jeudi 29 juin 2023

Clarín : un écrivain colombien en mission de solidarité témoigne de l’attaque contre Kramatorsk [ici]

En gros titre : les manœuvres partisanes de
la campagne électorale qui se déchaîne
L' autre photo, à droite, est celle de Héctor Abad
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Après une opération à cœur ouvert dont il était tout juste remis, le célèbre romancier colombien Héctor Abad était en visite en Ukraine pour témoigner au pays martyrisé par la Fédération de Russie la solidarité latino-américaine qui s’exprime si peu et si mal à travers les canaux diplomatiques et politiques officiels. Lundi soir, il se trouvait à Kramatorsk, dans la pizzeria Ria Pizza, lorsque le missile russe est tombé sur le restaurant au moment où le service battait son plein avant le couvre-feu. D’un coup, l’établissement a été réduit en miettes. A cette heure, cette attaque qui a toutes les apparences d’avoir été délibérée a fait douze morts dont trois mineurs et soixante-cinq blessés, dont certains sont toujours entre la vie et la mort.

Héctor Abad était accompagné par son compatriote Sergio Jamarillo, un ancien commissaire de la paix dans leur pays. En février, lors d’une festival à Cartegena, en Colombie, tous les deux avaient lancé une initiative culturelle de solidarité sous le nom de Aguanta Ucrania (ce qui peut s’entendre à la fois comme « Courage, Ukraine » et « L’Ukraine résiste »).

Il y a quelques jours, Héctor Abad avait participé au salon du livre de Kiyv dont la nouvelle édition venait d’être inaugurée par le couple présidentiel, après que celle de l’année dernière avait dû être annulée. Sur place, ils avaient fait la connaissance d’une jeune écrivaine ukrainienne, Victoria Amelina, qui s’était penchée sur les crimes de guerre commis contre ses compatriotes et avait tenu à partager cette réalité avec les deux Colombiens de passage mais bel et bien solidaires. Une reporter de guerre, Catalina Gómez, s’était jointe à leur groupe avec son fixeur, Dmitro.

Impressionnés par l’engagement et l’enthousiasme patriotique de Victoria, les deux Colombiens avaient souhaité découvrir avec elle l’intérieur du pays et se rapprocher de la ligne de front pour aller à la rencontre des habitants du Donbass. C’est ainsi qu’ils se trouvaient à Kramatorsk au surlendemain du coup d’État raté de Prigojine qui semble avoir donné au Kremlin une envie de vengeance (ou de diversion) et provoquer ce nouveau crime de guerre.

L’explosion a gravement blessé la jeune autrice ukrainienne, la laissant entre la vie et la mort, et ses compagnons sud-américains ne savaient pas ce qu’il en était d’elle lorsque Héctor Abad, encore tout secoué par la tragédie et n’en revenant pas de s’en être sorti indemne dans ses vêtements ensanglantés, s’est confié à Clarín dans un train qui les emmenait loin de Kiyv.

Le quotidien, qui consacre presque tous les jours au moins une page au conflit provoqué par une puissance dotée s’abritant derrière ses ogives pour massacrer impunément son voisin qu’il a désarmé en 1994, a mis en une de ce jour cette photo saisissante du romancier rescapé et encore presque hagard. Une manière d’insister encore et toujours pour sensibiliser l’opinion publique argentine sur le caractère criminel de la politique menée par Vladimir Poutine.

Héctor Abad le dit d’ailleurs très clairement :

Es una campaña a favor del sentido común, para llamar las cosas por su nombre. Invadir al vecino es lo que es: una invasión, atacar civiles en sus residencias con misiles es lo que es: asesinar civiles. No necesita más comentario y no se puede ignorar”, explique-t-il au sujet de Aguanta Ucrania.

« C’est une campagne en faveur du sens commun, pour appeler les choses par leur nom. Envahir le voisin, c’est ce que c’est : une invasion. Attaquer des civils chez eux avec des missiles, c’est ce que c’est : assassiner des civils. Il n’y a pas besoin de plus de commentaires et on ne peut pas l’ignorer. » (Traduction © Denise Anne Clavilier)

Rappelons que la Colombie sort à peine elle-même du cauchemar de la guerre civile alors qu’il n’y a que quelques années que les FARC ont fini par déposer les armes.

Clarín publie sa description de ce qu’il s’est passé, avant et après la chute du missile. La vie calme et intense du restaurant de quartier puis ce chaos : l’obscurité, les sirènes, les cris, les gyrophares, les pompiers, les ambulances, l’incompréhension de ce qu’il vient de vous tomber dessus…

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

Aujourd’hui, l’actualité russo-ukrainienne occupe trois pages du quotidien.

Ajout du 3 juillet 2023 :
La jeune écrivaine ukrainienne est décédée à l’hôpital le 1er juillet. Ses funérailles auront lieu mercredi à Kiyv, avec une cérémonie religieuse dans l’un des hauts-lieux de la foi orthodoxe, puis le lendemain, dans une église de Lviv, avant une inhumation dans cette ville de l’ouest du pays.
La jeune femme avait 37 ans. Elle était membre de la branche ukrainienne de l’association internationale d’écrivains PEN.
Pour aller plus loin :
lire cette dépêche en anglais d’Ukrinform, l’agence de presse publique ukrainienne
lire l’article de Clarín, qui figure sous forme d’entrefilet dans son édition papier de ce matin.

Viktoria Amelina

Ajout du 5 juillet 2023 :
La télévision ukrainienne a rendu hommage à l’écrivaine disparue. Ses obsèques au monastère Saint-Michel de Kiyv ont fait l’objet de ce reportage de cinq minutes, qui prend en compte ses contacts récents avec les trois Colombiens, un romancier, un homme politique et une journaliste correspondante de guerre, qui l’accompagnaient à la pizzeria attaquée au missile. On la voit il y a quelques mois témoigner de la découverte du journal d’occupation laissé par un poète ukrainien assassiné par les ruschistes. La présidente de PEN Ukraine répond à la reporter de la chaîne.
Sur le programme d’information continue et partagé diffusé par les six chaînes d’ampleur nationale qui se sont unies au début de l’invasion, on trouve tout au long de la journée d’autres reportages consacrés à la femme de lettres et à la patriote.

Bien entendu, le reportage est en ukrainien

Mise à jour du 6 juillet 2023 :
Clarín continue à rendre hommage à la jeune écrivaine disparue. Aujourd'hui, c'est une colonne dans la rubrique Regards (miradas).

En haut, à droite, avec photo
En bas, dessin de El Niño Rodríguez :
"Qui aurait dit qu'ils auraient accepté le télétravail ?
Maintenant, ce serait plus simple de les télélicencier"
Traduction © Denise Anne Clavilier
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