Deux bâtons présidentiels et une écharpe bicolore qui font partie de l'exposition permanente revisitée Photo Casa Rosada |
Hier, le Président
Mauricio Macri a rendu hommage à Arturo Illia, le président radical
qui prit ses fonctions en 1963 pour être renversé par un coup
d'Etat militaire trois ans plus tard, en 1966, un homme qu'il
présente comme un modèle (cela fait plaisir à ses alliées de
l'UCR) et une sorte de paradigme de son propre programme politique : "transparence, honnêteté, décence et patriotisme", des mots qu'il
répète comme un mantra dans tous ses discours, depuis le 10
décembre, avec plus ou moins de capacité à maintenir l'adhésion
de ses compatriotes à ce discours.
Sans le dire ouvertement mais en
le sous-entendant très fort, il a fait de Illia une antithèse des
Kirchner mari et femme avec un soupçon d'aigreur dans le ton qui me
semble bien plus perceptible qu'il y a six mois. Il en a profité, et
c'est tout à son honneur, pour décorer trois personnes qui
s'étaient illustrées par leur courage et leur éthique, il y a
cinquante ans, dans le cadre du coup d'Etat : un grenadier à cheval, passé colonel depuis, qui a sauvé la vie du président légitime
pendant les événements et deux généraux qui ont démissionné de
l'armée après le coup de force parce qu'ils préféraient servir le
pays dans un cadre constitutionnel. Macri devrait ainsi mettre un terme
aux accusations de bienveillance envers la dictature militaire, que
les associations issues de la lutte contre la dernière dictature (Madres, Abuelas, H.I.J.O.S.) sont prêtes à répandre. Il est vrai aussi que sous les deux
mandats de Néstor et Cristina Kirchner, la dictature des années
70-80 occupait tout l'espace de la conscience démocratique et que
les précédents putschs ne donnaient lieu à aucune commémoration
ni aucun hommage aux présidents légitimes qui en avaient été les
victimes. Il y avait une sorte de confiscation de la mémoire au seul bénéfice du péronisme.
Cet anniversaire a permis
aussi au Président Macri de procéder à l'ouverture du nouveau
Musée Casa Rosada, qui perd du coup son nom de Museo Nacional del
Bicentenario, dans cette même démarche, non exempt de revanchisme,
qui consiste à faire disparaître les traces de la politique
précédente, comme si elle n'avait pas existé (ce qui n'est pas de très bonne politique pour "réconcilier" les Argentins comme il ne cesse de le répéter). Les changements relevés par les articles de La Nación
semblent dérisoires et sans aucun intérêt. J'attends donc de me
faire une opinion sur place en le visitant car le président a, quant à lui, dit
quelque chose qui a beaucoup de sens : auraient été mis en
vitrine les objets de tous les présidents constitutionnels, ce qui
semblerait sous-entendre que ce qui touche les présidents issus de
coups d'Etat (presidentes de hecho comme on dit en Argentine) aurait
été retiré de l'exposition permanente. Et ce ne serait pas une
mauvaise manière de régler le problème mémoriel de l'Argentine
(1) par rapport à son histoire institutionnelle mouvementée et
chaotique.
Par ailleurs, le Président
Macri a annoncé qu'il assisterait le 10 juillet à Buenos Aires (2),
dans le cadre des festivités du Bicentenaire, au premier défilé
militaire dans l'espace public depuis 2000. En effet depuis plus de
quinze ans, les rapports de la majorité kirchneriste (depuis 2003)
avec les forces armées étaient empreintes d'une telle méfiance,
voire d'une telle rancune, que les soldats n'avaient presque plus le
droit d'apparaître dans la rue. Il faut dire que la présence
d'uniformes militaires dans les rues avait longtemps eu un sens
terrible et que les Kirchner ont projeté sur la scène publique les
émotions du vécu de leurs jeunes années, d'une manière
foncièrement subjective. Cette attitude très affective leur a bien
entendu aliéné une grande partie des forces armées mais aussi de
l'opinion publique, en particulier des gens de droite proche de la
culture militaire (3) (laquelle ne doit pas se confondre avec la
culture dictatoriale, qui ne correspond qu'à une partie
psycho-rigide de l'armée).
Pour aller plus loin :
lire l'article de La Prensa sur l'hommage à Illia
lire le reportage de La Nación sur la dékrichnerisation du Museo ex-del Bicentenario
lire le second reportage de La Nación sur le nouveau visage du désormais Museo de la Casa
Rosada
lire l'article de La Nación sur le retour des défilés militaires les jours de fête
nationale
lire le communiqué de la Casa Rosada sur la cérémonie d'hommage à Arturo Illia (avec vidéo
incluse) – le tout n'a duré que 16 minutes, c'est vraiment
rapide !
lire le communiqué de la Casa Rosada sur le nouveau musée de la Casa Rosada
Ajout du 2 juillet 2016 :
lire l'éditorial très caustique de Página/12 qui remet cet hommage inattendu à Arturo Illia en perspective politicienne : le quotidien de l'opposition y voit une fleur faite à l'UCR, alliée de Mauricio Macri dans Cambiemos. Cela fait plaisir et ça ne coûte rien. L'analyse est loin d'être invraisemblable. Et comme l'UCR est historiquement anti-péroniste, ça fait d'une pierre deux coups.
Ajout du 2 juillet 2016 :
lire l'éditorial très caustique de Página/12 qui remet cet hommage inattendu à Arturo Illia en perspective politicienne : le quotidien de l'opposition y voit une fleur faite à l'UCR, alliée de Mauricio Macri dans Cambiemos. Cela fait plaisir et ça ne coûte rien. L'analyse est loin d'être invraisemblable. Et comme l'UCR est historiquement anti-péroniste, ça fait d'une pierre deux coups.
(1) Par exemple jusqu'à
l'année dernière, les Grenadiers à cheval réservistes réglaient
le problème d'une manière intellectuellement très
insatisfaisante : ils se disaient fiers d'avoir servi tous les
présidents de la même manière. Je ne sais pas s'ils ont changé de
formule depuis. Ce serait à souhaiter. Mais cette formule ne faisait
que justifier leur neutralité dans les aléas de la vie politique du
pays. La position du Président pourrait mettre fin à cette
neutralité déplaisante.
(2) Reste à savoir si le
lieu sera ouvert au public ou cerné de barrières de sécurité
comme cela s'est produit, au grand scandale des Argentins, le 25 mai
sur la Plaza de Mayo à Buenos Aires et le 20 juin autour du Monument
au Drapeau à Rosario (Province de Santa Fe).
(3) Et dans cette partie
de l'opinion publique proche de la culture militaire, on compte un
bon nombre de sanmartiniens et de belgraniens qui tâchent
aujourd'hui de retrouver un espace dans les médias et la vie
quotidienne.