lundi 29 octobre 2018

La victoire de Bolsonaro vue du Río de la Plata [Actu]

Sur fond noir et en lettres aux couleurs du Brésil : "C'est la haine qui a gagné"

Aujourd'hui, les sites Internet de deux grands quotidiens, l'un argentin, l'autre uruguayen, Clarín et El País, présentent des anomalies à l'ouverture, El País se révèlent même tout simplement inaccessible. Malgré ce manque conséquent, on peut dire que globalement, la presse se montre préoccupée par le résultat de l'élection au Brésil voisin. La plupart des titres parlent franchement de victoire de l'extrême-droite (1). Et l'inquiétude est d'autant plus grande que le Brésil est l'un des moteurs économiques du continent, qu'il est membre du G20, comme l'Argentine qui en assure la présidence cette année, et qu'il est membre fondateur du Mercosur et de la presque désormais défunte Unasur (l'alliance de coopération politique dont le Chili, l'Argentine et le Brésil ont déjà annoncé qu'ils s'en retiraient).

"La tristesse n'est pas que brésilienne"

A Buenos Aires, La Prensa, vieux quotidien qui exprime le point de vue souvent rétrograde de l'oligarchie catholico-mercantile ancrée dans la tradition coloniale, semble garder deux fers au feu : sa une et l'un des éditoriaux, signé par Guillermo Belcore, manifeste une satisfaction certaine devant le nouveau panorama politique brésilien (il en est même indécent) tandis qu'en pages intérieures, un autre article s'inquiète pour la coopération économique internationale, puisque le futur ministre de l'Economie brésilien a déjà annoncé que le Mercosur n'était pas dans la liste de ses priorités ; or le Mercosur s'est révélé jusqu'à ce jour l'un des plus efficaces vecteurs du développement pour toute la région (2). Comme trop souvent, La Prensa adopte aujourd'hui une position très ambiguë sur la démocratie et l'état de droit (c'est le seul journal argentin qui avait soutenu récemment un groupuscule de catholiques pro-dictature qui a osé se rendre à Rome pour présenter au Saint Siège un dossier de contestation de la béatification d'un prélat assassiné par le dictature, sous prétexte que l'évêque de La Rioja n'aurait pas été martyr ni de la foi ni de la charité pastorale, comme argumente le décret de canonisation, mais de ses très vilains penchants politiques de gauche – ce groupe n'a pas obtenu gain de cause, la béatification sera célébrée en avril). A l'opposé, El Observador parle de l'arrivée du fascisme au pouvoir à Brasilia.

"Le triomphe incontestable de Bolsonario ouvre
une nouvelle ère pour le Brésil et le Mercosur"
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En Argentine, Página/12 proteste en une contre le désastre démocratique qui vient de s'abattre sur un Brésil dont les citoyens se sont beaucoup abstenus tandis qu'en Uruguay, c'est La República qui occupe ce créneau.

"Bolsonaro a triomphé de façon incontestable
et il a promis de «changer le destin du Brésil»"
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Les deux autres quotidiens accessibles en ligne ce matin, La Nación et El Observador, ne cachent pas leur inquiétude devant la victoire d'un histrion d'extrême-droite, hostile à la démocratie, favorable à l'instauration d'une dictature de la majorité exprimée, vulgaire, ignorant, incohérent et haineux. Peut-être la presse, de gauche comme de droite, tant en Argentine qu'en Uruguay, a-t-elle appris, durant ces dernières décennies, à apprécier la vie constitutionnelle qui s'acheminait lentement vers une pacification dans les pays sud-américains, en donnant une bonne image internationale, ce que l'élection de Bolsonaro aura vite fait de détruire alors que tout le continent bascule progressivement à droite.

"Virage à droite" : le gros titre est rédigé en portugais

Rappelons que l'Argentine est gouvernée à droite depuis trois ans et que l'Uruguay reste gouverné à gauche depuis plus de dix ans (et c'est la première fois de son histoire depuis l'indépendance en 1830).

A la une de Página/12 ce matin, cette vignette de Daniel Paz et Rudy
Lui : La victoire de Bolsonaro est un cauchemar
Elle : Pas sûr. Après un cauchemar, on se réveille.
Traduction © Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :
en Argentine
lire l'article de La Prensa sur les préoccupations quant au futur du Mercosur
lire l'article de Clarín (s'il s'ouvre)
En Uruguay :



(1) Il y a quelques jours, le ministre des Affaires étrangères argentin, Jorge Faurie, issu du sérail diplomatique et politiquement originaire du centre, parlait au sujet de Bolsonaro, alors candidat qualifié pour le second tour, d'une "proposition de centre-droit" opposée à une autre de gauche. Cette définition lénifiante (et inattendue de la part de son auteur) d'un candidat aussi sulfureux lui avait valu une volée de bois vert de la part de Página/12, dont la rédaction est effrayée de trouver dans la bouche d'un ministre du gouvernement national une telle tentative de légitimer des postures aussi grossièrement antidémocratiques.
(2) L'intégration économique à l'échelle continentale a toujours été un axe de développement local. Les premières tentatives dans ce domaine remontent au règne de Carlos III (1759-1788) qui, avec son Règlement du Libre Commerce de 1778, encouragea les échanges entre les différents vice-royaumes et capitaineries-générales des Indes Occidentales afin de désenclaver les villes et les régions qui constituaient l'empire colonial américain. Après les indépendances, cette intégration a été fortement combattue par les nouveaux Etats, tous plus chauvins les uns que les autres et en guerre fréquente entre eux. Ce grand chantier politique a été relancé il y a une quinzaine d'années par les dirigeants alors en poste, Néstor Kirchner en Argentine, Hugo Chávez au Venezuela et Lula au Brésil, avec le soutien du président uruguayen, revenu depuis quelques années aux affaires à Montevideo, Tabaré Vázquez, l'un des rares survivants d'une vague rose qui se meurt à présent.