Les derniers sondages publiés les mettaient tous les trois au maximum à huit points d’écart dans l’ordre suivant : Mileí, Massa et Bullrich. On était dans la marge d’erreur : erreurs d’interprétation de la part des sondeurs mais aussi cachotteries et « pudeur de gazelle » de la part des sondés.
Hier, le premier tour du scrutin
a donné pour la présidentielle un ordre un peu différent mais pas
tant que cela, même si les observateurs feignent la plus grande
surprise : Sergio Massa emporte la première place, avec 36,7 %
des voix exprimées, devançant de près de 7 points son adversaire
libertaire et facho à ses heures Javier Mileí, qui clamait qu’il
allait être élu au premier tour (soit avec un score net de 45 %
ou un score de 40 % à condition de devancer son premier
adversaire de 10 points). Quant à Patricia Bullrich, elle s’effondre
et voit sans doute se profiler la fin de sa carrière politique (elle
n’aura plus aucun mandat pendant les deux ans qui viennent), après
une campagne désastreuse, pleine de cris et de hargne et plus encore
de dissensions spectaculaires au sein de l’alliance électorale
dominée par la droite libérale mais qui rassemblait aussi les
radicaux (centre-droit) et les sociaux-démocrates, idéologie
ultra-minoritaire en Argentine.
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Il y aura donc à la mi-novembre, dans trois semaines, un second tour entre l’actuel ministre de l’Économie, le très méthodique et très tenace Sergio Massa, et le candidat à demi-fou, qui se rêve en Bolsonaro et en Trump de l’Argentine.
Dans la Province de Buenos Aires,
le candidat péroniste à sa réélection, Axel Kiciloff, est réélu
gouverneur dès le premier tour, le seul à avoir réussi cet exploit
hier.
"Surprise : victoire de Massa et second tour avec Mileí Débâcle de Bullrich", dit le gros titre Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Dans la Ville autonome de Buenos Aires, un cousin de Mauricio Macri, de la même alliance que Patricia Bullrich, passe si près de l’élection au premier tour qu’il a demandé le recomptage des bulletins. On devrait savoir dans quelques jours le résultat définitif.
Du côté du Congrès, Unión por la Patria (Sergio Massa) emporte le plus grand nombre de sièges mais sans atteindre la majorité absolue. La gouvernabilité des deux assemblées semble donc assez improbable avec un bloc droitier (Bullrich + Mileí) qui comptera plus de voix que celui de Unión por la Patria. Reste à savoir comment les élus de Juntos por el Cambio (Bullrich) se disperseront au gré des séances, comme se dispersent déjà leurs intentions de vote au second tour de la présidentielle : un certain nombre a déjà appelé à voter pour Massa, tant le programme cinglé de Mileí menace l’avenir du pays et sa démocratie.
A ce stade de l’évolution des
esprits, ce que nous apprend déjà ce premier tour, c’est que
Mileí aurait atteint son plafond lors du scrutin d’août puisqu’il
n’a gagné que quelques centaines de voix supplémentaires par
rapport à son résultat des primaires. Son parti (ou ce qui en tient
lieu), LLA, pour La Liberté Avance, a reculé dans plusieurs
provinces par rapport à ce premier scrutin il y a trois mois. De son
côté, Sergio Massa a gagné plus de 3 millions de voix par rapport
à août et à ses côtés, il a bel et bien déjà le jeune et
puissant gouverneur de Buenos Aires, si brillamment réélu cette
nuit. D’aucuns disent qu’aujourd’hui, le ministre-candidat
exerce déjà l’intégralité ou presque des prérogatives
présidentielles, le président en fonction, Alberto Fernández,
étant déjà démonétisé en cette fin de mandat sinistrée par
l’inflation et les convulsions sociales. En outre, Massa est une
bête politique, un tacticien de premier ordre et un homme qui a
toujours pu concourir, souvent contre Cristina Kirchner, les postes
politiques qu’il convoitait, jusqu’à ce super-ministère de
l’Économie dont il a
lui-même dessiné le profil il y a deux ans et à son actuelle
candidature, arrachée au dernier moment, à quelques heures de
l’échéance du dépôt officiel des candidatures, là encore
contre les calculs de Cristina, qui s’est d’ailleurs amèrement
plainte hier qu’elle n’ait pas été écoutée pendant le mandat
sortant (comme si, de son côté, elle écoutait attentivement les
autres dans son camp !).
"Massa surprend avec son triomphe et sera au second tour avec Mileí", dit le gros titre Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Dès le résultat connu, Mileí, déçu et vexé d’avoir raté l’élection au premier tour qu’il avait annoncée à cor et à cri tout au long de ces dernières semaines, a commencé à faire du gringue aux membres de Juntos por el Cambio, qui risquent de lui vendre chèrement leurs voix, eu égard au torrent d’injures avec lequel il les a arrosés depuis plusieurs mois et aux écarts politiques et idéologiques qu’il y a entre lui et beaucoup d’entre eux, nettement plus modérés et raisonnables que Bullrich.
Quoi qu’il en soit, en ce lendemain de scrutin, ces résultats, obtenus avec une participation des plus belles pour l’Argentine, un peu plus de 77 % des inscrits, montrent que les Argentins sont conscients des enjeux, même si, avec leur condescendance habituelle, les observateurs, surtout étrangers, n’ont pas arrêté de prétendre l’inverse ces derniers temps, et que les reports de voix pourraient bien bénéficier à Sergio Massa, de loin le plus présentable, le plus présidentiable et le plus crédible des deux candidats (même si un éditorialiste de La Prensa écrit déjà qu’il faut voter pour l’autre, le seul candidat, selon lui, digne de confiance).
Mais quel pourrait être le sort de la majorité des Argentins en cas de victoire de Mileí et quelle détestable image le pays se gagnerait-il dans le monde s’il installait à la Casa Rosada ce demi-fou grossier, d’une vulgarité sans fond et… en prime aussi mal peigné que mal fagoté !
Trois semaines après le second tour doit avoir lieu, le 10 décembre, la passation de pouvoir entre Alberto Fernández et son successeur. L’Argentine fêtera ce jour-là les quarante ans du retour de la démocratie après sept ans d’une épouvantable dictature militaire qui a laissé environ 30 000 disparus que Mileí ne veut pas reconnaître.
Pour aller plus loin :
lire l’article principal de La Prensa
lire l’article principal de Clarín
lire l’article principal de La Nación
Ajout du 24 octobre 2023 :
lire cette
analyse de Página/12
sur les données contenues dans les sondages non publiés réalisés
la semaine dernière : ils
prévoyaient bien la remontée de Sergio Massa au-dessus de Mileí et la
chute vertigineuse de Patricia Bullrich. D’où la colère des
journaux de droite vendredi devant la dernière affiche de Massa sur
les quais des gare ! (voir mon
article du 20 octobre 2023)
Ajout du 25 octobre 2023 :
lire cet
article de Página/12
qui analyse comment la meilleure mobilisation de l’électorat et
les reports de voix par rapport aux PASO expliquent la première
place de Sergio Massa.