vendredi 17 juin 2016

Hommage à Güemes [Actu]


Finalement, le Congrès a bien voté la loi qui fait du 17 juin, date anniversaire de la mort (1) de Martín Miguel de Güemes (1785-1821) (voir mon article du 19 mai 2016 sur le vote par le Sénat, qui a précédé celui de la Chambre). L'Argentine est donc aujourd'hui en vacances et c'est un très long week-end qui s'ouvre sur ce vendredi férié qui sera prolongé par un lundi férié, le 20 juin étant la fête du Drapeau. Quatre jours pour se régaler avec du locro, ce ragoût proche de notre cassoulet et qui est le plat des fêtes nationales par excellence, en même temps qu'une roborative nourriture d'hiver (voir mon article sur la recette).

Jusqu'à présent, Güemes était surtout un héros fêté à Salta, sa province natale, la province dont il était le gouverneur pendant la guerre d'indépendance. A part le jour férié étendu à tout le pays, il faut bien avouer qu'il en est un peu de même aujourd'hui : au niveau national, seul La Nación parle de la fête. Le reste des quotidiens nationaux, établis à Buenos Aires, s'en moquent comme de l'An 40 ! Et pourtant, le Président Mauricio Macri s'est déplacé hier pour participer à la traditionnelle vigile d'hommage au caudillo gaucho, la Guardia bajo las Estrellas (la garde sous les étoiles), au cours de laquelle la Province commémore l'attaque nocturne qui coûta la vie au général saltègne. Aujourd'hui aura lieu le défilé militaire, avec les soldats en uniforme d'époque, tout de rouge vêtus et coiffé du bonnet phrygien, symbole de liberté en Argentine aussi. Le Gouvernement a envoyé aussi le parc d'attraction scientifique et technique Tecnópolis dans la capitale du nord-ouest pour l'ensemble de ce long week-end.


Cette participation du gouvernement national est d'autant plus remarquable que Güemes a longtemps été un véritable repoussoir pour la droite libérale argentine. De son vivant, il était haï par les unitaires portègnes dont la droite libérale est en grande partie l'héritière et cette détestation éa survécu longtemps après sa mort, à tel point que Bartolomé Mitre (1821-1906), homme politique conservateur et libéral et présumé premier historien argentin, a dû publier une critique d'un de ses précédents livres (2) pour rectifier, avec beaucoup de courage intellectuel, l'interprétation très défavorable que ses contemporains en avaient faite et où il réhabilite les deux figures calomniées, celle de Manuel Belgrano d'une part et celle de Güemes d'autre part : Estudios históricos sobre la Revolución Argentina, Belgrano y Güemes, Buenos Aires, 1864. A vrai dire, le livre de Mitre n'a pas eu raison de la haine des courants conservateurs à l'égard du héros saltègne : elle a tenu bon jusqu'à nos jours dans une partie non négligeable de l'opinion publique. On la perçoit encore dans l'assourdissant silence de la presse nationale sur les célébrations à Salta. Par conséquent, qu'un président aussi identifié au néolibéralisme que Mauricio Macri prenne la peine d'aller fêter le héros emblématique de la gauche est une première à ne pas négliger.

Photo Gouvernement de Salta

Même si nul ne peut écarter de cette démarche tout calcul politique à courte vue, étant donné les très bons rapports que Macri entretient avec le gouverneur péroniste Juan Manuel Urtubey, avec lequel il s'était notamment rendu au Vatican en février dernier (voir mon article du 28 février 2016), et le besoin qu'il a de soigner son image d'homme de dialogue par les temps qui courent, il n'en reste pas moins que sa démarche constitue un pas considérable sur le chemin de la réconciliation symbolique des deux Argentines qui ressentent encore de nos jours les effets désastreux de la longue guerre civile qui a opposé les unitaires et les fédéraux de 1820 à 1880...

Pour aller plus loin :
lire l'article de El Tribuno de Salta sur la visite présidentielle d'hier soir
lire l'article de El Tribuno sur la Guardia bajo las Estrellas
lire le communiqué de la Province de Salta sur la pose d'une plaque commémorative de la rencontre entre Güemes et Pueyrredón, mercredi dernier, pour son bicentenaire (3).

Ajouts du 18 juin 2016 :
lire l'article de Página/12 de ce jour que les fréquentes embrassades entre le Président Macri et le Gouverneur Urtubey agace fortement
lire l'article de La Nación qui au contraire se réjouit de la forte participation du Président aux festivités provinciales, avec une belle photo prise pendant sa visite au parc de Tecnópolis.



(1) L'Argentine fête ses héros nationaux au jour anniversaire de leur mort, comme l'Eglise fête les saints. L'Argentine se comporte comme l'Europe au Moyen Age, quand celle-ci prenait les saints comme héros pour construire les identités des nouveaux pays qui surgissaient des ruines de l'Empire Romain et donnait leurs noms à ses villes et ses villages. Et en effet, les héros de l'Indépendance jouent le même rôle dans la constitution de la nation que les saints dans l'Europe médiévale. Ainsi donc Manuel Belgrano (1770-1820) est fêté le 20 juin, avec la fête du drapeau (Día de la Bandera), et José de San Martín (1778-1850) chaque 17 août (mais, en ce qui le concerne, le caractère férié de la journée est mobile, une mobilité qui favorise le tourisme intérieur grâce au long week-end dans lequel elle s'inscrit).
(2) Historia de Belgrano, Buenos Aires, 1859
(3) Le 15 juin 1816, quelques jours avant la déclaration d'indépendance, le premier Directeur Suprême des Provinces Unies élu par une représentation nationale légitime, Juan Martín de Pueyrredón, rencontrait le général Güemes, au Fort de Cobos, sur le chemin que le Directeur fraîchement élu prenait pour gagner la capitale, Buenos Aires, et assumer ses fonctions.