En
début de semaine, nous sommes entrés dans la Semana de Mayo à la
fin de laquelle, un lundi cette année, l'Argentine célébrera sa
fête nationale majeure : le 25 Mai, date anniversaire de
l'abolition de la vice-royauté et de l'instauration d'un premier
gouvernement collégial et autonome par rapport à Madrid, alors aux
mains des Français (1810).
Depuis
une semaine, la Présidente Cristina Kirchner, dont c'est le dernier
25 de Mayo comme chef d'Etat, multiplie les gestes symboliques,
parfois d'une manière assez contestable lorsqu'elle mêle la
célébration de sa famille à la grande date nationale.
C'est
ainsi que le 19 mai dernier, flanquée des présidentes de Abuelas de
Plaza de Mayo et de Madres de Plaza de Mayo, association à laquelle
elle n'a jamais enlevé son soutien malgré les malversations
financières qui apparaissent de plus en plus dans des comptes sans
dote mal tenus (1), et en oubliant Madres de Plaza de Mayo Linea fundadora (!), elle a inauguré un nouveau centre de la Mémoire
et des droits de l'Homme au sein du campus de l'ex-Esma, à Palermo.
Une du 20 mai 2015 Cristina à l'ex-Esma entre Estela de Carlotto et Hebe de Bonafini |
Hier,
elle inaugurait, près du port de Buenos Aires, dans l'ancien bâtiment historique du Correo le plus
grand centre culturel d'Amérique latine, consacré aux politiques
d'inclusion sociale qui lui tiennent tant à cœur et qui jouent dans
son discours politique le rôle d'un véritable mantra (avec quelques
réalisations admirables à son actif, reconnaissons-le). Seul
problème : le centre en question a été baptisé Néstor
Kirchner, du nom de son défunt mari et prédécesseur à la Casa
Rosada. Certes, elle dit elle-même, si l'Etat ne le fait pas,
personne d'autre ne le fera et on ne peut que lui donner raison.
Mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit de son mari et du père de ses enfants, ce qui n'est
pas un prédécesseur comme un autre, par quelque côté que l'on
prenne la question !
Dimanche,
la Présidente devrait présider la translation du sabre de San
Martín, que tous les Argentins connaissent comme el Sable Corvo (le
sabre courbe), depuis le musée du régiment des Grenadiers à cheval
à Palermo jusqu'au Museo Histórico Nacional, de San Telmo (à
l'extrémité du Parque Lezama, dont je vous parlais récemment à
l'occasion des travaux qui s'y faisaient et ce mois-ci au sujet de sa réouverture).
Entre 1889 et les années 1960, le Museo Histórico
Nacional était le dépositaire original de cette arme emblématique
des campagnes de José de San Martín mais au cours des années 1960, il fut
dérobé à deux reprises à cause de la vulnérabilité de
l'établissement. Ce ne fut pas sans mal, procès du MNH à la clé, que le Régiment des Grenadiers à cheval a pu se charger du trésor
national, à la demande du gouvernement, et en a assuré la sécurité
dans le hall d'honneur de sa caserne à Buenos Aires. Et autour de
cette arme, précieusement conservée dans un reliquaire blindé,
vitré et inviolable, l'unité d'élite a construit son propre musée
avec divers documents très précieux qui nous restent du Libertador.
Aujourd'hui, le Museo Histórico Nacional s'est mis à jour en
matière de sécurité comme en matière muséographique (et c'est
vraiment une réussite, comme j'ai pu m'en apercevoir il y a deux ans
lorsque j'ai été invitée à l'inauguration des salles San Martín).
La Présidente a donc ordonné le transfert de cette pièce-clé du
patrimoine national et elle assistera à la cérémonie. Mais là
encore, la chose sonne faux : voilà une femme politique qui n'a
eu de cesse de mésestimer San Martín (qu'elle connaît très mal, à
l'instar de la grande majorité des Argentins) pendant toute la durée
de son double mandat au point de ne pas même assister au bicentenaire du
combat de San Lorenzo il y a deux ans , y envoyant son vice-président qui a réussi à s'y faire siffler (voir mon article sur ce sujet). Elle lui a toujours préféré Manuel Belgrano, un juriste
auquel elle s'identifie plus facilement parce qu'elle est elle-même
avocate d'origine et auquel elle n'accorde son titre militaire
qu'avec une répugnance visible (ça a le don d'agacer un bon nombre d'officiers !). Pourtant les deux hommes, qui professaient beaucoup d'admiration l'un pour l'autre et suivaient la
même ligne politique, ont subi le même sort dans la propagande de
la droite que Cristina exècre tant (avec raison) : les deux ont
été décrits comme des officiers criards et atteints d'un
autoritarisme qui ne les affectait pourtant ni l'un ni l'autre mais les images
d'Epinal sont plus fortes que les recherches historiques
contemporaines, même dans l'imagination d'un président de la
République (2).
Dimanche
24 mars, le sabre prendra donc le chemin de San Telmo et là, il sera
dans une pièce qui lui a été préparé, avec tous les contrôles
de température et d'hygrométrie qu'on peut aujourd'hui mettre en
place. Compensation pour les Grenadiers privés de la précieuse
relique de leur fondateur dans leurs murs : c'est toujours eux
qui en assureront la garde d'honneur et de sécurité. Un salut tout
particulier à la conservatrice du musée du régiment (MRGC) et au
capitaine chargé du cérémonial, qui ont en ce moment une charge de
travail que je peine à imaginer. Songez qu'il y a encore quelques
jours, ce transfert devait avoir lieu lundi.
Le
calendrier, pourtant connu longtemps à l'avance de la Présidente,
change au dernier moment : le chef d'Etat assistera en effet à
la basilique nationale de Luján au Te Deum lundi matin (alors que
l'année dernière, elle avait enfin accepté de revenir à la
tradition, en remettant les pieds à la cathédrale métropolitaine
de Plaza de Mayo, qu'elle avait désertée depuis un désaccord
fameux avec le cardinal Bergoglio). Et encore du travail pour le
capitaine qui doit se taper l'organisation des choses à Luján, à
70 km à l'ouest de Buenos Aires, tout en veillant aussi aux affaire
entre Palermo et San Telmo. Heureusement qu'il n'est pas tout seul...
Une de ce matin |
A
partir de ce soir, important programme de concerts et d'activités
publiques d'accès libre et gratuit sur la grande scène montée sur
Plaza de Mayo, devant la Casa Rosada.
D'aujourd'hui
à lundi, aux alentours de la Plaza de Mayo, le long de la Diagonal
Sur (avenida Julio Argentino Roca), se tiendra un marché artisanal
intitulé Feria de Productos de nuestra Tierra. Sur l'autre
diagonale, celle qui monte vers le sud et l'Obélisque, exposition
scientifique et technique, avec des jeux pour les enfants :
Muestra Innovar.
Un
peu plus loin, sur les avenues Belgrano et 9 de Julio, se tiendra une
exposition sur la Justice et les droits de l'Homme, autre grande
thématique des trois mandats kirchneristes (celui de Néstor et les
deux de Cristina). Le tout avec un hommage marqué à Eva Perón, que
Cristina vénère.
Ce
soir, sur la scène de Plaza de Mayo, on retrouvera entre autres le
groupe féminin China Cruel, la Orquesta Rascacielos, La Chiclana,
Escalandrum de Pipi Piazzolla (pour Piazzolla x Piazzolla), Guillermo Fernández et le
folkloriste natif du Chaco (comme son nom l'indique), El Chaqueño
Palavecino (une grosse vedette du show-biz), ainsi que la compagnie
de danse de Tango et de Folklore. Ce sera entre 19h et 23h30, en plein
air.
Demain,
de 16h à 23h30, d'autres artistes se succéderont, encore plus
nombreux parmi lesquels Richard Coleman !
Dimanche,
aux mêmes heures, essentiellement des folkloristes, dont
l'auteur-compositeur interprète Liliana Herrero. Et un hommage à
Mercedes Sosa intitulé Traigo un pueblo en mi voz (j'apporte tout un
peuple dans mon chant).
Et
enfin lundi, de 16h à 23h30 également, du folklore, de la danse, du
rock, du jazz et un peu de tango, avec un hommage à Carlos Gardel,
dont on célébrera dans un mois les 80 ans de sa disparition. Parmi
les artistes annoncés : l'auteur-compositeur interprète Litto
Nebbia, le chanteur désormais soliste Walter Chino Laborde et le
folkloriste-jazzman Ignacio Guido Montoya Carlotto, le petit-fils
retrouvé de Estela de Carlotto ! Belle revanche des victimes
sur les criminels de la Dictature, encore que le symbole soit un peu
lourd, mais bon, tous ces gens qui sont aujourd'hui au pouvoir en
Argentine se souviennent encore bien de leurs souffrances pendant les
sept ans du gouvernement putschiste.
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Página/12 sur l'inauguration du Mémorial à l'ex-Esma
lire
le communiqué de la Présidence sur le même sujet
lire
l'article de Página/12 sur l'inauguration du Centro Cultural Néstor
Kirchner (dans les deux cas, les aménagements semblent
particulièrement réussis)
lire
le communiqué de la Présidence à ce sujet
lire
l'article de Página/12 du 15 mai sur l'ensemble du programme
lire
le communiqué de la Présidence sur le sujet
lire aussi le communiqué de la Présidence sur la translation du Sabre de San Martín (sans être faux, ce n'est pas tout à fait exact. C'est arrangé à la sauce pompeuse qui indique bien qu'il y a là-dessous une intention politique, comme si c'était inévitable en campagne électorale. Dommage !)
Tous
les communiqués de la Casa Rosada comportent des reportages vidéos
intégrés.
(1)
Il est peu probable qu'il y ait intention de fraude ou de nuire, en
tout cas dans le chef de Hebe de Bonafini, la présidente tant
décriée. En revanche, il semble qu'il y ait eu chez elle beaucoup
de légèreté dans la délégation de signature.
(2)
De toute évidence, et pour une fois Clarín n'a pas tort, la
manœuvre n'a pour but que de créer du bruit médiatique dans la
campagne électorale avant les primaires nationales de juin prochain.
Sinon, Cristina aurait placé cette cérémonie le 17 août, une fête
nettement plus liée à San Martín que le 25 mai, qui commémore un
fait auquel il n'a pas participé (il vivait alors en Espagne et se
battait dans les rangs des loyalistes contre les armées
napoléoniennes qui tentaient d'annexer le pays).