Zulemita Menem pose à côté du président Mileí devant le buste de son père Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Il n’est pas rare qu’un président installe dans la salle des bustes de la Casa Rosada une effigie de l’un de ses prédécesseurs. Cristina Kirchner avait ainsi inauguré un buste de Raúl Alfonsín, un président radical (donc adversaire traditionnel des péronistes à l’intérieur du camp des nationalistes à dimension sociale), le président du retour à la démocratie en 1983, puis un autre de son mari, qui l’avait précédée à la magistrature suprême et qui est décédé quelques mois après lui avoir transmis le pouvoir.
Ni Mauricio Macri (cancre en
histoire) ni Alberto Fernández (qui n’a pas eu le temps) n’avaient
enrichi cette galerie. Mileí vient de le faire avec un buste [assez
laid, il faut bien avouer] de Carlos Menem, le président de la
décennie 1990-1999, qui mena, sans solution de continuité, une
politique économique délirante, ultra-libérale au-delà du
pensable alors (Mileí le dépasse maintenant). C’est lui qui
décréta l’intenable parité entre le dollar US et le peso
argentin, laquelle a tout droit conduit l’Argentine dans la
faillite générale de décembre 2001 dont le pays se relevait à
peine à la fin du second mandat de Cristina Kirchner, juste avant
que Macri casse tout avec sa politique aussi favorable au grand
patronat que défavorable aux secteurs vulnérables de la population.
Ensuite, cela a été le cercle vicieux : la dette démesurée
contractée sous Macri auprès du FMI puis, sous Alberto Fernández,
le Covid qui a donné le coup de grâce à une économie déjà très
fragilisée.
"La pire réjouissance", dit le gros titre Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Côté droits de l’homme, Menem a aussi laissé le souvenir d’une indulgence pour le moins ambiguë envers les bourreaux de la dictature militaire qui, sous son mandat, ont bénéficié de grâces incompréhensibles qui ont, de plus, compliqué les poursuites ultérieures, lorsque Néstor Kirchner a fait repartir, en 2003, les procédures judiciaires contre les responsables des crimes contre l’humanité et relancé la recherche des bébés volés, aujourd’hui quarantenaires. Mileí marche dans le pas de Menem et il en est fier.
Enfin, et c’est la plus énorme
des contradictions chez Mileí, Menem est mort sous le coup d’une
accusation grave : il était poursuivi pour complicité active
avec le commando syro-libanais (pour autant qu’on ait pu
reconstituer sa composition) qui aurait commis l’attentat contre
l’AMIA, une institution majeure qui rend les services à la fois
d’une mutuelle confessionnelle et d’un consistoire israélite
national. En plein hiver, l’attentat avait fait 300 blessés et 85
morts dans la rue Pasteur, à Buenos Aires, en plein centre-ville.
Bien entendu, la mort de Menem, alors que l’instruction n’était
pas close, a éteint l’action publique. Juridiquement, il reste
donc à jamais innocent. Cette admiration pour un tel bonhomme n’en
reste pas moins très étonnante de la part du pro-israélien
inconditionnel qu’est Javier Mileí, lui qui vient faire voter à
l’ONU contre l’attribution d’un siège à l’État palestinien
(État
en devenir puisqu’il n’a encore ni territoire unifié ni
pouvoirs publics reconnus par ses propres ressortissants), contre une
très longue tradition argentine plutôt favorable aux Palestiniens
et méfiante envers la politique de la droite israélienne. Mileín
qui prétend couler sa diplomatie dans celle de Netanyahu et celle de
l’Oncle San (ce qui constitue déjà un sacré grand écart), ne
voit rien à redire à l’indulgence que semblait nourir Menem pour
les formations politiques islamistes qui foisonnaient déjà en 1994
dans le pays de ses ancêtres (les Menem sont des Turcos,
un terme qui en Argentine désigne des descendants d’arabes,
musulmans ou chrétiens, originaires de la côte orientale de la
Méditerranée, appartenant alors à l’empire ottoman). Cela nous
en dit long sur son absence totale de considération pour quoi que ce
soit d’autre que l’économie et le profit sonnant et trébuchant.
En haut : Retour [au taux d'inflation] à un chiffre En bas : Carlos le Grand Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Devant une Zulema rayonnante, la
fille chérie de Carlos Menem, Mileí a prononcé l’éloge de son
lointain prédécesseur et déclaré qu’il avait été « le
meilleur président que l’Argentine ait connu au cours des quarante
dernières années ». On voit donc où il veut mener son pays
et il semble en bonne voie d’y parvenir. Le pays flirte déjà avec
la catastrophe et ne se relèvera pas de sitôt de l’abandon de
tout le secteur non-marchand : éducation, recherche, culture,
santé.
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Or il y a là une chose qui différencie Mileí et Menem : ce dernier avait en effet soutenu, à tort et à raison, le secteur de la culture et notamment le spectacle vivant (le tango sous toutes ses formes s’en souvient encore !). Menem avait mené une intelligente stratégie de soft-power et de rayonnement à l’étranger, un domaine de la diplomatie où l’Argentine n’a jamais vraiment su briller malgré son capital considérable en la matière. La faute de Menem aura été d’avoir financé tout _ça en faisant de la cavalerie, ce dont les Argentins ont fini par payer le prix exorbitant à partir de Noël 2001.
Pour aller plus loin :