La
Feria del Libro, le salon du livre de Buenos Aires, ouvre aujourd'hui
ses portes du côté de Plaza Italia, au nord de la ville, avec pour
pays hôte le Mexique.
Le
peintre et dessinateur de presse qui fait parler les livres, Miguel
Rep, nous offre ce matin dans l'édition de Página/12 une vignette
rigolote, que je vous traduis.
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Le
livre, qui lit un livre à gauche : Vous savez pas ? Eh
bien un jour comme aujourd'hui, « le 23 avril 1616, Shakespeare
et Cervantes sont partis pour l'autre monde ».
Le
livre à droite : Et l'Inca Garcilaso aussi !
L'encadré
à droite : Sarabande de livres. Bonne fête !
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Et
effectivement, ces trois grands auteurs, dont chacun symbolise une
nation, sont décédés le même jour, le 23 avril 1616.
William
Shakespeare était né le 23 avril 1564 à Stratford upon Avon, selon
l'hypothèse la plus répandue, puisque l'identité du grand
dramaturge anglais conserve une grande part de mystère. Il est mort
dans cette même ville, qui s'enorgueillit de sa tombe, dans son
église, malgré la polémique récurrente sur l'identification du
mort avec le plus grand auteur du théâtre élizabéthain.
Miguel
de Cervantes Saavedra était né le 8 ou 9 octobre 1547 à Alcalá de
Henares. Il est mort à Madrid. On vient d'identifier ses restes dans
l'église d'un ordre mineur.
Portrait officiel de l'Inca Garcilaso |
El
Inca Garcilaso de la Vega, de son nom légal Gómez Suárez de
Figueroa, était né le 12 avril 1539 à Cuzco, la capitale de
l'empire inca (actuel Pérou) : c'était un chroniqueur métis,
de naissance légitime ou illégitime selon les biographes (il est
possible qu'il ait été légitimement conçu et qu'il ait été par
la suite considéré comme bâtard, lorsque son père, sur l'ordre du
roi, a abandonné sa mère pour se marier dans la noblesse
espagnole). Sa mère était une princesse Inca et son père un
conquistador espagnol, Sebastián Garcilaso de la Vega Vargas.
Bilingue quechua-castillan, il a écrit en espagnol. Il est né à la
fin du demi-siècle pendant lequel l'Espagne a cherché l'alliance
des princes aborigènes et où elle traitait les familles royales
américaines avec le respect qu'elle manifestait aussi aux dynasties
européennes, avant de basculer dans une politique coloniale raciste,
despotique et cupide. El Inca Garcilaso est mort à Cordoue, en
Espagne, où il était allé réclamer l'héritage de son père et le
droit de porter son nom. Malgré le refus qui lui opposèrent les
tribunaux espagnols, c'est bien sous le nom de son père qu'il est
passé à la postérité et c'est celui avec lequel il signe.
Sa signature dans l'orthographe de l'époque (Y et double s) |
En
Amérique latine, El Inca Garcilaso est considéré comme le premier
écrivain péruvien, c'est aussi le premier auteur latino-américain
qui a décrit la conquête du Nouveau Monde du point de vue du
colonisé, avec la douleur et le conflit intérieur qu'implique sa
condition de métis, d'ascendance royale relégué à la déréliction
et à la bâtardise.
Son
œuvre majeure, une histoire de l'empire Inca, a fait l'objet d'une
traduction en français en 1633 (1). Dans l'ensemble de son œuvre,
il s'est efforcé de défendre son peuple maternel, dans l'honneur et
la recherche de la vérité, réfutant avec force les accusations de
sodomie, de sacrifices humains et d'anthropophagie qui fleurirent
très rapidement en Europe pour justifier le tournant brutal que
prenait les politiques espagnole et portugaise aux Indes
Occidentales. Au début du 17ème
siècle, encore tout imprégné de l'humanisme de la Renaissance,
cette œuvre a connu des traductions en français, en anglais, en
allemand et d'autres langues puis tout a été jeté dans l'oubli
pour le reste de l'époque de domination espagnole en Amérique. El
Inca Garcilaso fait partie de ces grandes figures autochtones au nom
desquelles des gens comme José de San Martín et Manuel Belgrano ont
voulu l'indépendance sud-américaine et tout le courant
indépendantiste progressiste continental continue de lutter (j'ai eu
l'occasion d'en parler au sujet de la disparition de Eduardo Galeano).
Première traduction en français Il est probable que le traducteur a confondu le nom de l'imprimeur du livre de Madrid avec celui d'un traducteur quechua-espagnol |
Lors
de son voyage officiel au Pérou en novembre 1978, le roi Juan Carlos
a rendu les restes de l'écrivain à la cathédrale de Cuzco dans
laquelle repose désormais ce pieux chrétien, demeuré célibataire
sans enfant et mort dans l'habit religieux après avoir servi dans
l'armée espagnole comme officier subalterne.
A
Lima, une université privée porte son nom.
Actuellement,
certains historiens contestent l'identité de date des trois dates, un peu trop
remarquable peut-être pour être vraie, pour trois grands hommes dont les noms ont été chargés
d'un tel poids de symboles culturels, linguistiques et nationaux.
(1)
En 2000, les Editions La Découverte ont publié une traduction en
français de ses Commentaires royaux sur le Pérou des Incas. En
1982, le défunt François Maspero en avait fait déjà une édition
française, probablement épuisée aujourd'hui.