Teresa Parodi, toute
nouvelle et première ministre de la Culture argentine (1), vient de
donner une première interview ès qualité au quotidien
pro-gouvernemental Página/12.
Manchette de Página/12 ce matin |
Voyons ce qu'elle nous
dit, après une prise de fonction des plus chargées (et dont le
journal nous fait un compte-rendu serré).
–¿Cómo fue el llamado de la Presidenta? ¿Qué fue lo primero que le cruzó por la cabeza ante el ofrecimiento?
–La Presidenta me
hizo llamar y podían ser muchas cosas, ella me ha llamado otras
veces para hablar de otras cosas o para invitarme a algún lugar...
ella siempre ha tenido un vínculo afectivo con muchísimos artistas,
ha sido muy cálida siempre, nos ha recibido, nos ha convocado para
diferentes cosas. Por supuesto que no me imaginaba que era para crear
el Ministerio de Cultura, pero cuando me lo dijo me emocionó, porque
es un deseo largamente acariciado por el sector al que pertenezco,
por todas las áreas. Y por muchas razones, porque este gobierno es
el que más hizo por la cultura. Las políticas ya existían y se
pueden intensificar, porque siendo un ministerio cambian y mejoran
muchas cosas. Pero independientemente de eso acá hay una gestión de
políticas culturales muy claras. El rol que tiene la cultura en el
gobierno de Néstor y Cristina Kirchner está clarísimo desde el
primer día. Y creo que no es casual que tanta gente de la cultura se
haya sentido escuchada, se haya sentido más valorada, respetada, en
este tiempo. Eso está claro, es algo que se delineó muy claramente
con todos los secretarios que estuvieron. Pero me parece que crear el
ministerio... al crear el Ministerio de Ciencia y Tecnología dejó
claro cuál es el lugar que la ciencia y la tecnología tienen en la
gestión y en la mirada de este gobierno nacional y popular, y en la
política concreta. Todo lo que recuperamos, lo que significó que se
creara, el lugar que se le da.
Teresa Parodi, Página/12
- Comment s'est passé le
coup de fil de la Présidente ? Qu'est-ce qui vous a traversé
la tête en premier lieu quand vous avez reçu la proposition ?
- La Présidente m'a fait
appeler et ça pouvait être pour beaucoup de choses. Elle m'avait
déjà appelée à plusieurs reprises pour parler d'autres sujets ou
pour m'inviter ici ou là... Elle a toujours eu un lien affectif avec
beaucoup d'artistes, elle a toujours été très chaleureuse, elle a
fait appel à nous pour différentes choses. Bien sûr que je ne
m'imaginais pas que c'était pour créer le Ministère de la Culture,
mais quand elle me l'a dit, cela m'a émue parce que c'est un souhait
caressé depuis longtemps par le secteur auquel j'appartiens et de
tous les côtés. Et pour bien des raisons, parce que ce gouvernement
est celui qui a fait le plus pour la culture. Les politiques
existaient déjà et peuvent être approfondies, parce que l'existence
d'un ministère change et améliore beaucoup de choses. Mais
indépendamment de ça, il y a ici un programme politique très clair
en matière de culture. Le rôle que joue la culture dans les
gouvernements de Néstor puis de Cristina Kirchner, c'est très clair
depuis le premier jour (2). Et je crois que ce n'est pas par hasard
que tant d'acteurs culturels se soient sentis écoutés, se soient
sentis valorisés, respectés, ces derniers temps. Cela, c'est clair,
c'est quelque chose qui s'est dessiné très clairement avec tous les
secrétaires d'Etat que nous avons eus. Mais il me semble que créer
le ministère... En créant le Ministère de la Science et de la
Technologie, elle a mis en lumière la place que la science et la
technologie avaient dans son programme et aux yeux de ce gouvernement
national et populaire (3) et dans le concret de la politique. Tout ce
dont nous avons recouvré la maîtrise, ce qui a signifié que ce
ministère serait créé, la place qu'on lui accorde.
(Traduction Denise Anne
Clavilier)
–El Ministerio de Cultura, usted lo dijo, era un deseo de vieja data. ¿Por qué tardó tanto?
–Fueron los
tiempos que necesitó. No siempre se puede hacer todo junto, porque
armar un ministerio también es mover un montón de cosas, darle una
respuesta a la cultura, y la cultura también recibió respuestas
concretas desde la secretaría. Se puede empezar a especular, y
alguno ya lo ha hecho, conque es todo parte de la campaña. Pero yo
creo que esto es la culminación de una política que se dio desde el
primer momento: que finalmente se decida la creación del ministerio
en el momento en que realmente se le puede dar todo, como debe ser.
Porque había otras cosas que el Gobierno tenía que desplegar en
muchísimos sentidos de la política, la política diseñada para
poder hacer lo que hizo en este país, para hacer que este modelo dé
resultados concretos. En el marco de todo eso, éste es el momento
justo. Eso es quizá la gran noticia, que después de todo lo que se
hizo hasta ahora llega este broche de oro.
Teresa Parodi, Página/12
- Vous l'avez dit, le
Ministère de la Culture était un souhait qui ne date pas d'hier.
Pourquoi seulement aujourd'hui ?
- C'est le temps qu'il a
fallu. On ne peut pas toujours tout faire en même temps parce que
monter un ministère c'est aussi faire bouger plein de choses, donner
une réponse à la culture et la culture a reçu des réponses
concrètes aussi du Secrétariat d'Etat. On peut se lancer dans des
élucubrations et il y a en a un qui l'a fait et dire que tout ça, c'est de l'électoralisme. Mais moi, je crois que c'est l'apogée d'une
politique qui date du début. Enfin, on décide de créer ce
ministère au moment où on peut lui donner tout, comme il faut.
Parce qu'il y avait d'autres choses que le Gouvernement avait à
déployer en politique dans tous les sens, la politique conçue pour
faire ce qui s'est fait dans ce pays, pour faire que ce modèle-ci
donne des résultats concrets. Dans ce cadre-là, le bon moment est
arrivé. C'est peut-être ça, la bonne nouvelle qu'après tout ce
qui s'est fait jusqu'à maintenant, advienne ce couronnement.
(Traduction Denise Anne
Clavilier)
[...]
–¿Cuál es el desafío más importante? Porque la creación del ministerio es un hecho, pero queda claro que hay un tiempo acotado hasta el final de este mandato.
–Pero el
ministerio queda. Hay que diseñar un ministerio ágil, que pueda dar
respuestas. Cuando digo ágil quiero decir... la burocracia es un
gran inconveniente en general, sabemos que es así, pero una cosa que
nace tiene formas de hacer un administración, una tarea de ir a lo
burocrático de lleno, de tratar de hacer un trabajo lo más ágil
posible para que haya respuestas contundentes, se pueda poner en
marcha el trabajo del ministerio desde ya. Por otro lado, pensar bien
las áreas en que se va a dividir, cómo se va a realizar el
organigrama para lograr esta interacción, los mecanismos necesarios
para valorizar eso. Como la secretaría, que empezó y se fue
desarrollando y cambiando tal como van cambiando los tiempos. Las
herramientas de que disponemos hacen que toda esa organización pueda
ser mucho más efectiva, que el manejo de políticas sea más
dinámico. Por lo menos que eso se pueda dejar en marcha, un esquema
de cosas que pueda ser adaptable, modificable en el futuro. Con una
herramienta como ésta, con un ministerio finalmente creado, los que
vengan tendrán un lugar donde seguir desarrollando. No voy a pensar
nunca que el que venga va a decir “esto no sirve”. Eso sería el
“nunca menos”.
Teresa Parodi, Página/12
- Quel est le défi le plus
important ? Parce que la création du ministère est un fait
mais il est clair que le temps est compté pour ce mandat.
- Mais le ministère va
rester. Il faut concevoir un ministère souple, que puisse réagir.
Quand je dis souple, je veux dire... La bureaucratie est un grand
inconvénient en général, nous savons que c'est comme ça, mais une
chose en train de naître a des manières de créer une
administration, une mission d'aller au bureaucratique de plain pied,
d'essayer de faire un travail aussi souple que possible pour que ça
réagisse correctement et pleinement, que puisse se mettre en marche
d'emblée le travail du ministère. D'un autre côté, bien penser
les différentes directions entre lesquelles il faut l'organiser,
comment on va monter l'organigramme pour obtenir cette interaction,
les mécanismes indispensables pour mettre tout ça en valeur. Comme
le Secrétariat d'Etat, qui a commencé à faire ce travail, qui l'a
développé, qui a fait des changements en suivant les temps qui
changent aussi. Les outils dont nous disposons font que toute cette
organisation peut être beaucoup plus efficace, que mettre en œuvre
des programmes soit plus dynamique. Pour autant que cela puisse se
mettre en marche, un schéma de ce qui peut être adaptable,
modifiable dans le futur. Avec un outil comme celui-ci, avec un
ministère enfin en place, ceux qui viendront derrière auront de la
place pour continuer à faire du développement. Je ne peux pas
imaginer que celui qui arrivera après nous dise : ça ne sert à
rien. Cela, ce serait le "Jamais moins" (4).
(Traduction Denise Anne
Clavilier)
L'interview se poursuit
ainsi, très longue malgré le désormais agenda de ministre de la
chanteuse. Elle y parle de son nouveau disque, dont elle vient tout
juste d'achever le montage et dont elle n'assurera pas la
présentation comme elle l'avait prévu. Elle y parle aussi de ses
espoirs pour les élections nationales à venir (elle ne souhaite pas
qu'il y ait une alternance après ces dix ans de politique
kirchneriste). Elle y parle de son plan de charge immédiat avec une
réunion des ministres de la culture du sous-continent à la fin de
cette semaine, des enjeux de l'économie culturelle, de la loi de la
danse en discussion au Congrès, etc...
Une interview sans doute
très bienvenue pour lever quelques doutes imbéciles et machistes
qui se sont fait jour la semaine dernière (une femme -que c'est drôle !- , pire une
chanteuse -laissez-moi pouffer !-, pourrait-elle faire un bon ministre ? Ben voyons!).
A lire sur Página/12,
dans l'édition de ce matin.
(1)
En Argentine, les ministères sont définis une fois pour toutes.
D'ordinaire, chaque président pourvoit chaque maroquin tel que son
prédécesseur a laissé le gouvernement constitué. Il est donc rare
de voir créer un portefeuille ministériel. Aussi les créations ou
les transformations quand elles existent marquent-elles l'histoire.
Elles sont signifiantes. C'est ainsi que le Secrétariat d'Etat au
Travail (maintenant un ministère à proprement parler) a été créé
en 1943 pour Juan Perón après le coup d'Etat qui a détourné
l'Argentine d'entrer dans le conflit mondial dans le sillage des
Etats-Unis. Cristina Kirchner a élevé dès le premier jour de son
premier mandat l'ancien secrétariat d'Etat des Sciences et de la
Technologie au rang de ministère et la semaine dernière, dans les
derniers 18 mois de son second et dernier mandat, elle vient de faire
de même avec le secrétariat à la Culture. Il semble donc qu'elle
ait de l'ambition pour l'économie de la connaissance et le
rayonnement intellectuel de son pays.
(2)
10 décembre 2003 : prestation de serment de Néstor Kirchner.
(3)
Historiquement en Argentine, les gouvernements de gauche se désignent
et sont désignés par leurs partisans comme "nationaux et populaires", pour les distinguer
de manière polémique des gouvernements de droite, qui ont toujours
revendiqué eux aussi le nationalisme ou le patriotisme (il n'y a guère de
différence en Amérique du Sud entre les deux notions) mais ont mené une politique économique et diplomatique très manifestement favorable à l'argent, aux possédants et aux intérêts commerciaux étrangers (Grande-Bretagne jusqu'à il y a un siècle et Etats-Unis à partir
de l'entre-deux-guerres). Les adversaires de ces gouvernements
nationaux et populaires les taxent volontiers de "populistes", ce qui fait sortir les péronistes (et à un moindre degré les radicaux) de leurs gonds et ça se comprend. Il se trouve que
cet épithète est toujours allé de paire avec la défense des
intérêts des grandes puissances étrangères. Les premiers à
qualifier Perón de populiste étaient des partisans de l'atlantisme
nord-américain. Teresa Parodi a tous les éléments de langage qui
distinguent un courant politique largement répandu en Amérique du
Sud (Argentine, Chili, Uruguay, Bolivie, Pérou depuis peu et
Venezuela pour en citer quelques uns du côté hispanophone, sans
oublier par ailleurs le Brésil).
(4) Jeu de mot avec le
slogan des organisations des droits de l'homme Nunca mas (Jamais
plus).