mercredi 30 décembre 2020

C’est fait ! En Argentine, l’IVG est désormais légale et elle sera gratuite [Actu]

Double célébration à la une de Página/12
En haut en bleu sanitaire, le lancement de la vaccination
(au Sputnik V, très contesté par plusieurs médecins qui se défient
du manque de transparence sur les essais russes)
En bas, en vert, la légalisation si longtemps désirée de l'avortement


La loi qui a été votée hier au Sénat, après sa validation à la Chambre des Députés, met en place ce qu’elle appelle l’IVE (Interrupción volontaria del embarazo), qui va peut-être remplacer le terme aborto (qui peut aussi désigner une fausse couche). Le pays est devenu le 67e à autoriser cette pratique médicale. L’Uruguay avait été le premier du sous-continent à le faire sous la présidence de Pepe Mujica.

C’est le terme d’une longue lutte puisque les militants pour la légalisation avaient commencé à vraiment occuper l’actualité il y a une quinzaine d’années, sous le mandat de Cristina Kirchner, qui alors ne voulait pas en entendre parler, renvoyant le sujet au domaine judiciaire auquel il appartenait légalement.

La Prensa fait l'inverse
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La loi est passée à la majorité de 38 voix pour et 29 contre (avec, selon Página/12, 4 absentions et 1 « courageuse » absence alors que les sessions ont lieu en visio-conférence et les chiffres inverses selon La Nación). La présidente du Sénat, Cristina elle-même qui a désormais changé d’avis, n’a pas eu à départir les voix. Le vote a un très long débat que beaucoup de gens ont suivi en direct, sur plusieurs média dont la chaîne Youtube du Sénat, jusqu’à sa conclusion, à 4h12, ce matin (heure locale).

L’Église a tenté de faire pression sur l’opinion publique jusqu’au dernier moment, avec notamment une messe à Luján, la grande ville mariale, où la conférence épiscopale a exprimé sa douleur de voir l’avortement autorisé dans le pays. Cette messe était le baroud d’honneur d’un magistère qui reconnaissait déjà la défaite de sa démarche à un moment où l’Église argentine s’est engagée dans une séparation graduelle avec l’État (en commençant par chercher des solutions viables aux aspects économiques de la vie de l’institution, puisque le salaire du clergé est à ce jour à la charge de la République Argentine).

En gros titre, une mesure concernant les retraites
En bas, une photo de une qui montre la foule autour du Congrès
mais s'abstient de montrer sur la version papier des militants
de quelque bord que ce soit.
Prudence, prudence !
En haut à droite : une décision judiciaire en faveur de Cristina Kirchner
qui lui accorde le droit à toucher sa retraite de présidente et la réversion de son mari
Des revenus très confortables... et non imposables !
Pour une femme de gauche, c'est une demande pour le moins contestable.
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Bouclée avant le vote, la une de La Prensa se fait l’écho de cette amertume nostalgique d’une Argentine d’avant la déchristianisation (qui reste toute relative), cette bonne vieille Argentine d’antan fermée sur des pratiques socio-culturelles qui s’imposaient à tous sans se traduire pourtant par une politique sociale en cohérence avec les valeurs de l’Évangile (ces mêmes pratiques qui avaient justifié l’esclavage à l’époque coloniale !). La part du catholicisme régresse en effet en Argentine comme ailleurs dans la civilisation occidentale et ultra-technologisée. Par la même occasion, les croyants retrouvent aussi une qualité essentielle à tout engagement spirituel : la liberté et l’adhésion personnelles qu’implique toute baisse démographique de la pratique religieuse et qui n’est pas nécessairement une catastrophe. Vaut-il mieux des catholiques peu impliqués et qui n’adhèrent pas aux exigences de leur foi ou des pratiquants pleinement conscients qui s’efforcent authentiquement de vivre ce à quoi ils croient ? Bien sûr, le danger actuel est de voir les identitaires s’abriter derrière la religion et ils sont déjà à l’action. Cette une de La Prensa en porte témoignage sans aucun recul critique : elle le dit ouvertement dans le gros titre (« le déclin du pays catholique ») et dévalorise le début de la vaccination (photo du gouverneur - de gauche - de la province de Buenos Aires recevant le vaccin russe tandis que le titre en rouge annonce « les contaminations montent en flèche »). Par ailleurs, il est assez probable qu’il n’y aura pas plus d’avortements en régime légal qu’il n’y en a dans la clandestinité (et le « tourisme » avortiste des gens qui ont assez d’argent pour se rendre au Canada ou en Europe, des IVG qui échappent à toutes statistiques mais qui ne sont sûrement pas de bas niveau).

Le dessin de Miguel Rep dans Página/12 est clair
Il oppose les deux couleurs, le bleu ciel des "pro-vie"
et le vert des militants pro-avortement
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Et pourtant, c’est Clarín, toujours en recherche d’une dramatisation spectaculaire et simpliste de l’actualité, qui met l’accent sur les réactions (très modérées) au Vatican (1) et prétend que ce vote éloigne une nouvelle fois la perspective d’une visite du pontife au pays. Que François soit hostile à cette évolution de la loi dans son pays natal est une évidence (il ne peut pas y être favorable) mais pour l’heure, la pandémie est un obstacle plus grand à tout voyage pontifical où que ce soit puisque le pape réserve ses déplacements, si déplacement il y a, à des pays en très grande détresse comme l’Irak qu’il visitera au printemps malgré la crise sanitaire. Pire, d’après le journaliste Sergio Rubín (2) qui endosse ici les habits partisans de l’éditorialste, le pape et l’Église argentine seraient sur le point d’exercer des représailles en retirant au président Alberto Fernández leur appui dans les négociations avec le FMI ! Quelle confusion des rôles et quelle instrumentalisation des positions des uns et des autres !

Un gros titre sans photo pour l'IVG
et pour la vaccination, celle d'un médecin réanimateur
parmi les premiers vaccinés au Sputnik V
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En allant visiter les sites des quotidiens, vous constaterez que curieusement ils ont tous illustré leurs articles par des photos de manifestations de joie des militants verts (en faveur de l’IVG) et que très peu d’articles montrent la réaction des bleus (militants catholiques hostiles à la dépénalisation). C’est un signe très clair que l’acceptation est massive dans l’opinion publique, à gauche comme à droite.

Vous aurez remarqué aussi que la plupart des unes font une part à Pierre Cardin et, sans ce vote significatif et de si longue date attendu, j’aurais bien entendu, comme à mon ordinaire, fait écho à cet hommage de la presse argentine au grand couturier français dans Barrio de Tango.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :



(1) Une petite incise sur le désir des parents qui est à la racine de la conception des enfants dans l’enseignement spirituel dispensé par le Pape pendant son audience publique du mercredi matin, qui n’est plus publique, pandémie et situation italienne obligent, qu’à travers la chaîne Youtube du Vatican, Radio Vatican et toutes les retransmissions, en direct ou non, sur de chaînes et des stations, la plupart confessionnelles, partout dans le monde.

(2) Il apparaît comme compétent pour parler des états d’âme du Saint Père parce qu’il y a une dizaine d’années, il a signé un livre-entretien (très intéressant, soit dit en passant) avec le futur pape lorsque celui-ci s’apprêtait à donner sa démission canonique pour raison d’âge (il approchait les 75 ans) au gouvernement de l’archidiocèse de Buenos Aires.