"Le jour de la Saint-Vicentín" Personne n'aurait reconnu le journal s'il ne nous avait pas fait cette une aujourd'hui ! |
Le groupe Vicentín, l’un des plus gros acteurs
sur le marché céréalier argentin (exportation et transformation), criblé de
dettes (1), était
sur le point de mettre la clé sous la porte et risquait par
conséquent de se faire racheter par des investisseurs
nord-américains, dont on sait comment ils savent vider de leur
substance les entreprises qu’ils rachètent dans des pays où ils
pratiquent une politique de néo-colonisation pour les fermer ensuite
et jeter salariés et fournisseurs dans des situations intenables.
Le
gouvernement argentin vient donc d’annoncer l’expropriation du
groupe pour cause d’utilité publique (la souveraineté alimentaire
de l’Argentine) et il a placé à sa tête un administrateur
provisoire, afin de garantir l’emploi des salariés et le débouché
commercial des 3.000 producteurs qui vendent leurs céréales à cet
exportateur. Dans la foulée, il a envoyé
sur le bureau du Congrès un projet de loi pour valider ce transfert
de propriété.
Comme
on pouvait s’y attendre, la droite pousse des cris d’orfraie :
l’Argentine serait en passe de devenir le nouveau Venezuela (comme
à chaque fois que la gauche prend une mesure de gauche), le nouveau
Cuba, le communisme s’installe, c’est la dictature, je vous en
passe et des meilleures.
Même choix de la rédaction de Clarín Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
En
fait, Vicentín est en effet un acteur-clé pour le PIB national et
pour le marché intérieur, puisqu’une partie des céréales
exportées permettraient de mieux nourrir la population. De surcroît,
c’est un groupe très endettés envers l’État ou plutôt envers
le Banco Nación, qui, sous la présidence Macri, lui a accordé des
prêts dans des conditions qui dérogeaient à ses usages et ses
modèles économiques. Puisque rien n’est jamais gratuit en ce
bas-monde, il ne manque pas d’observateurs pour en déduire qu’on
pourrait retrouver des traces de Vicentin dans les comptes de
campagne de Mauricio Macri. Avec cette nationalisation l’État
s’assure donc que le Banco Nación, qui opère les activités
commerciales de la banque nationale argentine, va pouvoir recouvrer
ses créances. Qui plus est, Vicentín est l'un des gros employeurs qui a licencié en masse au début du confinement, ce qui a provoqué le décret qui interdit tout licenciement et toute suspension de contrat de travail pendant cette période sur tout le territoire national. Bien entendu, la droite ne fait aucun cas de ces
éléments et cette mesure va apporter de l’eau au moulin des
allumés qui prétendent que le pays a été confiné pour permettre
au gouvernement d’imposer la nationalisation de l’économie et
d’installer un système à la chinoise en Argentine.
"Vicentín mis sous tutelle de l'Etat", dit le gros titre Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Alberto
Fernández se met ici dans les pas des Kirchner qui avaient déjà
nationalisé plusieurs entreprises phares du pays au moment où ils
le remettaient sur les rails après la crise de l’endettement de
2001 : YPF, le groupe pétrolier qui, depuis le premier
gouvernement de gauche, élu en 1916, exploite les gisements
pétrolifères de Patagonie dont tous les bénéfices allaient
enrichir les actionnaires du pétrolier espagnol Repsol à la bourse de Madrid,
Aerolíneas Argentinas que feu le groupe Marsans, espagnol lui aussi,
était en train de dépouiller avant sans doute d’en faire une
coquille vide, et Trenes Argentinos, un ensemble de lignes privées
plus ou moins bien gérées qui constituent désormais un réseau de
chemins de fer national pour le transport des voyageurs entre Buenos
Aires et sa banlieue, auquel s’ajoutent quelques rares grandes
lignes, comme celle qui relie à nouveau depuis quelques années la
capitale fédérale et la grande station balnéaire qu’est Mar del
Plata (2).
Le
ton des journaux diffère selon qu’on se plonge dans la lecture de
Página/12, très favorable à cette mesure, ou qu’on lui préfère
la presse main-stream, dont font partie le quotidien catholique et
réactionnaire La Prensa, le journal de la droite libérale, bien
pensante et bien élevée, La Nación et le tabloïd Clarín, qui
incarne une droite aux accents plus populaires et aux analyses plus
frustres.
Pour
aller plus loin :
(1) 1.350 millions de
dollars US.
(2)
Le réseau national de chemins de fer a été démantelé sous la
présidence de Carlos Menem dans les années 1990. Sur les longues
distances de ce pays immenses, le train a été remplacé par des
lignes privées de cars longue distance très polluantes.