mercredi 30 mai 2018

Missions de lutte contre le crime pour l'armée argentine [Actu]

Página/12 fait passer le ballon de campagne électorale du jeune canari du parti libéral (PRO)
au vert du treillis et du casque de camouflage
Gros titre : "Au pas de course"

Encore une décision qui heurte de front toute la gauche et son antimilitarisme, construit sur l'expérience des nombreuses dictatures militaires qui se sont succédé au gré des coups d'état de 1930 à 1976 en Argentine : hier, lors de la fête de l'armée de terre, au lycée militaire de El Palomar, dans la Province de Buenos Aires, le président Mauricio Macri a annoncé qu'il confierait à l'armée des missions d'appui logistique aux forces de police pour lutter contre le crime (surtout le trafic de stupéfiants et les agressions contre les personnes et les biens) et surveiller les frontières, une mission qui revient normalement à la gendarmerie et à la douane.
Au Brésil, Michel Temer, le très impopulaire et très discrédité président venu d'une manœuvre parlementaire qui s'avère des plus douteuses, a remis, lui aussi, les militaires dans le jeu politique et policier. Et cette imitation ne dit rien qui vaille en Argentine.

Bien entendu, ces déclarations sont saluées par une levée de boucliers dans les colonnes de Página/12. Et on ne peut plus croire Macri lorsqu'il prétend réconcilier les Argentins. A un moment où le pays est financièrement étranglé, où il a besoin que ses citoyens s'unissent et arrivent à dépasser leurs différends idéologiques, ramener l'armée dans les missions de police, ce n'est pas œuvrer à une réconciliation quelle qu'elle soit ! Mais dans Clarín, on lit ce matin que le gouvernement argentin mettrait en cause le corset dans lequel le pouvoir kirchneriste aurait emprisonné l'armée par pur hypocrisie. Donc non seulement, il ne cherche pas la réconciliation mais il dénie toute légitimité à une décision prise antérieurement par un gouvernement tout aussi démocratiquement et constitutionnellement mis en place que lui.

La Nación traite l'info en titre secondaire, à droite
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D'un autre côté, le président a annoncé aussi qu'il allait renforcer la participation argentine dans les missions de paix de l'ONU et que malgré la situation financière déprimée du pays, il allait revaloriser la solde.

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Trois des grands quotidiens nationaux ont traité l'information à la une, preuve qu'à droite comme à gauche, la décision remue. D'ailleurs, la loi en vigueur interdit aux forces armées de s'impliquer dans des opérations de police. Pendant ce temps, au sénat, l'opposition va sans doute obtenir le vote d'une loi qui rendrait illégales les récentes augmentations des prix de l'énergie et la Présidence se prépare à émettre son veto, comme la constitution le lui permet de le faire. De la même manière, l'opposition se bat pour que les conditions du prêt accordé demandé au FMI soient soumises aux parlementaires.

Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín (dans l'édition d'hier)
lire dans Página/12 la réaction de Estela de Carlotto, présidente de Abuelas de Plaza de Mayo, très hostile à cette mesure et présentée comme candidate au prix Nobel de la Paix (pour la sixième tentative)
lire toujours dans Página/12 celle de Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la Paix argentin
En revanche, Graciela Fernández Meijide, la troisième grande voix des droits de l'homme dans le pays, plutôt favorable à ce gouvernement mais nullement inconditionnelle, ne s'est pas encore manifesté dans la presse.

Ajouts du 31 mai 2018 :
Página/12 publie ce matin un article sur plusieurs réactions dans le monde politique et militant
Le chef d'Etat-Major des armées argentin a émis beaucoup de réserves sur la demande présidentielle en rappelant que la loi actuelle s'y oppose absolument et qu'il ne s'agit pas du métier pour lequel les militaires sont formés. C'est La Nación  qui s'est est fait l'écho ce matin.

Ajout du 6 juin 2018 :
lire l'article de Página/12 sur les nouvelles déclarations de la ministre Patricia Bullrich qui insiste pour intégrer les forces armées aux missions des forces de l'ordre, malgré les prises de position sans ambiguïtés non seulement du chef d'Etat-major général des armées que des représentants de la lutte pour les droits de l'homme.
La ministre appuie son raisonnement bancal sur la situation en France où les forces armées effectuent des missions de surveillance dans la rue mais 1) l'Argentine n'est pas visée par le terrorisme qui nous affecte et qui a provoqué cette réalité après les attentats dits des terrasses et 2) tout le monde sait que cette mission Sentinelle est tout sauf efficace et ne sert qu'à rassurer les civils, d'une manière très démagogique, en faisant perdre aux militaires leur temps, leur énergie et même leurs compétences spécifiques, puisqu'ils n'ont pas la disponibilité de s'entraîner aux situations de combat qu'ils doivent affronter en opex ! Un mimétisme d'autant plus crétin que la même ministre veut mettre en place le droit pour les forces de l'ordre de faire feu, y compris hors de la légitime défense... Et quand on sait ce qu'est le cadre légal de la légitime défense pour la police et la gendarmerie en France !

Ajout du 19 juin 2018 :
le gouvernement persiste et signe.
lire cet article de Página/12 sur les intentions du ministre de la Défense, Oscar Aguad, qui entend déroger aux règles pour élargir les compétences de l'armée aux actions de police