jeudi 23 avril 2015

Les livres font la foire : salut de Rep à la Feria del Libro [à l'affiche]

La Feria del Libro, le salon du livre de Buenos Aires, ouvre aujourd'hui ses portes du côté de Plaza Italia, au nord de la ville, avec pour pays hôte le Mexique.

Le peintre et dessinateur de presse qui fait parler les livres, Miguel Rep, nous offre ce matin dans l'édition de Página/12 une vignette rigolote, que je vous traduis.
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Le livre, qui lit un livre à gauche : Vous savez pas ? Eh bien un jour comme aujourd'hui, « le 23 avril 1616, Shakespeare et Cervantes sont partis pour l'autre monde ».
Le livre à droite : Et l'Inca Garcilaso aussi !
L'encadré à droite : Sarabande de livres. Bonne fête !
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Et effectivement, ces trois grands auteurs, dont chacun symbolise une nation, sont décédés le même jour, le 23 avril 1616.

William Shakespeare était né le 23 avril 1564 à Stratford upon Avon, selon l'hypothèse la plus répandue, puisque l'identité du grand dramaturge anglais conserve une grande part de mystère. Il est mort dans cette même ville, qui s'enorgueillit de sa tombe, dans son église, malgré la polémique récurrente sur l'identification du mort avec le plus grand auteur du théâtre élizabéthain.

Miguel de Cervantes Saavedra était né le 8 ou 9 octobre 1547 à Alcalá de Henares. Il est mort à Madrid. On vient d'identifier ses restes dans l'église d'un ordre mineur.

Portrait officiel de l'Inca Garcilaso

El Inca Garcilaso de la Vega, de son nom légal Gómez Suárez de Figueroa, était né le 12 avril 1539 à Cuzco, la capitale de l'empire inca (actuel Pérou) : c'était un chroniqueur métis, de naissance légitime ou illégitime selon les biographes (il est possible qu'il ait été légitimement conçu et qu'il ait été par la suite considéré comme bâtard, lorsque son père, sur l'ordre du roi, a abandonné sa mère pour se marier dans la noblesse espagnole). Sa mère était une princesse Inca et son père un conquistador espagnol, Sebastián Garcilaso de la Vega Vargas. Bilingue quechua-castillan, il a écrit en espagnol. Il est né à la fin du demi-siècle pendant lequel l'Espagne a cherché l'alliance des princes aborigènes et où elle traitait les familles royales américaines avec le respect qu'elle manifestait aussi aux dynasties européennes, avant de basculer dans une politique coloniale raciste, despotique et cupide. El Inca Garcilaso est mort à Cordoue, en Espagne, où il était allé réclamer l'héritage de son père et le droit de porter son nom. Malgré le refus qui lui opposèrent les tribunaux espagnols, c'est bien sous le nom de son père qu'il est passé à la postérité et c'est celui avec lequel il signe.

Sa signature dans l'orthographe de l'époque (Y et double s)

En Amérique latine, El Inca Garcilaso est considéré comme le premier écrivain péruvien, c'est aussi le premier auteur latino-américain qui a décrit la conquête du Nouveau Monde du point de vue du colonisé, avec la douleur et le conflit intérieur qu'implique sa condition de métis, d'ascendance royale relégué à la déréliction et à la bâtardise.
Son œuvre majeure, une histoire de l'empire Inca, a fait l'objet d'une traduction en français en 1633 (1). Dans l'ensemble de son œuvre, il s'est efforcé de défendre son peuple maternel, dans l'honneur et la recherche de la vérité, réfutant avec force les accusations de sodomie, de sacrifices humains et d'anthropophagie qui fleurirent très rapidement en Europe pour justifier le tournant brutal que prenait les politiques espagnole et portugaise aux Indes Occidentales. Au début du 17ème siècle, encore tout imprégné de l'humanisme de la Renaissance, cette œuvre a connu des traductions en français, en anglais, en allemand et d'autres langues puis tout a été jeté dans l'oubli pour le reste de l'époque de domination espagnole en Amérique. El Inca Garcilaso fait partie de ces grandes figures autochtones au nom desquelles des gens comme José de San Martín et Manuel Belgrano ont voulu l'indépendance sud-américaine et tout le courant indépendantiste progressiste continental continue de lutter (j'ai eu l'occasion d'en parler au sujet de la disparition de Eduardo Galeano).

Première traduction en français
Il est probable que le traducteur a confondu le nom de l'imprimeur du livre de Madrid
avec celui d'un traducteur quechua-espagnol

Lors de son voyage officiel au Pérou en novembre 1978, le roi Juan Carlos a rendu les restes de l'écrivain à la cathédrale de Cuzco dans laquelle repose désormais ce pieux chrétien, demeuré célibataire sans enfant et mort dans l'habit religieux après avoir servi dans l'armée espagnole comme officier subalterne.
A Lima, une université privée porte son nom.

Actuellement, certains historiens contestent l'identité de date des trois dates, un peu trop remarquable peut-être pour être vraie, pour trois grands hommes dont les noms ont été chargés d'un tel poids de symboles culturels, linguistiques et nationaux.


(1) En 2000, les Editions La Découverte ont publié une traduction en français de ses Commentaires royaux sur le Pérou des Incas. En 1982, le défunt François Maspero en avait fait déjà une édition française, probablement épuisée aujourd'hui.