jeudi 28 février 2013

Un thème de tout l'été : la démocratisation de la Justice [Actu]

Une du 14 janvier 2013


Tout au long de l'été, Página/12 a entretenu ses lecteurs d'une préoccupation majeure pour la démocratie en Argentine : l'adaptation de l'appareil judiciaire aux requis des droits de l'homme, ce qui est loin d'être une affaire entendue. Avec la lutte contre l'inflation, contre la corruption et contre les violences policières (aux Etats-Unis aussi, les flics ont la gâchette facile), l'adéquation des services diplomatiques aux nécessités d'un Etat moderne sur une planète mondialisée, la démocratisation de la justice est une priorité en Argentine et depuis son accession à la présidence de la Nation en décembre 2007, Cristina Fernández de Kirchner n'a pas cessé de répéter qu'elle voulait la réformer pour en faire un véritable outil de la démocratie. Or la Justice argentine traîne avec elle un passif particulièrement antidémocratique.

Tout d'abord, très ancrées dans toutes ses institutions, elle a des habitudes de corruption variées en formes et en degrés, comme le reste de l'appareil d'Etat, habitudes qui ont été presque institutionnalisées à partir des années 1850-1860, après la chute de Juan Manuel de Rosas (1793-1877), qui avait de son côté fait régner la terreur sur la province la plus importante du point de vue démographique, celle de Buenos Aires, qui incluait encore la capitale elle-même, de telle sorte qu'une bonne partie de la population était, au sortir de cette dictature, mal armée pour défendre les principes légaux contre la puissante vague de corruption, en sens inverse, qu'apportaient les nouveaux maîtres du pays.
Ensuite parce que les juges et une bonne partie des auxiliaires de justice (à commencer par les avocats) sont très majoritairement issus des classes supérieures de la société ou de classes immédiatement inférieures qui leur sont intimement inféodées par un système d'intérêts concordants ou de clientélisme qui remonte à plusieurs générations. Cela donne un recrutement endogène et des fils qui imitent leurs pères, de génération en génération, reproduisant et solidifiant les mauvaises habitudes...
Enfin, la tradition judiciaire argentine plonge ses racines culturelles dans le droit romain, écrit et légiférant, puisqu'elle est l'héritière de la tradition espagnole, alors que la Constitution de 1853 (la première qui soit entrée en vigueur en Argentine et qui n'a subi que quelques mises à jour jusqu'à maintenant) a pris pour modèle, sur bien des points, la constitution typiquement anglo-saxonne des Etats-Unis, fondée quant à elle sur le droit coutumier, qui évolue à travers la jurisprudence (donc par le fait du juge) beaucoup plus qu'à travers la formulation de lois nouvelles (fait du parlementaire), lesquelles viennent s'empiler sur des lois anciennes, qui ne sont pas toujours abrogées à temps (un revers de la médaille du droit romain, que l'on connaît bien en France). De telle sorte que les institutions elles-mêmes (de type anglo-saxon) ne correspondent pas à la réalité des mœurs politiques et culturelles (de type latin) et rendent la Justice aussi inopérante qu'incompréhensible pour le commun des mortels.
A cela s'ajoutent l'inutile complexité des lois et des règles de procédure et leur caractère parfois incohérent, voire franchement contradictoire, autre tradition élaborée dans la seconde partie du XIXe siècle pour entraver la fluidité du système et protéger ainsi les intérêts des classes supérieures qui étaient alors occupées à se constituer en oligarchie, réalité socio-politique très influente tout au long du XXe siècle et qui pèse encore aujourd'hui de tout son poids sur l'ensemble de la vie politique du pays : dans les années 1860-1880, cette petite classe sociale (en effectif) s'est approprié les richesses du pays, notamment les terres inhabitées ou encore occupées par des Indiens, à l'aide de lois scélérates, qui ont assuré son pouvoir politique en tant que groupe social.

En Europe, tout au long du Moyen-Age, nos pays se sont dotés d'une noblesse très puissante puis la monarchie absolue a mis un terme à cette puissance privée en imposant à l'aristocratie (et à l'Eglise), de force ou par ruse, selon les lieux et les coutumes locales, de se subordonner à l'autorité d'un Etat, qui lui-même évolua dans le temps jusqu'à devoir faire place, non sans violence, à l'Etat démocratique. Or, du fait de son histoire, l'Argentine, comme tout le reste du sous-continent, a fait et de toute évidence fera bel et bien l'économie de cette étape fondamentale que fut la monarchie absolue (qui s'est tout de même étalée sur deux bons siècles chez nous). Cela ne semble d'ailleurs pas lui faciliter l'appropriation du fonctionnement démocratique.

Une du 20 janvier 2013

La démocratisation de la Justice est donc un enjeu des plus complexes, qui mêle des antagonismes sociaux, politiques, idéologiques, culturels. Bref, cela se présente comme un véritable sac de nœuds, un peu comme la réforme du code du travail en France, où il est très difficile d'obtenir qu'un acteur fasse le premier pas sans que les autres lui tombent dessus à bras raccourcis...

Et ce sont ces enjeux complexes que les articles successifs tout au long de l'été ont cherché à exposer grâce aux interventions de juristes de très haut niveau, tous bien entendu favorables à la réforme de la Justice (il est sûr que les magistrats hostiles à cette réforme n'ont pas d'arguments pour expliquer le décalage actuel entre les pratiques institutionnelles et les requis des droits de l'homme !).

Une du 26 février 2013

Très occupée par ailleurs, comme tous les hivers septentrionaux, à préparer l'année qui vient, en l'occurrence en travaillant sur les épreuves de Tango Negro, mon prochain livre co-signé avec Juan Carlos Cáceres, sur le manuscrit d'une anthologie consacrée à San Martín et sur la mise en route d'un site internet personnel, je n'ai pas pu vous tenir au courant comme je l'aurais aimé dans le détail de ces controverses fécondes mais je ne voulais pas passer au mois de mars sans vous avoir au moins renvoyés à la lecture des principaux articles concernés :

Lire l'article du 14 janvier 2013 avec une interview de Raúl Zaffaroni, une grosse pointure de la Cour Suprême, personnalité très médiatique et seul juge de cette institution à appuyer de tout son poids en faveur d'une réforme en profondeur.
Lire l'article du 20 janvier 2013Stella Maris Martínez, médiatrice nationale, donne son interprétation des complexités procédurales qui permettent aux décisions de justice de rester inefficaces presque à l'infini
Lire le billet d'opinion du 22 janvier 2013 de l'avocate et parlementaire Claudia Neira sur les liens entre pouvoir judiciaire, démocratie et souveraineté nationale
Lire l'article du 22 janvier 2013 sur le constitutionnalisme populaire par Guido Risso, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Buenos Aires, sur le même thème
et enfin, l'article du 26 février 2013 sur le mouvement Justicia Legitima qui mène depuis l'intérieur de la magistrature le combat militant pour une réforme institutionnelle en appui au gouvernement en place.