Au premier plan, à droite, le président de l'INB, Manuel Belgrano La plaque apposée hier par le ministre rejoint les deux autres, beaucoup plus anciennes et moins lisibles (plus haut perchées) |
Ce n’est pas spectaculaire mais, dans les
conditions très particulières que nous vivons, ça a le grand
mérite d’exister : le ministère de la Culture offre à tous
les Argentins des éléments d’hommage à Manuel Belgrano sous des
formes variées et tout est accessible en ligne. Cela n’a pas dû
être de tout repos à monter.
Le
ministre a en effet pris ses fonctions le 10 décembre, il a dû
commencer par reconstruire son ministère et tous ses outils de communication (site Internet, réseaux sociaux, etc.) puisque la culture avait
été ravalée deux ans auparavant au statut d’un simple
secrétariat d’État au sein du ministère de l’Éducation,
puis les vacances d’été sont arrivées en même temps que les
grands festivals provinciaux, et à peine la rentrée effectuée le
1er
mars, le confinement s’est abattu sur tout le pays le 20 du même
mois. Buenos Aires et sa banlieue n’en sont toujours pas sortis
tandis que la courbe épidémique continue de grimper.
Symbole de la mini-série documentaire Le ministre est cinéaste documentariste de profession ! |
Dans
ces circonstances, on n’a pas le droit de se plaindre : le
ministère n’a pas laissé passer la date symbolique du 3 juin, ce
n’est déjà pas si mal, et, à partir d’hier, il a mis et
continuera de mettre en ligne des documents variés. On peut imaginer
sans peine que les employés ont vécu, comme nous tous, une vraie
course contre la montre pour sortir les choses à temps. Bravo à
eux.
Une collection d'objets conservés dans les musées nationaux et ayant appartenu à Belgrano ou lui rendant honneur compose la couverture de ce premier volume de Sobre Manuel Belgrano |
Sur
les sites dépendant du ministère, on trouve deux types de
documents, d’une part de l’audiovisuel et de l’autre des
imprimés virtuels (en format pdf) :
D’abord
le premier épisode d’une série de onze courts-métrages
documentaires d’environ cinq minutes chacun sur la chaîne Youtube,
sous le titre Tras las huellas de Belgrano ("pour suivre Belgrano à
la trace"). Une heure en tout et pour tout. On peut bien entendu
regretter que ce soit très peu et même trop peu pour un personnage
historique de cette taille mais cette heure n’a pas dû être
facile à bâtir alors que les tournages sont empêchés par le
confinement et le simple bon sens en pleine double crise sanitaire
(covid-19 + dengue, sans parler de l’arrivée prochaine de la
grippe saisonnière). Et bien entendu avec ce gouvernement, mais
heureusement sous un minuscule format aussi (1 mn 21 de vidéo),
on retrouve l’inévitable militant péroniste qui se présente
comme un historien, Pacho O’Donnell (1). Ils auraient pu s’en
passer !
Toute l'iconographie du maté pour symboliser l'ouverture d'esprit de Manuel Belgrano envers les Amérindiens |
Ensuite
une série de trois livrets pdf disponibles en ligne et
téléchargeables gratuitement :
deux
écrits de Belgrano lui-même, déjà très présents sur Internet
(2), l'un privé l'autre officiel, d’une part son autobiographie, rédigée en 1814 pendant qu'atteint de malaria, il
attendait l’arrivée de San Martín à Tucumán (63 pages en
tout) et d’autre part le règlement qu’il a donné aux
trente-trois villes et villages guaranis fondés par les jésuites
dans leurs anciennes missions dans les provinces de Corrientes et
Misiones et l’actuel Paraguay (26 pages, introduction comprise),
et
un volume, intitulé Discursos a la carta (52 pages), et qui ne
contient pas de discours de Belgrano mais six créations littéraires de commande dont les auteurs, trois femmes et trois hommes, choisis aux quatre
coins du pays, brodent autour de cette figure historique pour bâtir un
discours pour l’une ou l’autre de ces cérémonies qui auraient
dû avoir lieu en ce mois de juin et qui ont toutes été annulées.
Pour nous, ici, en Europe, ce dernier volume n’est pas très passionnant mais pour
les enseignants, contraints à réinventer leur métier à travers
les outils de l’école à distance, qu’elle soit privée ou
publique, c’est sans doute un matériel fort utile (là-bas aussi,
les élèves décrochent à tour de bras malgré les efforts déployés
par les professeurs, l’Éducation
nationale, les ministères provinciaux et la télévision publique et
l’institution scolaire ne sait plus quoi inventer pour limiter les
dégâts, scolaires et sociaux).
Le jeune Belgrano à vingt-trois ans alors qu'il vient de prêter serment au barreau de Madrid (et non pas à Londres en 1815, comme il est dit à la fin du document) Voir ma conférence Manuel Belgrano : trois vies en une sur Dailymotion pour en savoir plus |
Bref,
on lit, presque à livre ouvert, le projet politique qui sous-tend
ces choix : une Argentine qui intègre les Amérindiens dans le
roman national et qui promeuve les valeurs éthiques de ses
pères-fondateurs, notamment leur désintéressement matériel et
leur féminisme avant la lettre. Cela sent aussi un peu le bricolage
mais il serait injuste de jeter la pierre à qui que ce soit puisque
la crise mondiale entrave toutes nos démarches intellectuelles et,
jusqu’à un certain point, techniques.
En
dépit de toutes ces difficultés, l’existence de cette opération
montre la volonté de ce gouvernement de faire connaître l’histoire
nationale à un public large qui englobe tout le spectre social,
culturel et géographique de la population. Ce n’était pas le cas
de la majorité précédente.
Pour
aller plus loin :
lire
l’article de Página/12 sur l’hommage rendu par le ministre,
accompagné par l’ambassadeur d’Italie et le président de l’INB,
lui-même descendant du général (3) et le dévoilement de la plaque
à côté de la porte de l’Edificio Cramer, élevé à
l’emplacement de la maison où Belgrano est né et où il a rendu
l’âme cinquante ans plus tard (un immeuble de bureaux d’une
laideur insigne)
lire
l’article de Clarín présentant l’offre ministérielle et la
démarche suivie (un point dont Página/12 ne dit pas un mot, ce qui
prouve à quel point le confinement brouille toutes les cartes)
lire
le communiqué du ministère sur l’hommage officiel d’hier
accéder aux documents à télécharger
(compartir.cultura.gob.ar)
accéder
à la page Facebook du ministère
accéder
à la chaîne You Tube du ministère où vous pourrez aussi voir le
résumé vidéo de l’hommage officiel d’hier.
(1)
A l’en croire et à en croire bien d'autres, Pacho O’Donnell fait de l’histoire. En fait, il
crée de toutes pièces une lecture du passé national
ultra-idéologique. Quand il cite des sources, c’est souvent en
choisissant des passages en fonction du but politique qu’il
poursuit dans son développement. Il passe pour un grand intellectuel
chez les militants de la gauche nationaliste. J’ai dans ces cercles
des amis qui le vénèrent et d’autres, ailleurs dans le spectre
politique, qui ne peuvent pas le souffrir. Ses écrits tiennent plus
du prospectus de campagne électorale que d’un travail de recherche
historique mais c’est très difficile d’en parler posément
là-bas.
(2)
Notamment sur le site de l’Instituto Nacional Belgraniano. La seule
explication que je vois au fait qu’ils aient ressorti ça sur leur
site au lieu de renvoyer vers celui de cette institution qui dépend
de ce ministère-là, c’est que la crise sanitaire ne leur a pas
laissé beaucoup de marge de manœuvre pour produire des choses
originales qui couvrent correctement l’ensemble du spectre des
activités intellectuelles et politiques de Manuel Belgrano. Ils sont
allés au plus pressé. Ceci dit, ils auraient fait un peu plus appel
à l’Institut, cela ne leur aurait pas fait de mal. Seul un expert
a été appelé à la rescousse, Matías Dibb, cité en fin de
volume : un authentique historien, qui a passé sa thèse il y a
quelques années (cela nous change des vieux maîtres auxquels on
fait si souvent appel dans ce genre d’événement).
(3)
Manuel Belgrano, qui posait le 22 mai dernier avec mon libre entre
les mains devant le grand portrait en pied peint par Casimir
Carbonnier à Londres en 1815. Voir mon article du 25 mai dernier.