C'était
un dimanche, le deuxième dimanche après Pâques, qui, en 1818,
était tombé encore plus tôt que cette année. Une description
détaillée de cette journée où se jouait le sort du Chili nous a
été laissée par un commerçant anglais, Samuel Haigh (1), dans un
ouvrage de souvenirs qu'il publia une fois rentré dans son pays et
qui ne fut traduit en espagnol qu'en 1917, à Santiago du Chili, pour
le centenaire de la bataille de Chacabuco, qui avait inauguré la
campagne de libération du pays par le général José de San Martín
(1778-1850) et son ami personnel et allié politique, le Chilien
Bernardo O'Higgins (1778-1842).
Trois
semaines auparavant, les forces patriotes, à la tête desquelles se
trouvait San Martín, avaient été dispersées à Cancha Rayada, par
une attaque nocturne de l'ennemi absolutiste (cf. mon article du 19 mars 2018). Revers militaire au cours duquel O'Higgins avait été
méchamment blessé, ce qui devait le tenir éloigné du champ de
bataille au matin du 5 avril 1818.
A
l'heure de l'angélus du soir, vers les 18h, San Martín était
maître du terrain, au prix d'un terrible bain de sang. Du côté
patriote, c'était les bataillons d'Afro-américains qui avaient payé
le plus lourd tribut, car ils formaient le gros de l'infanterie,
l'arme qui essuyait en première ligne le feu de l'ennemi. Il fallut
beaucoup d'autorité à San Martín pour leur faire respecter les
prisonniers de l'autre camp (2) : ces esclaves, récemment
affranchis du fait même de leur engagement sous les drapeaux, les auraient
lynchés avec plaisir.
Dans le Evening Mail du 13 juillet 1818 (Londres) Le ton est très favorable à San Martín et à la cause de l'indépendance Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Cette
victoire indépendantiste marqua un tournant définitif dans
l'histoire du Chili. Sa liberté assurée, le pays, dirigé par
O'Higgins depuis février 1817, entamait la préparation d'une
expédition audacieuse, celle qui allait faire tomber Lima dans le
camp de l'indépendance. Et cette fois-ci, l'armée gagnerait son
objectif par la mer, ce qui impliquait de créer la marine nationale.
Dans le Dublin Evening Post, du 14 juillet 1818 Ici, c'est franchement la liesse ! Dublin déjà tenté par l'indépendance irlandaise ? Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Dans
ces anniversaires, j'aime me replonger et vous plonger dans la presse
de l'époque. Elle en dit beaucoup sur ce qu'est l'information de
tout temps et la manière dont les journaux peuvent la déformer, en
fonction des courants idéologiques auxquels ils appartiennent ou
auxquels appartiennent ceux qui les dirigent ou les possèdent.
Aujourd'hui,
j'ai donc picoré dans la presse argentine, avec cette célèbre une
de la Gazette de Buenos Aires, l'organe officiel du gouvernement
alors présidé par le Directeur suprême Juan Martín Pueyrredón,
celui-là même qui avait été élu deux ans plus tôt par le
Congrès de Tucumán, juste avant le vote de la déclaration
d'indépendance des Provinces du Sud, devenues depuis la République
Argentine.
Journal des Débats le 18 juillet 1818 L'information ne peut plus être niée. Le journal invente n'importe quoi pour amoindrir la gloire de San Martín ! Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Dans la presse britannique qui ne cachait pas son
enthousiasme devant la victoire, plutôt inattendue, du génial San
Martín, qui, en un an, avait gagné un haut degré d'estime (et
d'admiration) dans le courant libéral européen.
Dans la presse
française, dominée par le Journal des Débats, une feuille alors
très loyale à la Restauration et que, par conséquent, cette
victoire du Chili indépendant défrisait passablement...
(1)
J'ai inclus ce texte très beau dans mon anthologie de documents
historiques, San Martín par lui-même et par ses contemporains, que
j'ai publié aux Editions du Jasmin et que je dédicacerai, entre
autres, le 1er
mai prochain, au Salon du Livre d'Expression populaire et de Critique sociale, à Arras.
(2)
Cet épisode aussi est raconté par Samuel Haigh.