Sur fond noir et en lettres aux couleurs du Brésil : "C'est la haine qui a gagné" |
Aujourd'hui,
les sites Internet de deux grands quotidiens, l'un argentin, l'autre
uruguayen, Clarín et El País, présentent des anomalies à
l'ouverture, El País se révèlent même tout simplement
inaccessible. Malgré ce manque conséquent, on peut dire que
globalement, la presse se montre préoccupée par le résultat de
l'élection au Brésil voisin. La plupart des titres parlent
franchement de victoire de l'extrême-droite (1). Et l'inquiétude
est d'autant plus grande que le Brésil est l'un des moteurs
économiques du continent, qu'il est membre du G20, comme l'Argentine
qui en assure la présidence cette année, et qu'il est membre
fondateur du Mercosur et de la presque désormais défunte Unasur
(l'alliance de coopération politique dont le Chili, l'Argentine et
le Brésil ont déjà annoncé qu'ils s'en retiraient).
"La tristesse n'est pas que brésilienne" |
A
Buenos Aires, La Prensa, vieux quotidien qui exprime le point de vue
souvent rétrograde de l'oligarchie catholico-mercantile ancrée dans
la tradition coloniale, semble garder deux fers au feu : sa une
et l'un des éditoriaux, signé par Guillermo Belcore, manifeste une satisfaction certaine devant
le nouveau panorama politique brésilien (il en est même indécent) tandis qu'en pages intérieures, un autre
article s'inquiète pour la coopération économique internationale,
puisque le futur ministre de l'Economie brésilien a déjà annoncé
que le Mercosur n'était pas dans la liste de ses priorités ;
or le Mercosur s'est révélé jusqu'à ce jour l'un des plus
efficaces vecteurs du développement pour toute la région (2). Comme
trop souvent, La Prensa adopte aujourd'hui une position très ambiguë
sur la démocratie et l'état de droit (c'est le seul journal
argentin qui avait soutenu récemment un groupuscule de catholiques
pro-dictature qui a osé se rendre à Rome pour présenter au Saint
Siège un dossier de contestation de la béatification d'un prélat
assassiné par le dictature, sous prétexte que l'évêque de La
Rioja n'aurait pas été martyr ni de la foi ni de la charité
pastorale, comme argumente le décret de canonisation, mais de ses
très vilains penchants politiques de gauche – ce groupe n'a pas
obtenu gain de cause, la béatification sera célébrée en avril). A l'opposé, El Observador parle de l'arrivée du fascisme au pouvoir à Brasilia.
"Le triomphe incontestable de Bolsonario ouvre une nouvelle ère pour le Brésil et le Mercosur" Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
En
Argentine, Página/12 proteste en une contre le désastre
démocratique qui vient de s'abattre sur un Brésil dont les citoyens
se sont beaucoup abstenus tandis qu'en Uruguay, c'est La República
qui occupe ce créneau.
"Bolsonaro a triomphé de façon incontestable et il a promis de «changer le destin du Brésil»" Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Les
deux autres quotidiens accessibles en ligne ce matin, La Nación et
El Observador, ne cachent pas leur inquiétude devant la victoire
d'un histrion d'extrême-droite, hostile à la démocratie, favorable
à l'instauration d'une dictature de la majorité exprimée,
vulgaire, ignorant, incohérent et haineux. Peut-être la presse, de
gauche comme de droite, tant en Argentine qu'en Uruguay, a-t-elle
appris, durant ces dernières décennies, à apprécier la vie
constitutionnelle qui s'acheminait lentement vers une pacification
dans les pays sud-américains, en donnant une bonne image
internationale, ce que l'élection de Bolsonaro aura vite fait de
détruire alors que tout le continent bascule progressivement à
droite.
"Virage à droite" : le gros titre est rédigé en portugais |
Rappelons
que l'Argentine est gouvernée à droite depuis trois ans et que
l'Uruguay reste gouverné à gauche depuis plus de dix ans (et c'est
la première fois de son histoire depuis l'indépendance en 1830).
Pour
aller plus loin :
en
Argentine
lire
l'article de La Prensa sur les préoccupations quant au futur du
Mercosur
lire
l'article de Clarín (s'il s'ouvre)
En
Uruguay :
(1)
Il y a quelques jours, le ministre des Affaires étrangères
argentin, Jorge Faurie, issu du sérail diplomatique et politiquement
originaire du centre, parlait au sujet de Bolsonaro, alors candidat
qualifié pour le second tour, d'une "proposition
de centre-droit"
opposée à une autre de gauche. Cette définition lénifiante (et
inattendue de la part de son auteur) d'un candidat aussi sulfureux
lui avait valu une volée de bois vert de la part de Página/12, dont
la rédaction est effrayée de trouver dans la bouche d'un ministre
du gouvernement national une telle tentative de légitimer des
postures aussi grossièrement antidémocratiques.
(2)
L'intégration économique à l'échelle continentale a toujours été
un axe de développement local. Les premières tentatives dans ce
domaine remontent au règne de Carlos III (1759-1788) qui, avec
son Règlement du Libre Commerce de 1778, encouragea les échanges
entre les différents vice-royaumes et capitaineries-générales des
Indes Occidentales afin de désenclaver les villes et les régions
qui constituaient l'empire colonial américain. Après les
indépendances, cette intégration a été fortement combattue par
les nouveaux Etats, tous plus chauvins les uns que les autres et en
guerre fréquente entre eux. Ce grand chantier politique a été
relancé il y a une quinzaine d'années par les dirigeants alors en
poste, Néstor Kirchner en Argentine, Hugo Chávez au Venezuela et
Lula au Brésil, avec le soutien du président uruguayen, revenu
depuis quelques années aux affaires à Montevideo, Tabaré Vázquez,
l'un des rares survivants d'une vague rose qui se meurt à présent.