Finalement, le Congrès a
bien voté la loi qui fait du 17 juin, date anniversaire de la mort
(1) de Martín Miguel de Güemes (1785-1821) (voir mon article du 19 mai 2016 sur le vote par le Sénat, qui a précédé celui de la
Chambre). L'Argentine est donc aujourd'hui en vacances et c'est un
très long week-end qui s'ouvre sur ce vendredi férié qui sera
prolongé par un lundi férié, le 20 juin étant la fête du
Drapeau. Quatre jours pour se régaler avec du locro, ce ragoût
proche de notre cassoulet et qui est le plat des fêtes nationales
par excellence, en même temps qu'une roborative nourriture d'hiver (voir mon article sur la recette).
Jusqu'à présent, Güemes
était surtout un héros fêté à Salta, sa province natale, la
province dont il était le gouverneur pendant la guerre
d'indépendance. A part le jour férié étendu à tout le pays, il
faut bien avouer qu'il en est un peu de même aujourd'hui : au
niveau national, seul La Nación parle de la fête. Le reste des
quotidiens nationaux, établis à Buenos Aires, s'en moquent comme de
l'An 40 ! Et pourtant, le Président Mauricio Macri s'est déplacé hier
pour participer à la traditionnelle vigile d'hommage au caudillo
gaucho, la Guardia bajo las Estrellas (la garde sous les étoiles),
au cours de laquelle la Province commémore l'attaque nocturne qui
coûta la vie au général saltègne. Aujourd'hui aura lieu le défilé
militaire, avec les soldats en uniforme d'époque, tout de rouge
vêtus et coiffé du bonnet phrygien, symbole de liberté en
Argentine aussi. Le Gouvernement a envoyé aussi le parc d'attraction
scientifique et technique Tecnópolis dans la capitale du nord-ouest
pour l'ensemble de ce long week-end.
Cette participation du
gouvernement national est d'autant plus remarquable que Güemes a
longtemps été un véritable repoussoir pour la droite libérale
argentine. De son vivant, il était haï par les unitaires portègnes
dont la droite libérale est en grande partie l'héritière et cette
détestation éa survécu longtemps après sa mort, à tel point que
Bartolomé Mitre (1821-1906), homme politique conservateur et libéral
et présumé premier historien argentin, a dû publier une critique
d'un de ses précédents livres (2) pour rectifier, avec beaucoup de
courage intellectuel, l'interprétation très défavorable que ses
contemporains en avaient faite et où il réhabilite les deux figures
calomniées, celle de Manuel Belgrano d'une part et celle de Güemes d'autre
part : Estudios históricos sobre la Revolución Argentina,
Belgrano y Güemes, Buenos Aires, 1864. A vrai dire, le livre de
Mitre n'a pas eu raison de la haine des courants conservateurs à
l'égard du héros saltègne : elle a tenu bon jusqu'à nos
jours dans une partie non négligeable de l'opinion publique. On la
perçoit encore dans l'assourdissant silence de la presse nationale
sur les célébrations à Salta. Par conséquent, qu'un président
aussi identifié au néolibéralisme que Mauricio Macri prenne la
peine d'aller fêter le héros emblématique de la gauche est une
première à ne pas négliger.
Photo Gouvernement de Salta |
Même si nul ne peut
écarter de cette démarche tout calcul politique à courte vue,
étant donné les très bons rapports que Macri entretient avec le
gouverneur péroniste Juan Manuel Urtubey, avec lequel il s'était
notamment rendu au Vatican en février dernier (voir mon article du 28 février 2016), et le besoin qu'il a de
soigner son image d'homme de dialogue par les temps qui courent, il
n'en reste pas moins que sa démarche constitue un pas considérable
sur le chemin de la réconciliation symbolique des deux Argentines
qui ressentent encore de nos jours les effets désastreux de la
longue guerre civile qui a opposé les unitaires et les fédéraux de
1820 à 1880...
Pour aller plus loin :
lire l'article de El Tribuno de Salta sur la visite présidentielle d'hier soir
lire l'article de El Tribuno sur la Guardia bajo las Estrellas
lire le communiqué de la Province de Salta sur la pose d'une plaque commémorative de la
rencontre entre Güemes et Pueyrredón, mercredi dernier, pour son
bicentenaire (3).
Ajouts du 18 juin 2016 :
lire l'article de Página/12 de ce jour que les fréquentes embrassades entre le Président Macri et le Gouverneur Urtubey agace fortement
lire l'article de La Nación qui au contraire se réjouit de la forte participation du Président aux festivités provinciales, avec une belle photo prise pendant sa visite au parc de Tecnópolis.
Ajouts du 18 juin 2016 :
lire l'article de Página/12 de ce jour que les fréquentes embrassades entre le Président Macri et le Gouverneur Urtubey agace fortement
lire l'article de La Nación qui au contraire se réjouit de la forte participation du Président aux festivités provinciales, avec une belle photo prise pendant sa visite au parc de Tecnópolis.
(1) L'Argentine fête ses
héros nationaux au jour anniversaire de leur mort, comme l'Eglise
fête les saints. L'Argentine se comporte comme l'Europe au Moyen
Age, quand celle-ci prenait les saints comme héros pour construire
les identités des nouveaux pays qui surgissaient des ruines de
l'Empire Romain et donnait leurs noms à ses villes et ses villages.
Et en effet, les héros de l'Indépendance jouent le même rôle dans
la constitution de la nation que les saints dans l'Europe médiévale.
Ainsi donc Manuel Belgrano (1770-1820) est fêté le 20 juin, avec la
fête du drapeau (Día de la Bandera), et José de San Martín
(1778-1850) chaque 17 août (mais, en ce qui le concerne, le
caractère férié de la journée est mobile, une mobilité qui
favorise le tourisme intérieur grâce au long week-end dans lequel
elle s'inscrit).
(2) Historia de Belgrano,
Buenos Aires, 1859
(3) Le 15 juin 1816,
quelques jours avant la déclaration d'indépendance, le premier
Directeur Suprême des Provinces Unies élu par une représentation
nationale légitime, Juan Martín de Pueyrredón, rencontrait le
général Güemes, au Fort de Cobos, sur le chemin que le Directeur
fraîchement élu prenait pour gagner la capitale, Buenos Aires, et
assumer ses fonctions.