jeudi 4 juin 2020

Au lendemain du 250e anniversaire de Manuel Belgrano [Actu]

Au premier plan, à droite, le président de l'INB, Manuel Belgrano
La plaque apposée hier par le ministre rejoint les deux autres,
beaucoup plus anciennes et moins lisibles (plus haut perchées)

Ce n’est pas spectaculaire mais, dans les conditions très particulières que nous vivons, ça a le grand mérite d’exister : le ministère de la Culture offre à tous les Argentins des éléments d’hommage à Manuel Belgrano sous des formes variées et tout est accessible en ligne. Cela n’a pas dû être de tout repos à monter.
Le ministre a en effet pris ses fonctions le 10 décembre, il a dû commencer par reconstruire son ministère et tous ses outils de communication (site Internet, réseaux sociaux, etc.) puisque la culture avait été ravalée deux ans auparavant au statut d’un simple secrétariat d’État au sein du ministère de l’Éducation, puis les vacances d’été sont arrivées en même temps que les grands festivals provinciaux, et à peine la rentrée effectuée le 1er mars, le confinement s’est abattu sur tout le pays le 20 du même mois. Buenos Aires et sa banlieue n’en sont toujours pas sortis tandis que la courbe épidémique continue de grimper.

Symbole de la mini-série documentaire
Le ministre est cinéaste documentariste de profession !

Dans ces circonstances, on n’a pas le droit de se plaindre : le ministère n’a pas laissé passer la date symbolique du 3 juin, ce n’est déjà pas si mal, et, à partir d’hier, il a mis et continuera de mettre en ligne des documents variés. On peut imaginer sans peine que les employés ont vécu, comme nous tous, une vraie course contre la montre pour sortir les choses à temps. Bravo à eux.

Une collection d'objets conservés dans les musées nationaux
et ayant appartenu à Belgrano ou lui rendant honneur
compose la couverture de ce premier volume de Sobre Manuel Belgrano

Sur les sites dépendant du ministère, on trouve deux types de documents, d’une part de l’audiovisuel et de l’autre des imprimés virtuels (en format pdf) :

D’abord le premier épisode d’une série de onze courts-métrages documentaires d’environ cinq minutes chacun sur la chaîne Youtube, sous le titre Tras las huellas de Belgrano ("pour suivre Belgrano à la trace"). Une heure en tout et pour tout. On peut bien entendu regretter que ce soit très peu et même trop peu pour un personnage historique de cette taille mais cette heure n’a pas dû être facile à bâtir alors que les tournages sont empêchés par le confinement et le simple bon sens en pleine double crise sanitaire (covid-19 + dengue, sans parler de l’arrivée prochaine de la grippe saisonnière). Et bien entendu avec ce gouvernement, mais heureusement sous un minuscule format aussi (1 mn 21 de vidéo), on retrouve l’inévitable militant péroniste qui se présente comme un historien, Pacho O’Donnell (1). Ils auraient pu s’en passer !

Toute l'iconographie du maté pour symboliser
l'ouverture d'esprit de Manuel Belgrano envers les Amérindiens

Ensuite une série de trois livrets pdf disponibles en ligne et téléchargeables gratuitement :
deux écrits de Belgrano lui-même, déjà très présents sur Internet (2), l'un privé l'autre officiel, d’une part son autobiographie, rédigée en 1814 pendant qu'atteint de malaria, il attendait l’arrivée de San Martín à Tucumán (63 pages en tout) et d’autre part le règlement qu’il a donné aux trente-trois villes et villages guaranis fondés par les jésuites dans leurs anciennes missions dans les provinces de Corrientes et Misiones et l’actuel Paraguay (26 pages, introduction comprise),
et un volume, intitulé Discursos a la carta (52 pages), et qui ne contient pas de discours de Belgrano mais six créations littéraires de commande dont les auteurs, trois femmes et trois hommes, choisis aux quatre coins du pays, brodent autour de cette figure historique pour bâtir un discours pour l’une ou l’autre de ces cérémonies qui auraient dû avoir lieu en ce mois de juin et qui ont toutes été annulées. Pour nous, ici, en Europe, ce dernier volume n’est pas très passionnant mais pour les enseignants, contraints à réinventer leur métier à travers les outils de l’école à distance, qu’elle soit privée ou publique, c’est sans doute un matériel fort utile (là-bas aussi, les élèves décrochent à tour de bras malgré les efforts déployés par les professeurs, l’Éducation nationale, les ministères provinciaux et la télévision publique et l’institution scolaire ne sait plus quoi inventer pour limiter les dégâts, scolaires et sociaux).

Le jeune Belgrano à vingt-trois ans
alors qu'il vient de prêter serment au barreau de Madrid
(et non pas à Londres en 1815, comme il est dit à la fin du document)
Voir ma conférence Manuel Belgrano : trois vies en une
sur Dailymotion pour en savoir plus

Table des matières de Discursos a la carta
Cliquez sur les images pour de meilleures résolutions

Bref, on lit, presque à livre ouvert, le projet politique qui sous-tend ces choix : une Argentine qui intègre les Amérindiens dans le roman national et qui promeuve les valeurs éthiques de ses pères-fondateurs, notamment leur désintéressement matériel et leur féminisme avant la lettre. Cela sent aussi un peu le bricolage mais il serait injuste de jeter la pierre à qui que ce soit puisque la crise mondiale entrave toutes nos démarches intellectuelles et, jusqu’à un certain point, techniques.

C'était le 1er régiment d'infanterie dit des Patricios qui rendait les honneurs
et non pas celui des grenadiers à cheval, comme il est d'usage pour des cérémonies nationales.
Mais Belgrano a été leur second chef historique.
Et puis c'est le régiment qui remplit les services d'honneur et de protocole de la Ville Autonome de Buenos Aires
et le ministre de la culture locale était sur place.
Admirez le masque régimentaire assorti à la tenue historique.

En dépit de toutes ces difficultés, l’existence de cette opération montre la volonté de ce gouvernement de faire connaître l’histoire nationale à un public large qui englobe tout le spectre social, culturel et géographique de la population. Ce n’était pas le cas de la majorité précédente.

Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12 sur l’hommage rendu par le ministre, accompagné par l’ambassadeur d’Italie et le président de l’INB, lui-même descendant du général (3) et le dévoilement de la plaque à côté de la porte de l’Edificio Cramer, élevé à l’emplacement de la maison où Belgrano est né et où il a rendu l’âme cinquante ans plus tard (un immeuble de bureaux d’une laideur insigne)
lire l’article de Clarín présentant l’offre ministérielle et la démarche suivie (un point dont Página/12 ne dit pas un mot, ce qui prouve à quel point le confinement brouille toutes les cartes)
lire le communiqué du ministère sur l’hommage officiel d’hier
accéder aux documents à télécharger (compartir.cultura.gob.ar)
accéder à la chaîne You Tube du ministère où vous pourrez aussi voir le résumé vidéo de l’hommage officiel d’hier.



(1) A l’en croire et à en croire bien d'autres, Pacho O’Donnell fait de l’histoire. En fait, il crée de toutes pièces une lecture du passé national ultra-idéologique. Quand il cite des sources, c’est souvent en choisissant des passages en fonction du but politique qu’il poursuit dans son développement. Il passe pour un grand intellectuel chez les militants de la gauche nationaliste. J’ai dans ces cercles des amis qui le vénèrent et d’autres, ailleurs dans le spectre politique, qui ne peuvent pas le souffrir. Ses écrits tiennent plus du prospectus de campagne électorale que d’un travail de recherche historique mais c’est très difficile d’en parler posément là-bas.
(2) Notamment sur le site de l’Instituto Nacional Belgraniano. La seule explication que je vois au fait qu’ils aient ressorti ça sur leur site au lieu de renvoyer vers celui de cette institution qui dépend de ce ministère-là, c’est que la crise sanitaire ne leur a pas laissé beaucoup de marge de manœuvre pour produire des choses originales qui couvrent correctement l’ensemble du spectre des activités intellectuelles et politiques de Manuel Belgrano. Ils sont allés au plus pressé. Ceci dit, ils auraient fait un peu plus appel à l’Institut, cela ne leur aurait pas fait de mal. Seul un expert a été appelé à la rescousse, Matías Dibb, cité en fin de volume : un authentique historien, qui a passé sa thèse il y a quelques années (cela nous change des vieux maîtres auxquels on fait si souvent appel dans ce genre d’événement).
(3) Manuel Belgrano, qui posait le 22 mai dernier avec mon libre entre les mains devant le grand portrait en pied peint par Casimir Carbonnier à Londres en 1815. Voir mon article du 25 mai dernier.