Depuis
deux ans, l'Argentine tout entière a récupéré
les deux jours fériés du Lundi et du Mardi gras. Depuis
hier samedi, Buenos Aires (et d'autres villes argentines) sont
entrées dans la phase culminante des fêtes de carnaval
selon le schéma traditionnel qu'avaient voulu faire
disparaître les brutes galonnées de la Dictature des
années 1976-1983 en rendant ouvrés ces deux jours traditionnellement fériés. En septembre 2010, l'actuel gouvernement leur a rendu leur
caractère festif (qu'ils ont aussi soit dit en passant dans un certain nombre de départements d'outre-mer français, en particulier en Amérique).
Pour
la deuxième année consécutive, le quotidien
Página/12 fête donc dans son supplément culturel
la tradition populaire retrouvée et la douce folie qui marque
cette fête du renversement des valeurs. C'est un aspect très
important sur un continent qui a été très marqué
depuis l'arrivée des trois caravelles de Christophe Colomb par
le caractère opprimant des gouvernements qui se sont succédés
dans ces régions devenus des pays indépendants trois
siècles plus tard.
Sous
l'Ancien Régime, le carnaval était un moment où
l'ordre social était brièvement oublié au point
qu'on y perdait quelque peu le sens de la mesure et de la dignité
des personnes, toutes conditions sociales confondues, comme en
témoigne la Gaceta de Buenos Aires de l'époque
révolutionnaire qui s'étonne que la folie continue à
s'emparer de la ville alors que le pays est devenu indépendant
et qu'il n'est plus sous le pouvoir despotique d'un tyran lointain.
C'était aussi l'un des rares moments où les esclaves
africains avaient la licence de s'amuser et en profitaient pour
renouer avec leurs rites ancestraux sous couvert de danse et de
déguisements. Cette éphémère liberté,
toute relative, a ainsi donné naissance au candombe, dont l'un
des développement ultérieurs n'est autre que le tango
de la Guardia Vieja (1). Après la révolution et
l'indépendance, l'Argentine a connu plus de gouvernements
despotiques que de régimes respectant les droits de l'homme,
traduits en lois par l'Assemblée de l'An XIII dont on fêtait
la semaine dernière le bicentenaire (voir mon article du 31 janvier 2013), un épisode révolutionnaire qui fut si
rapidement relégué au magasin des accessoires par les
dirigeants de la nouvelle république américaine. Le
dernier avatar du carnaval aura donc été la dernière
dictature militaire qui a voulu détruire pour toujours cette
occasion d'expression populaire et de revendication sociale et
politique qui est toujours le propre du carnaval en Amérique
du Sud (contrairement à l'image très exotique, légère
et grivoise que nous en faisons, nous autres, en Europe).
D'où
la très belle une qu'hier Página/12 a offerte à
son supplément culturel.
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Página/12 sur le programme des quatre jours.
(1)
Voir d'ici quelques semaines la version française de l'essai
de Juan Carlos Cáceres, Tango Negro, qui doit sortir aux
Editions du Jasmin, traduit et commenté par mes soins. Voir
également l'interview de Juan Carlos Cáceres dans
Página/12 à laquelle j'avais fait écho le 26 juin 2010 dans les colonnes de Barrio de Tango.