samedi 10 octobre 2009

Tango et Fado ce soir au CAFF [à l'affiche]

Copie d'écran du mail envoyé par le CAFF

Il s'agit de la troisième soirée 2009 sur ce même thème au CAFF, le Club Atlético Fernández Fierro, nom de la salle dont dispose la Orquesta Típica Fernández Fierro au coeur du quartier de l'Abasto (rue Sánchez de Bustamente 764). Cette soirée réunira Karina Beorlegui, les Primos Gabino (cousins Gabino) et Walter Hidalgo, à 22h, pour un prix d'entrée fixé à 25$ si vous achetez votre place à l'avance (à la Disquería El Atril, l'espace disques à l'entrée de la librairie Ghandi, esquina Corrientes y Callao, très facile à trouver), et à 30 $ si vous achetez votre place le jour même, à l'entrée de la salle.

La dernière soirée du même type avait eu lieu le samedi 8 août. Mais prise par mes préparatifs de voyage, je n'avais pas eu le temps de vous en parler avant de m'envoler vers Buenos Aires. Pourtant le présentateur (de luxe) de la soirée m'avait communiqué le texte de sa présentation. Je vous la traduis ci-dessus (avec retard mais le coeur y est)...
Ce présentateur de luxe n'est autre que le poète et essayiste Luis Alposta.
Acerca del tango y el fado
Esta noche quiero recordar, por venir a cuento, los nombres de cinco géneros musicales que, hermanados espiritualmente, nacieron prácticamente en la misma época y en distintos países. Ellos fueron gestados a lo largo del siglo diecinueve. Y esos cinco géneros musicales son: el fado, el flamenco, el tango, el blues, que yendo más allá de lo azul significa tristeza, y el rebético, nacido en Atenas, y que en lo relativo a penas y nostalgias no le va en saga a los otros cuatro.
(Luis Alposta)

Au sujet du tango et du fado
Cette nuit, je veux rappeler, pour aborder le sujet tout de suite, les noms de cinq genres musicaux qui, frères dans leur esprit, sont nés pratiquement à la même époque et dans des pays différents. Leur gestation a duré pendant tout le 19ème siècle. Et ces cinq genres musicaux sont : le fado, le flamenco, le tango, le blues, qui, pour aller plus loin que le bleu
(1) signifie tristesse, et le rébétiko, né à Athènes (2), et qui pour ce qui est du chagrin et de la nostalgie n'a rien à envier aux quatre autres.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pero hoy me habré de referir tan sólo dos de ellos, que son el fado y el tango.
Y empecemos ya por intentar una definición de este último:
¿Qué es el tango?
El tango es, esencialmente, un arte de síntesis.
Puede ser una sinfonía, un ballet de pareja abrazada, una novela existencial musicalizada o las tres cosas juntas, sin necesitar para eso más de dos o tres minutos. [...]
(Luis Alposta)

Mais aujourd'hui je n'aurais à me référer qu'à seulement deux d'entre eux, le fado et le tango.
Alors commençons déjà par tenter de définir ce dernier :
Qu'est-ce que le tango ?
Le tango est , par définition, un art de la synthèse.
Il peut être une symphonie, le ballet d'un couple qui s'étreint, un roman existentiel mis en musique ou les trous à la fois, sans qu'il soit besoin pour autant de plus de deux ou trois minutes
. [...]
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Si bien nació alegre y retozón, entre cortes y quebradas, ha sido con el tiempo, y ya con letra y bandoneón incorporados, que nuestra música ha ido perdiendo su originario carácter compadre y bullanguero, para pasar a adoptar una modalidad temperamental severa y cadenciosa.
Y han sido sin duda bandoneón y letristas los artífices de esa radical transformación anímica, que contribuyó a forjarle después un carácter quejumbroso y sentimental.
Me estoy refiriendo al tango y, en este punto, ya tengo la impresión de estar hablando del fado. Y eso sin entrar a detallar los nombres de los cuatro que grabó Gardel o los doce que incorporó a su repertorio la voz sentimental de Buenos Aires, que fue Agustín Magaldi.
(Luis Alposta)

Il a beau être né joyeux et cabriolant, parmi les cortes et les quebradas (3), il s'est trouvé que le temps passant, et déjà avec paroles et bandonéon intégrés, notre musique a perdu peu à peu son caractère originel fier à bras et exubérant pour en venir à adopter une modalité assagie, sévère et cadensée.
Et n'en doutons pas, ce sont le bandonéon et les écrivains
(4) qui furent les vecteurs de cette transformation anémique et radicale, qui a contribué à lui forger par la suite un caractère plaintif et sentimental.
Je fais allusion ici au tango et, arrivé à ce point, j'ai l'impression de parler du fado. Et ce, dans entrer dans les détails des noms des quatres fados qu'enregistra Gardel ni des douze qu'a intégré dans son répertoire la voix sentimentale de Buenos Aires, que fut Agustín Magaldi.
(5)
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pero... ¿qué es el fado?
El fado es música de melancolías y soledades. El fado es destino que tiene como clave emocional la saudade, una esencia de la que los portugueses hicieron símbolo de identidad.
El fado, sin ser “ni alegre ni triste”, como decía Pessoa, es expresión de los estados del alma, de lo que se siente al reír o al llorar.
(Luis Alposta)

Or donc qu'est-ce que le fado ?
Le fado est une musique de mélancolies et de solitudes. Le fado, c'est une destinée qui a pour clé du ressenti la saudade, quelque chose d'essentiel, d'ontologique, dont les Portugais
(6) ont fait le symbole de la identité.
Le fado, sans être ni gai ni triste, comme disait Pessoa, eest une expression des états d'âme, de ce que l'on sent lorsque l'on rit ou lorsque l'on pleure
.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Entre fado y tango se dan en comunión el haber tenido cuna en barrios marginales, y hasta canallescos, y el haber llegado, ambos, a convertirse en músicas universales. De la taberna al mundo. Tales sus sinos, sus hados, sus destinos.
El fado es guitarra y es canto. Sigue siendo la voz de Amalia Rodrigues en la magia del disco.
(Luis Alposta)
Entre le fado et le tango, il y a en commun le fait d'avoir pour berceau les quartiers marginaux et même quelque peu crapuleux et le fait d'avoir réussi, tous deux, à se transformer en musiques universelles. De la gargotte au monde entier. Tels sont leur étoile, leur fée (7), leur destinée.
Le fado c'est la guitare et le chant. Le fado continue d'être la voix d'Amalia Rodrigues grâce à la magie du disque
.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Y esta noche, es la presencia y el arte de Karina Beorlegui, quien ha realizado exitosas presentaciones en escenarios no sólo del país sino también del extranjero, y los Primos Gabino, trío de guitarra, guitarra portuguesa y cavaquinho, integrado por Nacho Cabello, Tibi Ruiz y Juan Pablo Esmok Lew, tres músicos que, magistralmente, abordan ambos géneros.
Con ustedes, los artistas.
(Luis Alposta)

Et cette nuit, c'est la présence et l'art de Karina Beorlegui, qui a réalisé des présentations en scène couronnées de succès non seulement dans ce pays mais aussi à l'étranger et les Primos Gabino, un trio de guitare, guitare portugaise et cavaquinho (8) composé de Nacho Cabello, Tibi Ruiz et Juan Pablo Esmok Lew, trois musiciens qui, magistralement, abordent les deux genres.
On vous écoute, vous les artistes
.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Et maintenant vous n'avez plus qu'une alternative : ou vous êtes à Buenos Aires et vous réservez votre soirée pour aller écouter ce troisième volet de cette série passionnante (saluez Luis Alpsta de ma part, dans ce cas) ou Buenos Aires est trop loin et vous vous fabriquez votre propre concert en suivant les indications données par la présentation de Luis avec ce que vous avez sous la main dans votre discothèque. C'est fou ce qu'on apprend avec ce jeu-là !

(1) azul (bleu) en espagnol (à peu près partout dans l'aire hispanophone), c'est un synonyme de perfection, de réussite telle qu'il n'en existe que dans nos rêves... El principe azul, c'est notre prince charmant. La nota azul que le compositeur cherche lorsqu'il invente une mélodie, c'est la note exacte, celle qui correspond à ce qu'il a en tête pour exprimer ce qu'il veut exprimer... Nous aurions tendance en français à utiliser le rose dans un sens similaire : "voir la vie en rose", "être sur un petit nuage rose".
(2) Luis Alposta vient d'achever un gros travail avec Daniel Melingo autour des thématiques du rébétiko. Il était en plein travail là-dessus quand je l'ai connu en août 2008. Il m'en avait montré quelques textes, en super-avant-première. Une poésie très rude comme la réalité dont elle parle, la réalité carcérale, la réalité des laissés pour compte de nos sociétés fondées sur l'économie de marché. J'imagine que Daniel Melingo introduit tout ou partie de ce travail sur son prochain disque qui est en cours d'enregistrement. Quelques temps avant sa mort, Alorsa avait fait des traductions en espagnol d'authentiques rébétikos athéniens pour Daniel (la famille d'Alorsa est d'origine grecque et il avait conservé un lien très fort avec la langue de ses ancêtres et avec la culture grecque).
(3) Cortes y quebradas : figures choréographiques très osées dans les années 1900 (il s'agissait de glisser une jambe entre celles de la ou du partenaire pour casser le mouvement). Après l'introduction du tango à Paris, au milieu des années 1900, le tango gagna à Buenos Aires une population plus rangée, moins marginale que celle des débuts du genre. Et les cortes et quebradas étaient très mal vus. Francisco Canaro raconte dans ses Mémoires que celui qui voulait faire le malin en glissant une quebrada au nez et à la barbe des responsables de la fête, dans les milongas de patio, les bals que les particuliers organisaient chez eux pour un anniversaire, un mariage, un baptême, se faisaient rudement tancer et s'ils recommençaient, ils se faisaient mettre proprement à la porte par le maître de maison. Aujourd'hui, les cortes et les quebradas s'apprennent dans tous les cours de tango mais il faut déjà posséder une technique assez solide pour le faire sans se faire mal au dos. La mauvaise technique en tango est une cause importante de lombalgies diverses et variées chez les danseurs trop ambitieux pour leur niveau.
(4) Luis Alposta parle de letrista, que je me refuse à traduire par le mot parolier. Chez nous, dans la chanson francophone, les textes sont souvent assez inconsistants. Employer le mot parolier, qui convient tout à fait aux auteurs de nos chansons, seraient assimilés le contenu des tangos à ces rengaines qui font pâle figure à côté de la profondeur et de la beauté des letras de tango, à partir de Pascual Contursi. Ou alors il faudrait que la chanson francophone ne connaissent (mais c'est loin d'être le cas) que des Jacques Brel, des Georges Brassens, des Eddy Mitchell, des Felix Leclerc, des Julos Beaucarne, des Jean Ferrat ou des Gilbert Lafaille (lui, on ne le connaît pas beaucoup et on a bien tort. C'est un très grand, Gilbert Lafaille).
(5) Agustín Magaldi (1898 - 1938). La voz sentimental de Buenos Aires, c'était son surnom. Il s'agit d'un chanteur qui fut très célèbre et très populaire en son temps. Il s'accompagnait lui-même à la guitare comme le faisait Gardel à la même époque. Comme lui il est mort très jeune, à quelques années de distance. Et la gloire de Gardel fait qu'aujourd'hui, il n'est connu que des gens cultivés, que des vrais tangueros qui connaissent leur affaire, comme c'est le cas de Luis Alposta et en général du public du CAFF (comme du public du CCC, du Torcuato Tasso, de Clásica y Moderna, de la Peña del Colorado, de tous ces lieux institutionnels qui font vivre le véritable tango dans la capitale argentine). Agustín Magaldi repose aujourd'hui dans le carré des personnalités artistiques du cimetière de la Chacarita, à côté de Troilo, de Pugliese, de Di Sarli, des frères De Caro, de Quinquela Martín, de Rosita Melo. Mais assez loin de la tombe de Gardel, qui est au milieu des grands caveaux familiaux, dans la partie somptueuse et somptuaire de cette immense nécropole.
(6) Pour les observateurs : vous aurez remarqué que Luis a écrit portugueses avec un p minuscule et que je traduis Portugais avec une majuscule. En Argentine, les adjectifs de nationalité substantivés ne prennent pas la majuscule.
(7) leur fée : Luis parle de hados et non de hadas (fées). Le hado, c'est le destin au sens grec du terme, la fatalité qui vous suit et à laquelle nul ne peut échapper. Dans le contexte, au milieu des trois termes différents (alors que le français ne possède pas autant de nuances dans ce domaine), j'ai préféré tordre un peu le cou au sens littéral et vous livrer une phrase lisible que de partir sur des périphrases sans doute plus fidèles mais vraiment trop peu digestes. Choix cornéliens qui s'imposent aux traducteurs...
(8) Le cavaquinho est un instrument à cordes pincées, qui ressemble un peu à une guitare ou à un luth, une invention portuguaise qui a beaucoup prospéré au Brésil. Il est de la même famille que le ukulelé (qui en serait l'adaptation hawaïenne) ou le charango qui est devenu l'instrument des peuples précolombiens d'Argentine, du Paraguay, de la Bolivie.