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Etrange statue avec un cheval qui ressemble à Jolly Jumper quand il est épuisé ! Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
A San Carlos de Bariloche, la
plus importante station de ski d’Argentine et d’Amérique du Sud,
une statue équestre du général et président Julio Argentino Roca
(1843-1914) orne la place de la mairie (centro cívico) depuis
1941 (photo de une ci-dessus).
Son installation à cet endroit a
couronné la construction commencée en 1940 de cette place aux
allures helvétiques. A cette époque, l’Argentine vivait sous l’un
de ces gouvernements putschistes d’extrême-droite qui s’étaient
succédé à Buenos Aires depuis le premier coup d’État de la
période constitutionnelle, en septembre 1930. L’homme qui était
ainsi honoré était le conquérant blanc, d’ascendance européenne,
de la Patagonie, au milieu de laquelle se trouve la station
montagnarde habitée depuis le début du 19e siècle par
une importante colonie suisse et germanophone (Allemagne et
Autriche). Ce pourquoi après 1945 Bariloche est connue pour avoir
facilement accueilli de trop nombreux criminels nazis qui avaient fui
l’Europe et y vivaient officiellement sous une fausse identité,
tout en étant parfois connus sous leur véritable nom.
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"Triste Argentine de la razzia indienne", dit le gros titre qui ne cache pas son mépris pour les peuples premiers Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Autrement dit, cette statue sent
le soufre puisque la conquête de Roca, passée dans l’histoire
sous le nom de « Conquista del Desierto », a été
l’occasion d’un véritable génocide du peuple mapuche qui vivait
sur ces terres australes (pas si désertes que ça), sur lesquelles
le voisin chilien avait des vues depuis le milieu du 19e
siècle. Le risque que le Chili s’empare de ce vaste territoire
avait précipité l’opération militaire ordonnée depuis Buenos
Aires et celle-ci fut sans pitié pour ceux des indigènes, nombreux,
qui osèrent lui résister, malgré leur infériorité technologique,
face à l’artillerie et aux armes à feu des envahisseurs.
Il y a quelques semaines, il a
donc été décidé que la statue, qui choque les peuples premiers
toujours présents dans la région, serait retirée de la place de la
mairie pour être replacée dans un parc au milieu d’autres
statues, à l’écart de la bourgade.
Aussi la mise en œuvre ces
jours-ci de cette décision déchaîne les réactions hostiles
surtout à droite, où l’on apprécie beaucoup le personnage, qui a
longtemps figuré sur les coupures de 100 pesos : outre sa prise
de contrôle de la Patagonie, on doit aussi à Roca la loi qui a
établi l’école obligatoire et gratuite, le grand rêve caressé
par un autre personnage polémique, un géant de la vie politique et
culturelle de l’Argentine, Domingo Faustino Sarmiento (1811-1888).
Et qu’est-ce que vous voulez que la gauche dise lorsque la droite
lui sort cet argument ?
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La Nación préfère ne pas mettre l'accent sur l'événement Il n'a droit qu'à une manchette sans photo (en haut à droite) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
L’historiographie de gauche n’a
longtemps retenu du personnage que cette violence inouïe à l’égard
des Amérindiens, violence qui avait généralement été acceptée
par les contemporains d’origine européenne mais qui nous soulève
le cœur cent cinquante ans plus tard. La droite s’efforce
aujourd’hui d’amoindrir l’importance de ce fait dans sa propre
historiographie et insiste sur d’autres aspects : la
concurrence avec le Chili, qu’il fallait bien remettre à sa place
(d’autant que plus tard, on a découvert des gisements de pétrole
dans le territoire ainsi conquis), et la sacro-sainte école.
Curieusement, Clarín publie aujourd’hui dans son édition
imprimée deux commentaires de deux historiens officiellement
opposés, l’un classé à droite, l’autre (Pacho O’Donnell)
furieusement péroniste de gauche. Pourtant les deux éditos se
rejoignent peu ou prou, les deux auteurs soutenant qu’il est
important de ne pas projeter nos valeurs sur le passé si l’on veut
le comprendre. Bref, ces cris d’orfraie n’ont pas lieu d’être,
c’est eux qui le disent (quel progrès !) et ce qui compte,
c’est de contextualiser cette statue.
Une statue qui va tout de même
être remplacée sur la place de la mairie par un monument en
l’honneur des Mères et des Grands-mères de la Place de Mai. Des
associations militantes classées à gauche toute. Derrière le geste, il y a
donc bien une intention partisane et l’envie de faire tourner en
bourrique les gens de droite. Et c’est plutôt réussi si l’on en
croit les unes des journaux !
© Denise Anne Clavilier
Pour aller plus loin :
lire l’article
de La Nación
Comme si souvent, le site de La
Prensa ne propose pas l’article annoncé sur sa une du jour.
Ajout du 28 juillet 2023 :
lire
cet
article à la une de Página/12
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"Roca, de nouveau en campagne", dit le gros titre ce matin Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
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La Prensa, quant à elle, renouvelle l'expression de son insondable mépris avec ce titre secondaire : "Le coin des gens sensés : Roca sera toujours au centre de la Patrie" Cliquez sur l'image pour une haute résolution avec photo couleur de la statue |
Mise à jour du 3 août
2023 :
lire cet
article de Clarín
sur la décision judiciaire en
référé qui suspend à
titre conservatoire l’exécution de l’arrêté municipal
disposant le retrait de la statue. La guerre semble bel et bien déclarée.
Mise à jour du 4 août 2023 :