Lever des couleurs dans les jardins de la résidence La Première dame s'était vêtue des couleurs nationales (photo Casa Rosada) |
Hier la presse nationale argentine présentait le lamentable spectacle d’un silence presque total sur le bicentenaire de la mort de Manuel Belgrano alors que la veille, le samedi 20 juin, date de cet anniversaire, le pays fêtait, en théorie du moins, la fête du drapeau instituée à cette date à la fin des années 1930 pour rendre hommage au général à qui l’Argentine doit la création de ses couleurs… Quelle ingratitude quand on pense non seulement à l’ampleur du travail patriotique accompli par ce personnage qui n’a vécu que cinquante ans mais aussi au simple fait que c’est par sa volonté que la presse est née à Buenos Aires !
La cérémonie au Monument au Drapeau de Rosario avec les distances physiques indispensables et l'écran géant pour écouter le président |
La raison en est tristement partisane : la droite libérale et capitaliste avait choisi ce jour très spécial pour faire une manifestation klaxonnante, vociférante prétendument démocrate et patriote, autour de l’Obélisque contre la nationalisation du groupe céréalier Vicentín, alors même que le tribunal de commerce l’avait rendu impossible en se prononçant contre l’expropriation l’avant-veille et que le gouvernement n’a toujours pas présenté sa solution de rechange. Ces gens auraient pu avoir la décence de manifester un autre jour plutôt que celui où le pays était censé se souvenir d’un père de la patrie qui a consacré toute sa vie à l’entente civile entre les Argentins. Ils auraient aussi pu respecter, c’eût été la moindre des choses, le symbole d’unité qu’est le drapeau national (n’importe quel drapeau national), surtout au moment où tout le pays est secoué par la tragédie sanitaire.
Tous les journaux ont donc fait leur une du lendemain non pas sur la fête du drapeau qui se célèbre à Rosario ou sur ce bicentenaire mais sur la horde d’automobilistes hurlant comme des hooligans tous drapeaux déployés à travers les vitres baissées de leurs gros véhicules, sauf Página/12 qui a préféré titrer sur un scandale d’espionnage qui semble engager la responsabilité pénale de divers mandataires de l’ancienne majorité, à commencer par l’ancien chef d’État.
Cela prouve combien le travail pédagogique de l’Instituto Nacional Belgraniano et d’autres entités de cette nature reste indispensable pour faire vivre la mémoire des hommes et des événements qui ont construit le pays.
Le président, la Première dame et quelques ministres réunis dans les jardins pavoisés de la résidence à Olivos |
Pourtant, la cérémonie d’hommage au drapeau a bien eu lieu à Rosario avec toutes les mesures de précaution qui s’impose pour lutter contre la pandémie : sur place, se trouvaient le maire de Rosaio et le gouverneur de la province de Santa Fe, qui est en train de chercher une solution alternative pour que Vicentín ne soit pas la proie de prédateurs financiers de type Black Rock tandis qu’à la résidence officielle de Olivos, le président Alberto Fernández y participait par duplex informatique (1). C’était le premier Día de la Bandera de son mandat. Il n’est donc pas inutile de savoir ce qu’il a bien pu en faire et ce qu’il y a dit. Ensuite, le chef d’État a présidé une prestation de serment au drapeau d’écoliers reliés en visio-conférence depuis tous les coins du pays (cette prestation de serment est traditionnelle dans les écoles pour tous les enfants au moment des fêtes patriotiques : 25 mai, 20 juin, 17 août et 20 novembre).
Seul parmi les quotidiens nationaux, Página/12 a rapporté la tenue de la cérémonie officielle, intégrant même la vidéo dans les pages Internet de son article. La Prensa a préféré publier un modeste article, sans grande ambition historique, sur la mort de Belgrano tandis que Clarín publiait, et cela mérite d’être souligné, une courte interview téléphonique de Manuel Belgrano, le président de l’INB, en la gratifiant d’une erreur généalogique dans le titre. La Nación n’a même pas consacré une ligne à l’événement. Cette volonté de faire disparaître du champ médiatique la personne et les actes les plus solennels et symboliques du chef de l’État démocratiquement et constitutionnellement élu a de quoi nous laisser muets de stupeur.
Pour en savoir plus :
lire l’article de Clarín
regarder la vidéo de la cérémonie sur la chaîne Youtube de la Casa Rosada.
(1) Sur le conseil des médecins, le président ne quitte plus sa résidence. Ces deux dernières semaines, il a tenté deux visites officielles sur le terrain, l’une en Patagonie et l’autre dans le nord-ouest, mais il a fallu les abréger, la première parce qu’elle semblait avoir donné de mauvaises idées de voyage à des Argentins assez aisés pour prendre leur voiture et la poudre d’escampette et la seconde parce qu’elle s’est heurtée à de la contagion dans le personnel politique régional. L’Argentine vient de franchir la barre symbolique des mille morts du Covid et elle a perdu coup sur coup deux soignants, un médecin il y a deux jours et un infirmer aujourd’hui.