jeudi 30 janvier 2025

Jacques Audiard « s’est tuer » dans les pays hispanophones [ici]


C’est une interview donnée en France il y a plusieurs mois qui vient de ressurgir en Amérique hispanophone où elle enflamme les réseaux sociaux avec la violence des incendies de Los Angeles. Cet entretien se serait sans doute perdu si Emilia Pérez n’avait pas récemment obtenu autant de nominations aux prochains Oscars, ce musical français doté d’une distribution internationale et de dialogues en espagnol, dont l’action se passe dans un Mexique convenu, ravagé par les cartels de la drogue et encore plus par les stéréotypes et les préjugés et dont l’aspect superficiel avait vocation à passer inaperçu grâce au caractère transgenre de la comédienne en haut de l’affiche, censée suffire à lui seul à faire saluer ce film comme un chef-d’œuvre audacieux et dans le coup.

Au cours de cet entretien, le réalisateur, Jacques Audiard, étale un indécent mépris pour le Mexique lui-même, qu’il avoue n’avoir même pas étudié avant d’en faire son décor-prétexte, et pour la langue espagnole dont il reconnaît avec une fatuité d’un autre âge ne pas parler un traître mot. Féconde ignorance, se vante-t-il, grâce à laquelle il aurait pu diriger le tournage sans rien comprendre aux dialogues, ce qui lui aurait laissé la possibilité de se livrer au rêve et à l’imagination, ce qui lui est interdit en français, puisqu’il comprend tout ce qui se dit sur le plateau. Outrecuidant et arrogant comme un Donald Trump, le cinéaste français ajoute que la langue espagnole est une langue de pauvres et de migrants qui fuient des pays sous-développés.

Un certain Cervantes dont, avec une bonne dose de chance, certains d’entre vous auront peut-être entendu parler, la poétesse chilienne Gabriela Mistral, prix Nobel de littérature, les Argentins Jorge Luis Borges et Julio Cortazar (de la petite bière !), l’Espagnol Manuel Vázquez Montalban, dont les romans policiers sont devenus des classiques à l’échelle mondiale, Gabriel García Márquez, prix Nobel de littérature colombien, et bien entendu le Mexicain Carlos Fuentes, pour ne citer que quelques écrivains disparus, vous saluent bien !

Le scandale a droit à la Une : ci-dessus, en bas, tout à gauche !
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Depuis quelques jours, écœurés par l’image que le film donne de leur pays et chauffés à blanc, par-dessus le marché, par la Maison Blanche nouvelle version, les Mexicains se répandent sur Internet pour vouer aux gémonies cet insupportable discours qui pue le colonialisme à 9 000 km à la ronde et son auteur. Des spectateurs qui ont déjà vu le film exigent d’être remboursés. La presse argentine et les Argentins eux-mêmes leur embrayent le pas en vomissant leur mépris et leur rancœur au point que c’est maintenant le français que les journalistes, les écrivains et les particuliers dénoncent en retour comme langue impérialiste. Le français dont le rayonnement décroît pourtant à la vitesse grand V dans le monde entier depuis qu'Emmanuel Macron a quasiment abandonné à leur sort les Alliances Françaises, ces associations locales liées au Quai d’Orsay qui jouissaient partout d’un incroyable prestige jusqu’à ce que sa condescendance s’installe à l’Élysée en 2017.

Il ne manquait plus que cela !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

mercredi 29 janvier 2025

Grosse inquiétude pour les archives des crimes de la dictature [Actu]

Une de Página/12 le 29 janvier 2025
Le gros titre se passe de traduction
Au-dessus : le scandale social de la suppression des taxes
sur les voitures de luxe, rebaptisées du surnom d'un ministre
(Toto Caputo)
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Toutes les armes de l’Argentine ont été actives sous la dictature militaire de 1976-1983, sauf peut-être le régiment des Grenadiers à Cheval, qui semble avoir toujours respecter la mission républicaine qui lui a été donnée à sa reconstitution en 1903 : être le gardien de l’unité nationale, conformément au vœu de son fondateur en 1812, le général José de San Martín (1778-1850). De toutes les forces armées nationales, la marine et l’armée de l’air ont été celles qui ont laissé le plus de traces criminelles dans la mémoire nationale (et internationale), eu égard à la nature de leurs activités de répression, la marine dans le sinistre cadre de son école supérieure de mécanique, la « ex-Esma » qui accueille aujourd’hui, à Palermo, dans le nord de Buenos Aires, le grand Espace pour la Mémoire placé sous le patronage de l’UNESCO, et l’aviation, à cause de l’opération Condor, une opération multinationale consistant à jeter en vol les opposants vivants qui mourraient en tombant dans le Río de la Plata ou dans l’un ou l’autre océans.

Il y a quelque temps, la Marine a pris la décision, secrètement, de déménager ses archives de la rue Bolívar (dans le centre historique de Buenos Aires) vers un site dénommé Garage central, situé dans le quartier de Retiro, près du siège de la Préfecture navale (l’état-major des forces fluviales et maritimes), dans le nord de la capitale argentine. Ce déménagement s’accompagne d’un ordre de passer à la broyeuse une partie de la documentation, officiellement sans doute pour faire de la place dans les linéaires mais dans le contexte actuel, un tel ordre éveille immédiatement la suspicion : l’état-major naval ne serait-il pas en train de détruire des preuves de l’implication de la Marine dans les crimes contre l’humanité de la période anticonstitutionnelle ?

Branle-bas de combat dans les rangs des défenseurs de la légalité et de l’État de droit pour faire protéger par la justice l’intégrité du dépôt afin que rien ne se perde des 5 800 mètres officiels d’archivage que plusieurs experts estiment en fait à 8 km.

En haut : "Les documents de la Conadep en danger"
Une de Página/12 le 25 janvier 2025
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La découverte de ce projet de déménagement associé à une possibilité de destruction intervient après un arrêt de la justice qui a reconnu, la semaine dernière, que d’autres archives, celle de la CONADEP, la commission d’enquête sur les disparitions des opposants à la dictature, instituée au retour à l’ordre constitutionnel en 1984, étaient elles aussi menacées, cette fois, par les mauvaises conditions de conservation qui règnent à l’Archivo Nacional de la Memoria. Ces mauvaises conditions sont dues à l’absence de personnel compétent, celui-ci ayant été congédié au début du mandat dans la tentative de Mileí de détruire l’État en le vidant de ses ressources humaines et techniques, à des portes faciles à violer et à l’absence de caméra de surveillance. Tout pour plaire !

Or Mileí et sa vice-présidente, fille d’un officier supérieur impliqué dans les crimes contre l’humanité, ne font pas mystère de vouloir réhabiliter la dictature et amnistier tous les condamnés qui, morts ou vivants, purgent ou ont purgé leur peine de prison édictées après des procès publics, tout ce qu’il y a de plus démocratique.

Le moins qu’on puisse dire est que cela ne sent décidément pas très bon.

Samedi prochain, les mouvements de défense de la démocratie appellent à une vaste manifestation « contre le fascisme ». De jour en jour, divers groupes, d’artistes, d’intellectuels, de syndicalistes, etc. rejoignent cet appel.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 de ce matin (sur les archives de la Marine)
lire l’article de Página/12 du 25 janvier (sur les archives de la CONADEP)
La presse de droite n’évoque pas ces questions.

La Joconde en Une de Clarín [ici]

En gros titre : même Clarín semble s'en scandaliser...
Le gouvernement veut faire baisser les prix d'achat
des voitures [pour relancer le marché] en supprimant
une taxe, ce qui va bénéficier aux plus riches !!!!!
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Ce matin, notre belle Florentine se montre à la une du tabloid argentin avec un article pleine page, dans l’édition papier, sur les annonces faites hier par Emmanuel Macron.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

Tout va très bien, Madame la marquise ! Les gens vivent dans la rue en pleine capitale [Actu]

"Le manque de protection", dit le gros titre
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Buenos Aires retrouve son aspect de capitale du tiers-monde qu’elle avait perdu depuis de très nombreuses années grâce à la politique menée depuis 2003 par les péronistes, honnis à longueur de journée par nos journalistes et soi-disant experts économiques des chaînes d’info en continu, y compris sur les média du service public : le déplafonnement des loyers, les pertes d’emploi en cascade dans la fonction publique mais encore bien davantage dans les entreprises privées, dont le chiffre d’affaires est menacé par les importations à bas prix, pour ne rien dire de celles, très nombreuses, qui déposent le bilan les unes derrières les autres depuis mars dernier, l’inflation qui n’est pas jugulée contrairement à ce qui dit le gouvernement de Mileí, toute cette libéralisation cruelle aboutit à cette image insupportable qu’on avait pu croire irrévocablement dépassée.

Des gens qui dorment dans la rue en pleine ville, dans l’étouffante canicule d’un été citadin et minéralisé, dans le quartier normalement bouillonnant de Corrientes y Callao, le coin des cinémas, des librairies (toutes en danger, voire certaines déjà définitivement fermées), des théâtres et des cafés, certains très célèbres… Devant la devanture de Zivals, la librairie-disquerie emblématique où se rendaient tous les amoureux de la culture populaire argentine : le royaume du tango, du folklore, du rock, du jazz nationaux….

Quel crève-cœur !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

vendredi 24 janvier 2025

A Davos, Mileí annonce la fin de nombreux droits dans son pays [Actu]

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Encouragé par les premières décisions de Trump (pourtant déjà retoquées par la justice fédérale américaine) et emporté dans ses propres délires, Mileí a prononcé hier à Davos un discours d’une rare violence contre tout ce qui ne correspond pas à ses convictions personnelles, donnant ainsi un exemple chimiquement pur d’une intolérance dictatoriale.

C’est ainsi qu’il a traité toute pensée de gauche de "cancer de l’humanité" qu’il fallait "éradiquer" (sic) et les couples homosexuels qui adoptent des enfants de "pédophiles" (re-sic), en s’appuyant sur un procès retentissant qui vient de s’achever en Georgie, aux États-Unis, contre deux bourreaux d’enfants homosexuels. C’est peu dire qu’il a surpris l’ensemble de la presse présente sur place !

Avec La Pensa, on est à l'extrême-droite catholique :
la rédaction a préféré titrer sur l'éventuel accord
le libre-échange avec les Etats-Unis
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Dans le flot du même discours, il a annoncé la fin prochaine de la catégorie pénale du féminicide (conçu comme un crime de « propriétaire » par un homme contre une femme) et de toutes les mesures de discrimination positive adoptées lors des mandats précédents pour faire progresser l’égalité professionnelle et économique entre femmes et hommes et pour intégrer les personnes LGBTQI+ dans la société, notamment dans les institutions publiques.

Ainsi donc l’Argentine ne délivrera plus de pièce d’identité non binaire. Le système de santé ne prendra plus en charge les protocoles psycho-médicaux de changement de sexe. Et bien entendu, il n’y aura plus aucun quota d’inclusion des intéressés parmi les salariés de l’État fédéral.

"Mileí a frappé très fort contre les politiques de
genre et s'en prend maintenant aux quotas", dit le titre
à mi-hauteur, à gauche
Quant à la photo, elle est réservée au film Emilie Pérez
multinominé aux Oscars et sa vedette transgenre
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Dans ses propos délirants, seul le retrait des politiques finançant les traitements hormonaux et chirurgicaux est motivé par des nécessités économiques, l’État n’ayant selon lui pas vocation à dépenser ses sous pour régler les problèmes des minorités. Vieille rengaine dans sa bouche : ils n’ont qu’à se débrouiller seuls.

Le reste ne coûte pas un centime à l’État et n’est justifié que par des arguments dont sourd une haine tenace envers des personnes dont Mileí semble percevoir l’existence comme une menace existentielle contre sa propre condition masculine.

Le discours a été si véhément que les quatre quotidiens nationaux reviennent sur l’info, dont les trois principaux en Une !

Même politique éditoriale à La Nación :
"A Davos, Mileí a prononcé un discours
chargé d'accusations", dit le titre
(à mi-hauteur, à droite, à côté de la photo)
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Sur son continent, l’Argentine était en effet leader dans le domaine du droit des femmes et des minorités.

D’autre part, le président argentin, encensé hier sur LCI, chez l'archipatelin Pujadas, et démoli à juste titre sur France 2 (Envoyé Spécial), n’a pas non plus oublié d’insulter une nouvelle fois Pedro Sánchez, le chef du gouvernement espagnol, présent lui aussi à Davos, où il a entre autres défendu le renforcement de la régulation européenne des réseaux sociaux afin que ceux-ci cessent d’être l’actuel égout à mensonges, à haine et à propositions antidémocratiques que Musk et Zuckerberg cherchent à renforcer. Il faut croire que Mileí est vraiment stupide ! Sánchez est l’un des dirigeants européens les plus favorables à l’accord entre l’Union Européenne et le Mercosur qui se traîne depuis des années sans aboutir. Or Mileí a aussi menacé de quitter le Mercosur si c’était là une condition pour négocier avec son copain de la Maison Blanche un traité de libre-échange bilatéral avec les États-Unis.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de La Nación
Clarín a réservé son article en ligne à ses abonnés. Dans la version imprimée, l’information occupe deux pages pleines, avec une grosse photo de Mileí sur environ un quart de la page 8.

mercredi 22 janvier 2025

Autres retrouvailles dans la famille Macedo [Actu]

Le gros titre reprend une phrase de Estela de Carlotto :
"La vérité sur les crimes de la dictature continue
à voir le jour"
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Les Macedo forment l’une des familles argentines les plus amputées par le terrorisme d’État que la dernière dictature militaire a imposée en Argentine entre 1976 et 1983 et que Mileí et surtout sa vice-présidente, Villaruel, voudraient bien réhabiliter.

C’est raté, une nouvelle fois, et tant mieux ! La fille de Noemí Macedo, qu’elle a eue avec Daniel Inama, tous deux disparus sous la dictature, vient de retrouver sa véritable identité grâce au travail de l’association Abuelas de Plaza de Mayo et à celui de la Commission argentine pour l’Identité (CONADI), récemment privée de ses pouvoirs d’enquête par Mileí qui préfère encombrer les cabinets d’instruction fédéraux avec ces affaires, ce qui permet d’en retarder le dénouement.

Hier à 14h, l’association a convoqué la presse comme elle en a l’habitude lorsqu’un des enfants volés sous la dictature retrouve son lignage.

Bienvenue dans la vérité, [enfant retrouvé] n° 139
Visuel créé pour Abuelas de Plaza de Mayo
pour annoncer l'heureuse nouvelle

Lorsque le couple a disparu en novembre 1977, Noemí en était à son sixième ou septième mois de grossesse, la famille n’a jamais su précisément. Son compagnon avait déjà de deux unions précédentes deux enfants, un garçon et une fille. Depuis tout ce temps, le frère, Ramón, et la sœur, Paula, qui ont grandi côte à côte grâce à l’intelligence et à la générosité de leurs mères respectives, ont cherché leur demi-frère ou demi-sœur. Hier, en polo jaune, Ramón Inama, qui a travaillé sous le mandat précédent au Secrétariat d’État aux Droits de l’homme, aujourd’hui en train d’être démantelé, était assis à la table de Abuelas, devant les journalistes, à la gauche de la présidente, Estela de Carlotto. Parmi les militants qui accompagnent Estela pour cette conférence de presse se trouve aussi, entre autres, la députée Victoria Montenegro, elle-même enfant retrouvée, qui vient d’obtenir de la justice le maintien en fonctionnement des centres de la mémoire situés dans la capitale et dont Mileí venait de rayer d’un trait de plume l’existence.

La grand-mère paternelle, qui était membre de Abuelas, est malheureusement décédée sans avoir eu le bonheur de connaître cette petite-fille. Elle a péri dans l’épouvantable inondation qui a ravagé La Plata à Pâques 2013, une catastrophe assez semblable à celle qui vient d’engloutir Valencia et sa région, en Espagne.

Daniel Inama et Noemí Macedo étaient des militants communistes purs et durs, d’authentiques marxistes-léninistes, ce qui les singularise puisque la majorité des disparus étaient plutôt des péronistes révolutionnaires. On n’a aucune certitude sur les circonstances de leur arrestation mais on sait que Noemí a été vue, enceinte, dans l’un des centres clandestins de répression qu’il y avait en pleine ville, dans le centre historique de Buenos Aires. Après, c’est le flou. L’enfant a dû naître fin janvier ou courant février 1978, avant d’être adoptée par un couple dont le mari travaillait dans les forces de répression.



La personne retrouvée, dont l’identité n’a pas été dévoilée, l’a été grâce à des informations anonymes adressées à l’association qui s’est alors rapprochée de la CONADI qui a pu à son tour contacter l’intéressée, laquelle s’est bien volontiers prêtée à un test ADN du Banco Nacional de Datos Genéticos (le BNDG), l’une des institutions les plus réputées au monde pour son sérieux, son efficacité et son éthique. Cette dame a reçu les résultats alors qu’elle était en vacances à l’étranger, où il semblerait qu’elle se trouve toujours (cela plaiderait pour une femme qui, à 47 ans, a fait un beau parcours professionnel puisqu’elle semble disposer d’un niveau de vie confortable). Son frère et sa sœur l’attendent à présent avec impatience.

Il est à noter que cette fois-ci les quatre quotidiens imprimés nationaux publient tous l’information malgré une actualité politique trépidante avec la présence, non dénuée de ridicule grotesque (comme toujours), de Mileí et de son inséparable frangine à l’investiture de Donald Trump, les contacts qu’il y ont pris et leur présence à Davos, en Suisse, dans la foulée.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

vendredi 17 janvier 2025

Le Haroldo Conti et les autres lieux de mémoire sauvés par la justice [Actu]

"Un arrêt pour la mémoire", dit le gros titre
sur cette photo de femmes manifestant avec
les foulards des Mères et des Grands-Mères de la Place de Mai
avec le slogan : "Plus jamais"
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Une députée de gauche de la Legislatura de Buenos Aires, Victoria Montenegro, s’est portée devant la justice pénale fédérale pour que celle-ci condamne le ministre de la justice en fonction et son secrétaire d’État chargé des droits de l’homme et prenne position pour sauver les lieux de mémoire des crimes contre l’humanité commis par la dictature militaire des années 1976-1983, dont le plus emblématique est le Centro Cultural Haroldo Conti, à Palermo, que Mileí est en train de faire fermer en vue de vendre au plus offrant ces biens à des promoteurs immobiliers.

Victoria Montenegro sait de quoi elle parle : elle a été enlevée quelques jours après sa naissance par l’armée argentine très peu de temps avant le coup d’État de Videla en 1976. Plus tard, ses parents ont disparu et elle a été donnée en adoption à un colonel de l’armée qui, avec sa femme, a fait modifier illégalement son état-civil pour brouiller les pistes. Elle a récupéré son identité et s’est réuni avec sa famille de naissance en 2001. Depuis, comme plusieurs enfants volés, elle est entrée en politique dans le sillage du kirchnerisme.

C’est au juge fédéral Ariel Lijo que le dossier avait été attribué et, en début de semaine, il a émis un arrêt qui oblige le gouvernement fédéral à maintenir en activité les centres en question, soit cinq lieux différents répartis sur le territoire de la capitale argentine, certains situés en plein centre historique de Buenos Aires, comme le Centre Virrey Cevallos (du nom de la rue de Monserrat où il se situe). Des lieux qui, sous la dictature, étaient des centres de détention clandestins où les militaires pratiquaient des actes de torture sur les opposants arrêtés dans les procédures extra-judiciaires

A gauche : "ce samedi 18 à 16h : visite guidée ouverte à tout le monde"
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Or Ariel Lijo n’est autre que le candidat que Mileí compte nommer à la Cour suprême depuis près d’un an sans que l’opération n’ait encore abouti, malgré le récent départ à la retraite d’un des membres de la cour. Les journalistes se perdent en conjectures pour comprendre sa décision apparemment contraire aux visées présidentielles.

Comme malgré cette décision de justice les procédures pour vider les centres (licenciements et disparition de certains outils de travail) se poursuivent, les salariés continuent leur mobilisation. Ainsi demain, le Centro Virrey Ceballos sera ouvert au public pour des visites gratuites pour expliquer au public les missions du centre et son utilité dans le cadre de la mémoire politique argentine et de l’État de droit dans la République.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de La Nación
lire l’article de Página/12 de jeudi (interview de Victoria Montenegro)
lire l’article de Página/12 d’aujourd’hui (intervention de Victoria Montenegro au micro de AM 750, la radio du Grupo Octubre auquel appartient le quotidien)

Tout va très bien, Madame la Marquise ! A part la consommation en chute libre [Actu]

"Caddy moins", dit le gros titre
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Une étude d’un cabinet de conseil privé vient de révéler la chute historique de la consommation des ménages. Au cours de cette première année du mandat de Mileí, les supermarchés et les épiceries de quartier, où la classe moyenne et le prolétariat s’approvisionnent, ont enregistré une baisse de 18 % en décembre et de 13,9 % sur l’ensemble de l’année 2024 par rapport à 2023.

Pendant ce temps, le gouvernement argentin se vante d’être sur le point de vaincre l’inflation et nos commentateurs économiques, sur nos médias publics comme privés, à la télévision, à la radio et dans la presse, prennent cette communication pour argent comptant (c’est le cas de le dire), saluant à qui mieux mieux les « succès » de la politique de la tronçonneuse alors que si les prix baissent (plus de 100 % d’inflation sur l’année 2024 tout de même !), c’est juste parce que les clients se font rares !

Bien entendu, seul Página/12 s’en est fait l’écho dans la presse argentine d’envergure nationale.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12, qui en avait fait sa Une hier.

La dollarisation est en marche [Actu]

L'information est annoncée en haut à gauche,
à côté de la vignette de Paz et Rudy sur Trump
"Sans un radis mais on peut payer en dollars",
dit le titre avec un jeu de mot sur le nom du peso argentin
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A partir d’aujourd’hui, les commerçants ont le droit d’afficher leurs prix en dollars et les clients celui de payer par carte de crédit dans cette même devise.

Le paiement par carte de débit sera mis en place dans les deux mois qui viennent. Cela oblige les banques à implanter de nouveaux outils de gestion.

Même traitement sur la Une de Clarín :
l'info est annoncée en haut à droite, sous la photo de Netanyahu
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Cela fait longtemps que les enseignes de la grande distribution se passaient de la loi pour proposer à leurs clients de payer en devises étrangères (je me suis fait poser la question à une caisse de supermarché COTO à San Telmo). On pouvait repérer les commerces qui avaient cette pratique au fait qu’ils affichaient en vitrine un petit tableau de taux de change entre le peso et trois devises étrangères : le dollar, l’euro et real brésilien. Maintenant cette pratique devient officielle.

D’un autre côté, la banque nationale autorise les mineurs, entre 13 et 18 ans, à ouvrir un livret d’épargne, plafonné, en devise étrangère et ce, sans l’accord des parents ou tuteurs !

Idem pour La Nación : en haut à droite
sous la photo de David Lynch
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Rappelons que Mileí avait promis pendant sa campagne électorale de supprimer la devise nationale, le peso argentin, historique depuis l’indépendance, pour la remplacer par le dollar. Il n’en a rien fait parce que de toute façon, pour le moment, c’est anticonstitutionnel. Visiblement, Mileí ne lâche pas cette idée d’abandon de la souveraineté nationale.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

jeudi 9 janvier 2025

Pepe Mujica a donné sa dernière interview [Actu]

Pepe Mujica dans son domaine horticole
(photo d'archive, par Javier Calvelo)


Comme l’avait fait il y a quelques années son prédécesseur Tabaré Vázquez, Pepe Mujica, le deuxième président de gauche de l’Uruguay, vient de donner sa dernière interview. En avril dernier, les médecins lui avaient diagnostiqué un cancer de l’œsophage difficile à traiter chez un homme de plus de quatre-vingt ans qui souffre déjà de plusieurs maladies chroniques.

Aujourd’hui, dans cette interview accordée dans son salon au journal uruguayen Busqueda, il annonce que des métastases ont été découvertes dans un autre organe et qu’il refuse de continuer les traitements, qui de toutes manières sont désormais vains et physiquement impossibles à supporter.

Se sachant au seuil de la mort, l’ancien guérillero, reconverti en horticulteur, prend congé de ses compatriotes avec des mots très émouvants sur ce qu’est la démocratie (« respecter ceux qui n’ont pas la même opinion que soi ») et salue le triomphe électoral obtenu par la gauche de son pays avec l’élection du troisième président du Frente Amplio, qui sera investi le 1er mars. Il se dit heureux et tranquille pour l’avenir démocratique de son pays et supplie qu’on le laisse s’en aller en paix, dans la sérénité familiale.

Une grande leçon de vie par un bonhomme qui aura bien mérité de la démocratie.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

voir l’entrefilet sur cette interview historique de Pepe Mujica publié en ligne par Busqueda (la recherche)

lundi 6 janvier 2025

Mileí ferme le Haroldo Conti [Actu]

"Une mémoire en flammes", dit ce tract
qui appelle à soutenir les salariés du Centro Cultural H. Conti
En petits caractères : "Licenciements massifs, cruauté, chantages,
persécution et violence au Secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme"
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Le 31 décembre 2024, à 17 h, alors que tout le monde préparait le réveillon de la Saint-Sylvestre, la Noche Vieja, et que les vacances d’été avaient déjà commencé depuis une bonne dizaine de jours, le gouvernement a lancé sur Whatsapp un message destiné à tous les agents du Centro Cultural Haroldo Conti, le centre culturel du ministère de la Justice, fondé par le Secrétariat d’État aux Droits de l’homme, dans le cadre solennel de la politique de défense de l’État de droit qui caractérise l’Argentine, sans solution de continuité, depuis le retour de la démocratie en décembre 1983.

Le message annonçait aux salariés leur licenciement immédiat et l’interdiction qui leur était faite de se présenter sur leur lieu de travail le 2 janvier, après les fêtes.


"Sans mémoire, sans vérité, sans justice", dit le gros titre du 2 janvier
L'un des slogans de la lutte pour les droits de l'homme est : Memoria, Verdad, Justicia
Il faut se souvenir, chercher la vérité des faits et rendre justice contre les bourreaux
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Le Centro Cultural Haroldo Conti cesse en effet d’exister à partir du 1er janvier 2025, aucun budget ne lui est attribué cette année, le gouvernement de Mileí considérant les droits de l’homme comme une vaste escroquerie alors que c’est cette politique emblématique et revendiquée qui a rendu à l’Argentine sa dignité diplomatique et en a fait un pays hautement fréquentable dans le concert des nations depuis une quarantaine d’années. Le type de retour réussi à la démocratie que l’on peut souhaiter à la Syrie maintenant qu’elle s’est débarrassée du régime dictatorial qui l’a systématiquement détruite depuis plus d’un demi-siècle.

Un pays amnésique, dit le gros titre du 3 janvier,
sur cette photo des salariés autorisés au compte-goutte
à entrer dans les locaux pour récupérer leurs affaires personnelles
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Ce centre culturel est installé dans l’environnement immédiat du siège du secrétariat d’État dans le vaste campus des droits de l’homme placé sous le patronage de l’UNESCO, à Palermo, le grand quartier nord de Buenos Aires, là où se trouvait autrefois l’Ecole supérieure de mécanique de la Marine, l’ex-ESMA, transformée par la dictature militaire de 1976-1983 en un centre clandestin de détention illégale, de torture et d’exécution extra-judiciaire des opposants au régime.


"Une mémoire en flammes", dit le gros titre de dimanche
sur une photo de la foule venue participer au festival-manifestation
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L’opposition actuelle, les organismes des droits de l’homme, qui ont chacun son propre centre culturel sur ce même campus, les syndicats ainsi que des membres du clergé diocésain se sont aussitôt mobilisés pour occuper les lieux autant que faire se peut et organiser samedi dernier un petit festival qui a rassemblé une foule de citoyens bien décidés à s’opposer au programme de destruction de l’État argentin et de l’État de droit mis en œuvre par ce gouvernement depuis plus d’un an.

Página/12 en a fait trois Unes ces derniers jours, les 2, 3 et 5 janvier.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 du 1er janvier (publié en ligne, les journaux ne sortant pas au jour de l’An)
lire l’article de Página/12 du 2 janvier
lire l’article de Página/12 d’hier.

Du rififi chez les Macri [Actu]

"Le trésor caché de Macri", dit le gros titre
sur ce montage photo où l'on reconnaît clairement l'ancien président
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A l’heure où, à Paris, s’ouvre un nouveau procès pénal sur l’une des nombreuses atteintes à la probité dont un ancien président de la République est soupçonné, à Buenos Aires, un ancien président de la Nation, Mauricio Macri, est poursuivi devant les tribunaux, avec ses frères, par une femme écartée de la succession paternelle : sa propre sœur !

En fait, une demi-sœur née d’une aventure adultérine du papa avec une des salariées d’une de ses nombreuses entreprises. Il y a plusieurs années, cette dame avait déjà recouru aux tribunaux pour obtenir de Franco Macri qu’il la reconnaisse. Les magistrats ont constaté le lien de parenté et ont donc accordé à la plaignante le droit de porter, comme il se doit, le patronyme de son géniteur. Ils l’ont ainsi inscrite parmi les héritiers du patrimoine constitué par l’homme d’affaires italien, arrivé en Argentine peu après la seconde guerre mondiale et qui avait commencé sa carrière comme simple maçon avant de bâtir un empire dans les travaux publics, les concessions publiques d’infrastructures majeures et le secteur tertiaire. L’apparition de cette sœur a si bien paniqué ses demi-frères qu’ils ont réagi à la décision de justice en transformant l’empire familial en un écheveau presque inextricable de plusieurs centaines de sociétés, dont le seul but semble avoir été brouiller les pistes afin de l’écarter de l’héritage.

Alexandra Macri ne s’en est pas laissé compte. Ses avocats ont dénoué l’écheveau infernal et ils portent l’affaire devant la justice en citant les 398 entreprises qu’ils ont pu identifier comme étant contrôlées en sous-main par les enfants légitimes de Franco Macri. Ce matin, Página/12 n’est que trop heureux d’en faire sa Une pour dénoncer la cupidité cynique de l’ancien président alors que celui-ci s’efforce, comme son homologue français soit dit en passant, de jouer encore et toujours un rôle important dans la vie politique et institutionnelle du pays : tous les matins, au coup par coup, il négocie âprement le soutien des parlementaires de son parti à Javier Mileí qui ne dispose pas de majorité au Congrès et ne cesse, en outre, de se quereller publiquement avec sa vice-présidente.

Or ce n’est pas la première fois qu’un fils de famille haut placé dans le paysage politique national dépouille ainsi de l’héritage familial une femme de sa propre fratrie. Celui qui, grand propriétaire agraire, avait été, sous le mandat de Macri, son ministre de l’Agriculture s’était lui aussi organisé pour écarter sa sœur de la succession (avec l’aide de leur mère) et ne le partager qu’avec ses frères, faisant de l’héritière évincée une ardente militante de l’opposition de gauche à ce type de gouvernement pro-business.

© Denise Anne Clavilier


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