mardi 14 mars 2023

Un symbole de la collaboration patronale avec la Junte meurt sans avoir répondu de ses actes [Actu]

"L'enfer ne s'adoucit pas", dit le gros titre
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution


Carlos Pedro Blaquier, 95 ans, avait été le patron de Ledesma, un groupe sucrier très puissant en Argentine (un peu plus de 6 000 salariés aujourd’hui). Il avait reçu cette présidence des mains de son beau-père, fondateur de l’entreprise. Il a présidé à ses destinées pendant plus de 40 ans.

Sous sa direction, elle s’est diversifiée jusqu’à constituer un ensemble agro-industriel parfaitement intégré : Ledesma est aujourd’hui active sur le marché des agrumes (cultivés dans les provinces de Salta et Jujuy sur plus de 3 000 hectares) sous forme de fruits entiers et de jus de fruit, du papier en ramettes et de cahiers scolaires et autres carnets de notes, de la viande et des céréales, de l’alcool non alimentaire et du bioéthanol et enfin de l’énergie issue de la biomasse (le groupe exploite et transforme en effet les déchets de ses champs de canne à sucre). Sur le marché des agrumes, Ledesma est le premier exportateur argentin de fruits frais.

Aujourd’hui, le groupe affiche ses convictions environnementales (développement durable), ses engagements dans ce domaine, notamment pour la protection des jaguars, et une charte d’éthique qui s’étend au bien-être des salariés au travail.

A ce jour, Ledesma, dont les actions sont cotées à la Bourse de Buenos Aires, est resté néanmoins aux mains de la famille.

Dans ses éditions papier comme sur les sites Internet, la presse de droite est très discrète sur cette disparition : pas un mot en une nulle part. Les journaux ont préféré évoquer la disparition du prix Nobel de littérature japonais, Kenzaburo Oé. Dans les pages intérieures, on trouve des nécrologies modestes : une demi-page dans Clarín et un tiers de page dans La Nación

Página/12 s’est distingué une nouvelle fois en en faisant sa une et en publiant plusieurs articles : dans les deux premières pages intérieures, tout parle de la Dictature militaire, y compris la nécrologie ultra-critique du disparu.

Pendant la dictature militaire des années 1976-1983, Carlos Blaquier a en effet collaboré avec les autorités inconstitutionnelles. Son rôle exact n’a jamais été tiré au clair mais en 2012, il avait été mis en cause par un juge d’instruction pour une série d’arrestations illégales dans la province de Jujuy, comme par hasard là où Ledesma possèdait et exploitzit déjà d’immenses vergers d’agrumes. Le large carnet mondain, l’entregent certain de l’homme d’affaires et le fort penchant à droite de la haute magristrature argentine avaient permis à sa défense de faire traîner l’instruction pendant huit ans au bout desquels la Cour de Cassation prononça un non-lieu motivé non pas par l’absence de charges (ce qui aurait été légitime) mais par le grand âge de l’inculpé : les juges ont estimé qu’il n’était pas en état de supporter un procès.

Au regard de la justice, il est donc mort innocent et n’a jamais fait un seul jour de prison. Aussi l’hommage chaleureux que lui a rendu Mauricio Macri sur les réseaux sociaux met-il la gauche et les militants des Droits de l’Homme en grand émoi alors que l’année électorale atteint sa vitesse de croisière et peut-être fait-il de même chez de nombreuses personnes étrangères à cette appartenance idéologique. Macri, dont on ignore encore s’il se présentera pour un nouveau mandat présidentiel, a toujours cultivé une grande ambiguité sur cette période de l’histoire du pays et sa réaction aujourd’hui en offre une preuve supplémentaire, dont tout le monde aurait pu se passer.

Il faut noter que le groupe Ledesma quant à lui reste muet sur son site Internet sur le décès du patriarche.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 sur la mort de Blaquier
lire l’article de Página/12 sur les condoléances de Macri à la famille et son éloge funèbre
lire l’entrefilet de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación