Vendredi,
en plein 1er
mai, jour férié en Argentine comme ailleurs, Sergio Massa (1) a
lancé officiellement sa campagne électorale pour l'élection à la
présidence de la Nation en avertissant bien fort que son Argentine
ne serait pas « celle de Zaffaroni ». Une petite phrase
polémique qui confirme le tournant qu'il a pris il y a plusieurs
mois, un tournant qui le situe de plus en plus en adversaire du
développement des droits de l'Homme et de la justice sociale dans le
pays. Cela a le mérite d'être clair.
Raúl Zaffaroni Photo Página/12 |
Página/12
n'a pas laissé passer cette provocation sans réagir et le quotidien
de gauche a publié hier dimanche une très longue interview du
juriste qui s'est plié à l'exercice avec son talent, sa tempérance
et sa pédagogie habituels. Contrairement aux autres membres de la
Cour Suprême argentine, Raúl Zaffaroni présente la singularité
d'être un pénaliste, reconnu internationalement qui plus est, et un
polyglotte très ouvert sur les pratiques judiciaires de nos vieilles
démocraties européennes. Une ouverture qui manque à beaucoup de
décideurs argentins qui pour la plupart ont voyagé dans le monde
(surtout Etats-Unis et Europe) pour le loisir sans tisser des
relations professionnelles suivies dans des pays situés hors de
l'Amérique latine. Il en découle une sorte d'endogamie
intellectuelle qui n'aide pas les institutions du pays à croître en
efficacité et en crédibilité démocratique. Raúl Zaffaroni
s'exprime d'un ton modéré, rare en Argentine, en exposant des
arguments logiques, de bon sens, bref c'est tout à la fois un formidable vulgarisateur de sa matière (pourtant aride et très technique) et un pacifiste, non pas un
provocateur agité et polémique...
D'ailleurs,
mes lecteurs le connaissent déjà un peu, c'est un ancien magistrat
de la Cour suprême qui a renoncé à ses fonctions à la fin de
l'année dernière à l'âge de 75 ans pour ne pas s'incruster à vie
dans une institution qui a besoin de renouvellement régulier pour
être authentiquement démocratique. Il répond aux questions de
Martín Granovsky au moment où son ancien collègue, Ricardo
Lorenzetti, un homme de droite qui revendique ses prises de position
partisanes, vient de se faire réélire pour la énième fois à la
tête du plus haut tribunal du pays.
Pour
aller plus loin :
écouter
l'interview de Raúl Zaffaroni sur Radio Nacional (où il est très
présent)
lire
l'interview de Gabriela Vázquez, présidente du Conseil de la
Magistrature, sur les comportements anti-démocratiques de
l'opposition qui, au Sénat, empêche l'examen de la candidature de
Roberto Carlés, magistrat jeune (et lui aussi très intégré dans la communauté professionnelle internationale) nommé par le Gouvernement pour occuper le siège
laissé vacant par Raúl Zaffaroni à la Cour Suprême (le Congrès
doit ratifier les nominations à la Cour suprême comme celle des
Ambassadeurs en poste à l'étranger)
lire également l'article, plus succinct, publié par La Prensa, dimanche, sur les mêmes sujets et qui est plutôt favorable aux positions prises par Zaffaroni (alors que ce très vieux quotidien ne se situe pas particulièrement à gauche).
lire également l'article, plus succinct, publié par La Prensa, dimanche, sur les mêmes sujets et qui est plutôt favorable aux positions prises par Zaffaroni (alors que ce très vieux quotidien ne se situe pas particulièrement à gauche).
(1)
Sergio Massa a lancé en fait sa candidature à la présidence il y a
plus de deux ans, en se présentant aux élections législatives de
mi-mandat. Ancien et éphémère Premier ministre (Jefe de Gabinete)
de Cristina Kirchner, lors de son premier mandat, ex-maire
remarquable et remarqué de la ville de Tigre, dans la banlieue nord
et cossue de Buenos Aires, dans le Delta du Paraná, issu donc des
rangs du Frente para la Victoria (formation des Kirchner), il a fondé
le Frente Renovador, dont il apparaît de plus en plus qu'il n'est
sans doute que le masque civilisé d'une droite autoritaire, machiste
et fort hostile aux ONG des droits de l'Homme, lesquels sont surtout
dirigées par des femmes. Or ce sont essentiellement ces ONG qui ont
initié et qui garantissent aujourd'hui le processus de
démocratisation des institutions que l'Argentine est la seule ou
presque à opérer dans le sous-continent.