette affaire sanglante. Página/12 en fait sa une du 29 avril. Par ce geste, Héctor Timerman renonce de fait à sa place dans un carré juif d'un cimetière. Le geste a donc une grande force symbolique.

Ajout du 2.09.15 :
Une nouvelle association juive vient de naître et a porté à sa tête Jorge Elbaum. La nouvelle organisation s'inscrit dans la grande tradition de la gauche juive ashkénaze, issue de l'empire russe, qui a fondé les kibboutzim en terre d'Israël dans les années 1920 et avait émigré en Argentine dès les années 1880. Ses membres se désolidarisent des organisations AMIA et DAIA ainsi que de l'actuelle politique d'Israël envers les Palestiniens, ils militent pour la paix entre les deux peuples avec Jérusalem pour capitale partagée. En Argentine, ils veulent remettre en valeur tout l'héritage coopératif et utopique de cette partie importante de l'immigration ashkénaze qui fuyait l'antisémitisme de l'Europe orientale et centrale et était donc fortement politisée.
Lire à ce propos l'article de Página/12 de ce jour sur le sujet.


(1) Dont la mère du procureur, co-titulaire du compte en question, avait pleine connaissance avant la mort de son fils, contrairement à ce qui avait été dit au moment de la révélation de cette forfaiture dans le chef d'un magistrat fédéral. Qui plus est, on vient de retrouver chez elle une arme à feu qui aurait appartenu à son fils, à ce qu'elle a déclaré à la justice au moment de la perquisition à son domicile. Sur ce compte, voir mon article du 19 mars 2015. Sur les motivations de Sandra Arroyo Salgado, dont je vous fais grâce des démarches quotidiennes contre la procureure en charge du dossier, qui tournent au harcèlement vindicatif, voir mon article du 22 mars 2015. J'ai suspendu mes comptes-rendus depuis qu'il est apparu que sa démarche ne repose sur aucune réalité juridique et que l'affaire, loin d'être un scandale politique impliquant le gouvernement, tourne au fait divers crapuleux.
(2) En 1930, en effet, on a découvert à Buenos Aires qu'une organisation communautaire juive n'était en fait que la façade honorable d'une traite des Blanches : de faux rabbins mariaient dans une fausse synagogue des jeunes filles d'origine polonaise à de très réels proxénètes qui les mettaient aussitôt après sur le trottoir. L'une de ces victimes avait porté plainte et fait éclater la vérité. Le scandale avait eu pour résultat qu'en Argentine, l'appartenance à la communauté juive, les mariages religieux et les enterrements dans les carrés juifs des cimetières sont très strictement contrôlés par des instances rabbiniques ultra-orthodoxes qui ne reconnaissent même pas la conversion (c'est le seul pays au monde où règne une discipline aussi sévère). Les Argentins qui veulent se convertir au judaïsme (leur nombre ne dépasse sans doute pas la dizaine de cas) doivent aller à l'étranger, la plupart du temps à New York, et soit organiser leur sépulture à l'extérieur du pays pour être enterré dans un carré juif ou, s'ils restent en Argentine, accepter d'être enseveli dans un carré chrétien, sans les règles cachères.