Tango : manière de vivre les pieds fermement plantés dans la terre et la tête s’élançant vers le ciel. Tous les bons profs de tango vous répéteront cela sans se lasser...
Ci-contre : dessin publié par Página/12
Le collaborateur à Cristina : "Ça y est ! On a envoyé le projet de nationalisation d’Aerolineas au Parlement... Il ne manque plus qu’une chose ! - Quoi donc ? - Que Cobos ne vote pas contre !"
(traduction Denise Anne Clavilier)
Le 21 juillet dans l’après-midi, la Présidente argentine, Cristina Fernández de Kirchner, a solennellement annoncé le retour de la compagnie d’aviation Aerolineas Argentinas dans le giron de l’Etat, après 18 ans d’une privatisation assez malheureuse.
Aerolineas Argentinas, c’est tout un symbole et toute une histoire. Je me souviens de la surprise mêlée de fierté de mes amis de Buenos Aires en comprenant que j’avais voyagé sur Aerolineas... Me sachant française, ils étaient persuadés que j’avais pris une compagnie européenne, jugée, a priori et de toute façon, plus confortable...
Aerolineas Argentinas, c’est tout un symbole et toute une histoire. Je me souviens de la surprise mêlée de fierté de mes amis de Buenos Aires en comprenant que j’avais voyagé sur Aerolineas... Me sachant française, ils étaient persuadés que j’avais pris une compagnie européenne, jugée, a priori et de toute façon, plus confortable...
Aerolineas Argentinas fut la première compagnie criolla (sud-américaine) à effectuer des vols transatlantiques entre le sous-continent austral et l’Europe. Sa création est une des grandes réalisations de la présidence de Perón (1946-1955), un symbole de sa politique de décolonisation politico-économique. Elle a été créée en 1949 pour donner au pays une autonomie en matière de transport, ce domaine ayant toujours été développé par des investisseurs étrangers, britanniques d’abord, américains ensuite, depuis les premières lignes de tramways à Buenos Aires et le début du chemin de fer pour relier entre elles les différentes régions de cet immense pays.
C’est dans les années 90 que le Président Carlos Menen, pourtant péroniste, avait cédé ce joyau de la Couronne à Iberia qui s’en est ensuite défait au profit du groupe espagnol Marsans grâce à des montages financiers de haute voltige. Depuis, la situation est allée en se dégradant d’année en année : climat social et conditions de travail détériorés, provoquant grève sur grève, flotte réduite (la plupart des avions sont loués, seule une toute partie d’entre eux sont des actifs de la compagnie), matériel de formation du personnel volant non renouvelé (le maintien des compétences est sous-traité), dessertes réduites et pour finir, service à bord et en escale donnant lieu à de multiples plaintes des clients qui finissent par fuir vers d’autres transporteurs...
Les Argentins craignaient de voir s’évanouir leur ancienne compagnie nationale : quelqu’OPA inamicale (ou suscitée par Marsans) pour racheter le peu d’actifs restant à l’inventaire, le personnel licencié et l’emblème bleu aux deux A définitivement absents de tous les tarmacs nationaux et internationaux.
C’est dans les années 90 que le Président Carlos Menen, pourtant péroniste, avait cédé ce joyau de la Couronne à Iberia qui s’en est ensuite défait au profit du groupe espagnol Marsans grâce à des montages financiers de haute voltige. Depuis, la situation est allée en se dégradant d’année en année : climat social et conditions de travail détériorés, provoquant grève sur grève, flotte réduite (la plupart des avions sont loués, seule une toute partie d’entre eux sont des actifs de la compagnie), matériel de formation du personnel volant non renouvelé (le maintien des compétences est sous-traité), dessertes réduites et pour finir, service à bord et en escale donnant lieu à de multiples plaintes des clients qui finissent par fuir vers d’autres transporteurs...
Les Argentins craignaient de voir s’évanouir leur ancienne compagnie nationale : quelqu’OPA inamicale (ou suscitée par Marsans) pour racheter le peu d’actifs restant à l’inventaire, le personnel licencié et l’emblème bleu aux deux A définitivement absents de tous les tarmacs nationaux et internationaux.
Après avoir protesté que l’Etat n’avait pas vocation à gérer cette entreprise, car elle tient à la confiance des investisseurs capables d’entreprendre dans le pays ("je ne veux pas être le gendarme des entreprises", a-t-elle déclaré le 10 décembre lors de sa prestation de serment devant le Congrés), la Présidente a donc fini par décider la renationalisation de la Compagnie, après des négociations entre le ministre de la Planification, Julio de Vido, et les représentants de Marsans, qui ont accepté de vendre à l’Etat 94,41% du capital d’Aerolineas et 97% d’Austral (l’autre compagnie du Groupe), l’Argentine ayant conservé 5% d’Aerolineas jusqu’à ce jour.
S’ouvre à présent une période de deux mois qui sera fort complexe.
Sur le plan financier d’abord, car il s’agit de valoriser les actions de chaque entité pour en déterminer le prix. Or depuis la privatisation elle-même, tout le capital du groupe a été géré par de la cavalerie financière et des jeux d’écriture comptables en compensant du capital effectif par du passif d’exploitation. Sans compter que le Groupe a omis depuis quelques années de payer les impôts sur les sociétés (pas de quoi casser trois pattes à un canard, là-bas) et qu’il est donc redevable d’un arriéré d’un peu plus de 120 millions de pesos à la Province de Buenos Aires (sur le sol de laquelle se situe l’aéroport d’Ezeiza, où sa flotte est immatriculée)... [1 € = 4,85 pesos environ].
Sur le plan politique ensuite puisque pour entrer en vigueur, un tel accord nécessite la ratification des deux chambres. Une fois exprimée la légitime satisfaction des Argentins de voir leur compagnie redevenir leur propriété et même, mieux, de la voir reprise aux Espagnols (les symboles sont les symboles !), les analystes politiques ironisent sur le futur déroulé du vote... Et si, comme il l’a fait la semaine dernière sur la question agricole (cf. Coup de théâtre au Sénat), le Vice-Président et Président du Sénat, Julio Cobos, votait non encore une fois ?
Sur le plan financier d’abord, car il s’agit de valoriser les actions de chaque entité pour en déterminer le prix. Or depuis la privatisation elle-même, tout le capital du groupe a été géré par de la cavalerie financière et des jeux d’écriture comptables en compensant du capital effectif par du passif d’exploitation. Sans compter que le Groupe a omis depuis quelques années de payer les impôts sur les sociétés (pas de quoi casser trois pattes à un canard, là-bas) et qu’il est donc redevable d’un arriéré d’un peu plus de 120 millions de pesos à la Province de Buenos Aires (sur le sol de laquelle se situe l’aéroport d’Ezeiza, où sa flotte est immatriculée)... [1 € = 4,85 pesos environ].
Sur le plan politique ensuite puisque pour entrer en vigueur, un tel accord nécessite la ratification des deux chambres. Une fois exprimée la légitime satisfaction des Argentins de voir leur compagnie redevenir leur propriété et même, mieux, de la voir reprise aux Espagnols (les symboles sont les symboles !), les analystes politiques ironisent sur le futur déroulé du vote... Et si, comme il l’a fait la semaine dernière sur la question agricole (cf. Coup de théâtre au Sénat), le Vice-Président et Président du Sénat, Julio Cobos, votait non encore une fois ?
Dans son discours, très solennel, tenu dans le Salon Blanc de la Casa Rosada, siège officiel du Gouvernement fédéral, la Présidente a regretté d’avoir dû prendre cette décision et affirmé qu’elle aurait préféré que les dirigeants de la société aient rencontré plus de succès dans leur gestion. Et elle a aussi insisté auprès des représentants des salariés de la Compagnie sur le fait qu’il s’agissait là d’une "entreprise de service, dont l’objectif devait être de récupérer les clients qui s'en sont allés, grâce à des avions qui partent et arrivent à l’heure. Sans que le voyageur se voit importuné par des conflits où il n’a que faire puisqu’il paye en achetant un billet. Cela, ce n’est ni la Présidente ni les Députés qui peuvent le faire. Il est capital d’avoir une compagnie aérienne de pavillon national et un service de transport aérien de qualité et efficace".
Elle a ajouté : "Nous avons coutume de ne pas prendre nos affaires en main. Mais il faut que nous prenions l’habitude de savoir quelle est notre responsabilité. Ce n’est pas difficile, je crois que nous pouvons le faire. Mais nous avons besoin d’effort et de discipline".
Une fois la cérémonie terminée, plus complice, elle a pris à part les représentants des différents syndicats du groupe aérien et leur a glissé : "Si nous ne faisons pas bien les choses, on finira par donner raison aux Espagnols". Espérons qu’elle sera entendue, mais pour le moment, les pilotes de ligne maintiennent leur mouvement de grogne sociale, ce qui occasionne toujours des retards alors que l’Argentine est en pleines vacances d’hiver (qui sont réparties sur plusieurs zones comme en France, pour élargir la saison pour le tourisme intérieur).
Ces arguments égrainés par la Présidente, avec cette belle insistance et cet optimisme volontariste et revendiqué, éclairent pour moi ce qu’a d’hyper-réalisme le défaitisme, l’indifférence lasse de tant d’espoirs déçus, ce terrible héritage de ces fils d’immigrants qui crurent en arrivant trouver un pays de cocagne et ne connurent en fait qu’une vie de misère, pire souvent que celle qu’ils avaient laissée en Europe, ce fatalisme découragé et inguérissable qui transpire dans les vers de tant de grands classiques du tango, les Enrique Santos Discépolo, Enrique Cadícamo, Cátulo Castillo, Pascual Contursi mais aussi son fils, José María, et Tita Merello, et tant, tant d’autres...
Ces arguments égrainés par la Présidente, avec cette belle insistance et cet optimisme volontariste et revendiqué, éclairent pour moi ce qu’a d’hyper-réalisme le défaitisme, l’indifférence lasse de tant d’espoirs déçus, ce terrible héritage de ces fils d’immigrants qui crurent en arrivant trouver un pays de cocagne et ne connurent en fait qu’une vie de misère, pire souvent que celle qu’ils avaient laissée en Europe, ce fatalisme découragé et inguérissable qui transpire dans les vers de tant de grands classiques du tango, les Enrique Santos Discépolo, Enrique Cadícamo, Cátulo Castillo, Pascual Contursi mais aussi son fils, José María, et Tita Merello, et tant, tant d’autres...
Sources : Clarín (http://www.clarin.com/) et Página/12 (http://www.pagina12.com.ar/diario/principal/index.html)
En tierras extrañas luché con la suerte,
derecho y sin vueltas no supe mentir,
y al verme agobiado, más pobre que nunca,
volví a mi querencia buscando morir.
En des terres étrangères, j’ai lutté contre le destin,
Intègre et sans détour, je n’ai pas su mentir
Et me voyant accablé, pauvre comme jamais,
Je suis revenu au bercail, pour chercher la mort....
(traduction : Denise Anne Clavilier)
Intègre et sans détour, je n’ai pas su mentir
Et me voyant accablé, pauvre comme jamais,
Je suis revenu au bercail, pour chercher la mort....
(traduction : Denise Anne Clavilier)
Ces mots sont ceux qu'Enrique Gaudino met dans la bouche d'un pauvre bougre, de retour supposé sur sa terre natale (le quartier symbolise ici quelque coin reculé d'Europe, sans doute en Italie), après la vaine quête d’une chimérique toison d’or, dans San José de Flores, musique d’Armando Acquarone. A écouter dans l’enregistrement magistral qu’en fit Osvaldo Pugliese en 1953, avec pour chanteur Alberto Morán.