Tout en bas : "Annulation de la condamnation de Chocobar : [la Cour] le renvoi devant une nouvelle juridiction de jugement", dit le titre |
Sous la présidence de Mauricio Macri (ça ne nous rajeunit pas), Luis Chocobar, un policier de la province de Buenos Aires, a tué un jeune criminel d’un peu plus de 17 ans d’une balle tirée dans le dos sur le territoire du quartier de La Boca, dans le sud de la Ville Autonome de Buenos Aires. Or Chocobar n’était pas en exercice (et d’un) ; il n’en a pas moins utilisé son arme de service (et de deux) pour tirer sur la silhouette qui s’enfuyait (et de trois) après plusieurs coups de couteau assénés à un homme qui gisait à présent sur le sol et qui a survécu. Le policier n’était pas non plus dans sa juridiction (et de quatre), une ville limitrophe, au sud de Buenos Aires, Avellaneda.
Sans la moindre considération pour l’enquête et l’instruction et donc pour l’indépendance de la justice, dans les jours qui ont suivi, le président Macri et sa ministre de la sécurité, Patricia Bullrich, qui a retrouvé ce poste sous Mileí il y a six mois, ont reçu le policier pour lui manifester publiquement leur soutien et clamer haut et fort qu’il avait agi comme son devoir le lui commandait. Ce qui est faux puisque le garçon, qui n’était certes pas un enfant de chœur, a reçu le projectile qui l’a tué dans le dos (or pour se défendre, Chocobar a prétendu qu’il avait perdu son sang-froid parce qu’il avait eu peur d’être lui-même attaqué alors qu’il se trouvait très loin de l’agresseur).
Dans son élan droitier, Bullrich
a sorti une doctrine d’emploi de l’arme aussitôt baptisée
Doctrina Chocobar selon laquelle les policiers faisant usage de leurs
armes seraient désormais présumés avoir agi en légitime défense,
à moins qu’une partie fasse la preuve du contraire. Cette doctrine
avait été vertement critiquée par tous les tenants des droits de
l’homme étant donné qu’elle est contraire à tous les principes
du droit : les policiers, représentant de la force publique, ce
pour quoi la collectivité leur confie une arme, doivent rester
maîtres d’eux-mêmes et doivent donc rendre compte lorsqu’ils
tuent ou blessent un citoyen, fût-il délinquant ou criminel, a
fortiori lorsque l’homicide se produit dans l’exercice de leurs
fonctions.
A droite, au centre : "La condamnation de l'ex-policier Chocobar envoyée cul par-dessus tête" Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Un ancien juge à la Cour suprême, Raúl Zaffaroni, connu pour ses positions progressistes, reconnu dans les démocraties européennes et hispanophones pour sa grande compétence et de surcroît personnalité médiatique brillantissime, aujourd’hui octogénaire et récemment éclaboussé par un scandale lié à sa vie privée (1), avait alors pris fait et cause contre cette doctrine qui n’a jamais pu se traduire en loi, le Congrès ayant rejeté toute les tentatives de Patricia Bullrich.
Hier, la Cour de cassation a annulé le jugement qui avait condamné Luis Chocobar à deux ans de prison avec sursis pour « avoir agi au-delà de l’accomplissement de son devoir », un grief très léger au regard des faits. La Cour estime en effet que dans les attendus du jugement, les magistrats se sont contredits à de nombreuses reprises, ce qui rend difficile la compréhension du verdict et donc la jurisprudence qui en aurait découlé sans cette déclaration de nullité. La Cour renvoie l’affaire en audience devant un autre tribunal des enfants (car la victime était un mineur). En aucun cas, elle ne s’est prononcée sur les faits.
Néanmoins, l’avocat du l’ancien agent de police, aujourd’hui directeur de département auprès de Patricia Bullrich (vous voyez d’ici le potentiel conflit d’intérêts), puis la ministre et enfin le président Mileí lui-même, qui se trouve en déplacement à Los Angeles (sans aucune dimension diplomatique) ont sauté sur l’occasion pour célébrer, sur les réseaux sociaux, le bien-fondé des agissements de l’ancien policier et prétendre qu’il avait été blanchi par la Cour (ce qui est un mensonge pur et simple). Plusieurs rédactions, toutes conscientes de l’instrumentalisation idéologiques que les gouvernants font de l’arrêt, profitent toutefois de l’occasion pour faire un reportage sur Chocobar, difficilement reconnaissable (il a un visage assez passe-partout, il a minci et il a changé de coiffure). Il tient maintenant un commerce de mercerie et de lingerie sur les marchés (il aurait donc mieux fait de rester discrète) et étudie le droit en travaillant aussi chez son avocat.
Pour aller plus loin :
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación
(1) Il y a quelques mois, on a retrouvé chez lui le corps sans vie d’un homme beaucoup plus jeune que lui, décédé de mort violente. Le bruit s’est aussitôt répandu qu’il s’agissait de son amant. Le juge n’a pas été inquiété par l’enquête. Zaffaroni n’est donc mêlé ni de près ni de loin à ce qui ressemblait à un meurtre et qui n’a eu aucune suite dans les journaux. Mort reconnue comme suicide donnant lieu à classement sans suite ? Probablement. Toujours est-il que la presse a cessé de suivre l’affaire, une preuve en creux qu’il n’y avait rien à la charge de l’ancien magistrat parce que la droite a trop de haine pour lui pour ne pas l’accabler s’il y a le moindre prétexte à le faire. En revanche, côté Mileí et consorts, c’est du pain béni pour taper sur tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à la gauche d’une part et aux sexualités minoritaires d’autre part.