lundi 28 octobre 2013

Lendemain de scrutins et gueule d'urne [Actu]

La presse argentine interprète de manières diverses et variées les résultats des scrutins de mi-mandat qui se sont tenus hier pour renouveler la moitié de la Chambre des députés nationale, le tiers du Sénat national et diverses proportions des chambres législatives des Provinces.

La Prensa se fait fleur bleue avec ce baiser passionné entre Massa et sa femme !

Au niveau national, l'actuelle majorité, El Frente para la Victoria (FpV) de sa désignation électorale, conserve la majorité dans les deux chambres du Congrès. Le FpV obtient le plus fort pourcentage de voix exprimées, sans atteindre les 50% (32,68%, soit 48 des 147 sièges à pourvoir à la Chambre des Députés et 37,75%, soit 15 des 24 sièges à pourvoir au Sénat). Le fait que le FpV n'atteigne pas la moitié des suffrages n'a rien d'étonnant dans ces circonstances. La personnalité du candidat joue toujours un grand rôle dans la manière dont l'électeur se détermine en Argentine (et ailleurs Amérique du Sud) et de plus, ces votes interviennent à mi-mandat, à un moment où le citoyen se sent plus libre d'exprimer un choix personnel que lorsqu'il choisit le chef de l'Etat, enjeu est plus massif, moins dilué (1).
Au Congrès, l'opposition restera éclatée en une multitude de familles politiques (7 chez les députés et 4 chez les sénateurs) (2).

Même titre ou peu sans faut entre La Prensa et La Nación
Ici, Massa et sa femme fêtant la victoire dans la Province de Buenos Aires en haut
et Mauricio Macri dansant la bamboula avec sa seconde, Michetti, en fauteuil roulant, en bas !

Au niveau provincial, on voit se creuser des écarts. Dans quatre Provinces et dans la Ville Autonome de Buenos Aires, ce sont des partis de l'opposition qui arrivent en tête des voix exprimées : à Córdoba, Mendoza (où le radical Julio Cobos sort de sa traversée du désert après son piteux mandat de vice-président de Cristina Fernández de Kirchner entre 2008 et 2011), dans la Province de Buenos Aires (où Sergio Massa, ancien premier ministre de Cristina et brillant maire de Tigre, se sent pousser des ailes au point d'annoncer qu'il vise désormais la Casa Rosada) (3), la Ville Autonome de Buenos Aires (où le PRO remporte le plus de voix et où Macri déclare une nouvelle fois vouloir briguer la Présidence de la Nation – il avait déjà fait le paon de la même manière la dernière fois avant de se dégonfler piteusement) et la Province de Santa Fe qui renoue avec son paisible ex-Gouverneur, Hermés Binner, un socialiste aux mœurs très démocratiques mais qui a déjà échoué à plusieurs reprises au niveau national. Comme les médias francophones d'Europe s'informent, exclusivement semble-t-il, en lisant Clarín et La Nación, ils nous affirment depuis ce matin que c'est le début de la fin pour Cristina (4)...

Pour ma part, je trouve que c'est aller bien vite en besogne. Les Provinces qui ont basculé l'ont fait en élisant des personnalités locales, bien enracinées, mais qui, jusqu'à présent en tout cas, n'ont jamais pu s'installer au niveau national. Et quand j'entends s'émerveiller que Massa ait triomphé alors que son parti n'a que six mois d'existence, ça m'amuse. Massa est depuis très longtemps une personnalité flamboyante de la Province de Buenos Aires et c'est grâce à cette Province et uniquement grâce à elle qu'il a fait son carton. Cela n'a donc rien d'une prouesse électorale soudaine et miraculeuse ! Si le Frente para la Victoria se trouvait bientôt un autre champion, aussi charismatique que Cristina, mathématiquement il n'est donc pas interdit de penser qu'il pourrait se maintenir au pouvoir. Le fait est que, pour l'heure, aucun candidat de cette envergure ne semble exister dans ses rangs. Or il lui faudrait surgir dans les deux ans qui restent à courir, ce qui est peu. Assez invraisemblable par conséquent vu d'Europe mais en Argentine, on ne peut jurer de rien.
Malgré son échec d'hier et celui, cuisant et particulièrement injuste, d'il y a deux ans quand il avait visé la ville de Buenos Aires et qu'il a échoué à la ravir à Macri (voir mon article du 1er août 2011), le sénateur Daniel Filmus, qui n'a pas pu se faire réélire cette fois-ci (c'est Solanas qui lui a soufflé son siège), pourrait être celui-là, à condition qu'il en ait le désir bien chevillé au corps (ce n'est pas dit), qu'il sache faire bon usage de son temps libre après le 10 décembre et que Cristina, si elle a l'intelligence de préparer sa succession, ait la sagesse de lui confier une mission visible, utile, prestigieuse et pas trop partisane.

Galerie de portraits pour Página/12, le seul quotidien national acquis au FpV

A la Legislatura de Buenos Aires, le dépouillement n'est toujours pas terminée mais il semblerait que la situation antérieure se maintienne presque à l'identique. Le PRO de Mauricio Macri reste minoritaire en sièges, ce qui ne l'empêche pas d'être toujours le groupe le plus important au sein de l'hémicycle portègne. Le FpV, qui arrive en troisième position dans ce scrutin, resterait cependant le premier groupe de l'opposition qui, dans son ensemble, continue d'être dispersée sur plusieurs partis qui ne construisent guère que des alliances ponctuelles en fonction de l'ordre du jour des séances. Deux fortes personnalités quittent l'assemblée : Pino Solanas, élu sénateur national, grand cinéaste mais piètre politique, à l'égocentrisme démesuré, et Juan Cabandié, un petit-fils retrouvé par Abuelas de Plaza de Mayo, élu député national pour le FpV malgré un récent incident qui sentait beaucoup le coup monté in extremis pour le discréditer (une vidéo qui pouvait le faire passer pour un automobiliste peu respectueux des forces de l'ordre). Ces deux départs pourraient transformer les équilibres politiques à l'intérieur de la chambre portègne où les alliances ne se font pas que par discipline de parti (laquelle est assez fragile) mais aussi sur le charisme, plus ou moins fort, de quelques ténors capables d'emporter l'adhésion d'un certain nombre d'autres élus (Cabandié) ou de faire l'unanimité contre soi ou peu s'en faut (Solanas).

Impressionnante, non ?, cette similitude des photos sur les unes des quotidiens de droite

Pour en savoir plus :
consulter la page de l'agence Télam consacrée aux résultats.
Vous pouvez également accéder aux différents journaux grâce aux liens permanents dans la rubrique Actu de la Colonne de droite de ce blog.


(1) Cette versatilité du corps électoral est bien visible dans la Province de Buenos Aires où les gens ont voté différemment le même jour pour l'une et l'autre chambre du congrès provincial. Dans l'une, c'est le FpV qui arrive en tête, dans l'autre, c'est le Frente Renovador, la formation ad hoc de Sergio Massa ! C'est une manière de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et de créer un contre-pouvoir face au gouverneur Daniel Scioli, ex-vice-président de Néstor Kirchner, dont on célébrait hier le troisième anniversaire du décès (voir mon article du 27 octobre 2010).
(2) Mais avec seulement de 1 à 4 élus pour chacune de ces quatre familles politiques. Autrement dit, chacun n'a que très peu de poids. Et quand on sait la difficulté d'établir des alliances durables et solides entre ces partis, on voit que le succès relatif du FpV l'assure tout de même d'une bonne fidélité du Congrès pour la suite du mandat présidentiel.
(3) Il faudra pour cela qu'il se fasse connaître dans tout le pays. Ce n'est pas fait mais c'est faisable.
(4) De toute manière, aux termes de la Constitution, c'est son dernier mandat avant de passer la main et le cas échéant de retenter sa chance dans six ans.