La
semaine dernière, les Fiestas Mayas, comme les Argentins les
appellent depuis 1813, ont rassemblé un peu partout en Argentine et
en particulier dans la capitale fédérale, Buenos Aires, de grandes
foules joyeuses et participatives. Las Fiestas Mayas, ce sont depuis un peu plus de deux cents ans les réjouissances patriotiques qui
marquent l'anniversaire de la Révolution de Mai et l'abolition de la
vice-royauté dans le pays. Cette année, parce que c'était les
dernières Fiestas Mayas présidées par Cristina de Kirchner, en sa qualité de Chef d'Etat du moins, et les
premières depuis l'instauration d'un ministère de la Culture à
part entière, sous l'autorité de l'auteur-compositrice interprète Teresa Parodi, grande représentante du chamamé, cette
semaine festive a été très brillante et très mobilisatrice. Ce
succès est d'autant plus significatif que Cristina de Kirchner se tire indemne d'une des pires attaques dont elle ait été la cible depuis sept ans
et demi qu'elle occupe la présidence de la Nation, une affaire qui aurait pu ruiner son image, son crédit et sa carrière si elle n'avait été cousue de fil blanc, le scandale à tiroirs qui a surgi le 18 janvier 2015 lorsqu'on a retrouvé le corps
sans vie du procureur Alberto Nisman dont tout tend à présent à penser
qu'il a été le jouet ou le complice de lobbies affairistes nord-américains (animés par le financier Paul Singer), qu'il était un magistrat corrompu et qu'il s'est probablement donné la mort, pour des motifs qui restent obscurs, le 18 janvier vers midi, seul dans son appartement
d'un très luxueux immeuble du quartier bling-bling de Puerto
Madero.
Deux
jours après la fête nationale du 25 mai, la rédaction de Página/12
obtient une interview de la ministre, avec laquelle le quotidien a
une longue relation puisqu'elle était fréquemment dans ses colonnes
pour ses disques et ses concerts avant sa nomination gouvernementale.
L'entretien a eu lieu hier, au lendemain de la clôture des
festivités.
Extraits :
–¿Qué
lectura política hace de los acontecimientos de la semana que pasó?
–La
convocatoria del 25 de Mayo es una de las más grandes que se vio en
los últimos tiempos y significó un fuerte apoyo a este proyecto. La
gente salió a festejar la fecha patria, pero también a dar un
mensaje clarísimo de respaldo a la Presidenta. La apertura del
centro de la memoria en lo que fuera la ESMA es algo maravilloso y
con un peso político tremendo que se empareja a otras medidas que
tomó este gobierno. La devolución del sable de San Martín, con el
desfile de granaderos, acompañados por niños y familias, muestra lo
que cambió la relación de nuestra sociedad con la historia, que
ahora se puede ver desde otro lugar y recuperar a los héroes de
nuestro país, que son un espejo para los niños. Imaginate lo que va
a ser en el futuro un país conducido por estas generaciones, con
esta nueva manera de mirar la historia y la patria. Es una
transformación profundísima. La inauguración del centro Kirchner
habla de inclusión y de una manera de pensar el Estado,
salvaguardando la cultura y abriéndola al pueblo. Por último, el
encuentro del pueblo con la Presidenta, que fue como un Cabildo
abierto en el que ella habló cara a cara con todos nosotros y nos
dijo a todos que es nuestra responsabilidad la continuidad del
proyecto. Fue emocionante el silencio con el que el pueblo en las
calles escuchaba sus palabras.
Página/12
- Quelle
lecture politique faites-vous des événements de la semaine
dernière ?
- La
mobilisation du 25 mai est l'un des plus importantes qu'on ait vues
ces derniers temps et montre un appui fort à notre politique. Les
gens sont venus célébrer la fête nationale mais aussi envoyer un
message hyper-clair pour soutenir la Présidente. L'ouverture du
centre pour la mémoire (1) dans ce qui fut l'ESMA est quelque chose
de merveilleux et qui a un terrible poids politique qui va avec
d'autres mesures prises par ce gouvernement. Le retour du sabre de San Martín, avec le défilé des Grenadiers, accompagnés par des
enfants et des familles, montre ce qui a changé dans la relation de
notre société avec l'histoire (2), qu'on peut aujourd'hui voir avec
un autre point de vue pour nous réapproprier les héros de notre
pays, qui sont un miroir pour les enfants. Imagine ce que sera dans
le future un pays mené par ces générations, qui ont cette nouvelle
manière de voir l'histoire et la patrie. C'est une transformation
très profonde. L'inauguration du Centre Kirchner (3) parle
d'intégration sociale et d'une manière de penser l'Etat, en
préservant la culture et en l'ouvrant au peuple. Enfin, la rencontre
du peuple avec la Présidente, qui a été comme un Cabildo abierto (4) au cours duquel elle a parlé face à face avec nous tous et elle
nous a dit à tous que la continuité de cette politique est de notre
responsabilité. C'était émouvant le silence dans lequel le peuple
dans les rues [alentour] écoutait ses paroles.
(Traduction
© Denise Anne Clavilier)
Le
journaliste la questionne sur le Centro Néstor Kirchner et la nature
du projet culturel qui y préside.
–Si
bien la magnitud del proyecto fue reconocida, aparecieron planteos
sobre la pertinencia de una obra de esta magnitud.
–La
cultura es una inversión, como la educación, como la salud. Es
importante que la Argentina cuente con un espacio como éste. Los
argentinos se lo merecen. Es un lugar para el común de la gente, que
llama al pueblo a adueñarse del espacio. Nuestra gestión está
pensada en ese sentido, con la idea de mostrar la diversidad de la
cultura argentina, pero también de que todos puedan disfrutar de la
misma forma de esta cultura.
Página/12
- Si
la taille du projet a bien été reconnu, on a entendu des questions
sur la pertinence de travaux de cette taille.
- La
culture est un investissement, comme l'éducation, comme la santé.
C'est important que l'Argentine dispose d'un espace comme celui-ci.
Les Argentins le méritent bien. C'est un lieu pour le commun des
mortels, que invite le peuple à s'approprier l'espace. Notre
politique est pensée dans ce sens, avec l'idée de montrer la
diversité de la culture argentine mais aussi celle que tous puissent
profiter de la même manière de cette culture.
(Traduction
© Denise Anne Clavilier)
–También
se le cuestiona una aproximación demasiado “partidaria”.
–El
centro Pompidou en Francia se comenzó a construir cuando Georges
Pompidou todavía gobernaba ese país y nadie lo cuestiona. Acá se
decidió ponerle al centro cultural el nombre del hombre que recuperó
un edificio, el del Correo Central, que estaba abandonado; que
decidió ponerlo en valor, porque el edificio en sí mismo es una
obra de arte. Y además decidió abrirlo para todos, hacerlo
verdaderamente democrático, lo que me parece un hecho
extraordinario. Cuestionar eso está en las antípodas de lo que
planteamos. Cuando se reabrió el Teatro Colón no escuché ningún
artículo que saliera a cuestionar lo que costó o si valía la pena
hacerlo. El Colón es un orgullo para los argentinos, este nuevo
espacio que se abre para todos también es un orgullo. Tener el
centro cultural más grande de América latina y el tercero del mundo
es algo importantísimo. Allí vamos a poder desarrollar todas
nuestras formas expresivas y dejar un lugar para todos, que
universaliza el derecho al acceso a la cultura.
Página/12
- On
a aussi critiqué une approche trop "partisane".
- Le
Centre Pompidou en France a commencé à être construit alors que
Georges Pompidou gouvernait encore le pays et personne n'a rien
critiqué (5). Ici, on a décidé de donner au centre culturel le nom
de l'homme qui a réintégré [dans le patrimoine national] un
bâtiment, celui du Correo Central, qui était abandonné, qui a
décidé de le mettre en valeur, parce que le bâtiment lui-même est
une œuvre d'art. En outre, il a décidé de l'ouvrir à tous, de le
rendre vraiment démocratique, ce qui me paraît un fait
extraordinaire (6). Critiquer cela c'est aux antipodes de notre
démarche. Quand le Teatro Colón a rouvert ses portes, je n'ai pas
vu d'article qui mettait en cause ce que ça avait coûté ni si ça
valait la peine de le faire. Le Colón est une fierté pour les
Argentins, ce nouvel espace qui s'ouvre pour tous est aussi une
fierté. Avoir le centre culturel le plus grand d'Amérique latine et
le troisième du monde est quelque chose de très important. Là nous
allons pouvoir développer toutes les formes d'expression et laisser
un espace pour tous qui universalise le droit de l'accès à la
culture.
(Traduction
© Denise Anne Clavilier)
–¿Cómo
ve la continuidad de estos proyectos más allá de diciembre?
–Yo
creo que el proyecto político que vivimos ahora va a continuar. No
lo creo alegremente, sino porque el pueblo se ha apropiado de los
derechos que ganó, de las políticas que lo incluyeron, de las
políticas que profundizan esta transformación de la Argentina en
estos años. Lo vemos todo el tiempo en el pueblo y eso garantiza la
continuidad de las políticas a futuro. Creo que esto va a continuar
y que el Centro Cultural Néstor Kirchner y que el Ministerio de
Cultura van a quedar de tal manera en el corazón de la gente que va
a haber una continuidad natural. No puedo creer que haya alguien que
quiera cerrar un espacio como éste. La alegría que significó para
todos la apertura de ese espacio no se puede volver atrás, como no
se pueden volver atrás con tantos logros que tuvo el pueblo
argentino estos años. Vamos a dejar tan sembrado con políticas
concretas este lugar, que la continuidad va a caer de madura. Es un
proceso imposible de detener, la misma gente lo va a defender. Anoche
la Presidenta fue muy clara, somos nosotros los garantes de que esto
siga.
Página/12
- Comment
voyez-vous la suite de ces projets au-delà du mois de décembre ?
(7)
- Moi, je crois que le projet politique que nous vivons maintenant va
continuer. Je ne le crois pas béatement mais parce que le peuple
s'est approprié les droits qu'il a gagnés, les politiques qui
intègrent les gens, les politiques qui approfondissent cette
transformation de l'Argentine ces dernières années. Nous le voyons
tout le temps dans le peuple et c'est là la garantie que cette
politique continuera dans le futur. Je crois que tout cela va
continuer et que le Centro Cultural Néstor Kirchner et que le
ministère de la Culture vont s'installer de telle manière dans le
cœur des gens qu'il y aura une suite naturelle. Je ne peux pas
croire qu'il y ait quelqu'un qui veuille fermer un espace comme
celui-ci. La joie qu'a représenté pour tous l'ouverture de cet
espace ne peut pas permettre un retour en arrière, comme on ne peut
pas retourner en arrière après toutes ces réussites des dernières
années pour le peuple argentin. On va laisser des politiques
concrètes semées partout à cet endroit que la suite va tomber
comme un fruit mûr. C'est un processus impossible à arrêter, les
gens eux-mêmes vont le défendre. Hier soir, la Présidente a été
très claire, c'est nous les garants de la suite de tout ça.
(Traduction
© Denise Anne Clavilier)
Pour
lire l'intégralité de l'entretien, cliquez sur le lien.
(1)
Un centre culturel inauguré le 18 mai, en ouverture des Fiestas
Mayas, sur le campus de l'ancienne école de la Marine ESMA, qui
avait servi de centre de détention et de torture pendant la dernière
dictature militaire. L'ex-ESMA accueille désormais des espaces
culturels consacrés à la démocratie, aux droits de l'Homme, à la
liberté d'expression, etc.
(2)
Elle a parfaitement raison ! Il faut dire qu'elle est
correntine, native de la même province que San Martín, et que le
personnage ne peut lui être indifférent, même si la seule
manifestation officielle à caractère national à son égard depuis
qu'elle est ministre. Les fêtes du Bicentenaire entamées à Mendoza
en août dernier sont une initiative du gouverneur de la province
andine.
(3)
Une autre inauguration de la semaine passée : le plus vaste
centre culturel du sous-continent, consacré à l'intégration
sociale et installé dans l'édifice historique du Correo Central,
près du vieux port de Buenos Aires.
(4) Sous l'Ancien Régime, on appelait Cabildo Abierto une réunion de notables convoqués à l'hôte de ville (cabildo) pour prendre une décision urgente quand les autorités politiques légitimes n'avaient matériellement pas la possibilité ou le temps de donner leurs ordres. La Révolution de Mai a commencé le 22 mai 1810 au cours d'un Cabildo Abierto. C'est à cet événement devenu épique dans la mémoire populaire argentine que la ministre fait allusion ici.
(5)
Elle ne parle évidemment pas d'architecture ici. Elle ignore
complètement la dispute esthétique qui a entouré l'édification de
Beaubourg et qui continue à exister dans Paris. Elle ne parle que du
fait de donner le nom d'un président à un centre culturel consacré
à la culture contemporaine.
(6)
Là encore, elle émet une évidence. La préservation du patrimoine
n'est pas un fait courant jusqu'en 2003 et encore moins sa mise à
disposition du public.
(7)
Le 10 décembre aura lieu la passation de pouvoir entre la Présidente
et son successeur ainsi que les passations entre les gouverneurs
sortants et les nouveaux élus.