La
presse argentine interprète de manières diverses et variées les résultats des scrutins de mi-mandat qui se sont tenus hier pour
renouveler la moitié de la Chambre des députés
nationale, le tiers du Sénat national et diverses proportions
des chambres législatives des Provinces.
La Prensa se fait fleur bleue avec ce baiser passionné entre Massa et sa femme ! |
Au
niveau national, l'actuelle majorité, El Frente para la
Victoria (FpV) de sa désignation électorale, conserve la majorité
dans les deux chambres du Congrès. Le FpV obtient le plus fort
pourcentage de voix exprimées, sans atteindre les 50% (32,68%,
soit 48 des 147 sièges à pourvoir à la Chambre
des Députés et 37,75%, soit 15 des 24 sièges à
pourvoir au Sénat). Le fait que le FpV n'atteigne pas la
moitié des suffrages n'a rien d'étonnant dans ces
circonstances. La personnalité du candidat
joue toujours un grand rôle dans la manière dont
l'électeur se détermine en Argentine (et ailleurs Amérique du Sud) et de plus, ces votes
interviennent à mi-mandat, à un moment où
le citoyen se sent plus libre d'exprimer un choix personnel que
lorsqu'il choisit le chef de l'Etat, enjeu est plus massif, moins
dilué (1).
Au
Congrès, l'opposition restera éclatée
en une multitude de familles politiques (7 chez les députés
et 4 chez les sénateurs) (2).
Au
niveau provincial, on voit se creuser des écarts. Dans quatre
Provinces et dans la Ville Autonome de Buenos Aires, ce sont des partis de
l'opposition qui arrivent en tête des voix exprimées : à
Córdoba, Mendoza (où le radical Julio Cobos sort de sa
traversée du désert après son piteux mandat de vice-président de Cristina Fernández de Kirchner entre 2008 et 2011), dans la Province de Buenos Aires
(où Sergio Massa, ancien premier ministre de Cristina et
brillant maire de Tigre, se sent pousser des ailes au point
d'annoncer qu'il vise désormais la Casa Rosada) (3), la Ville
Autonome de Buenos Aires (où le PRO remporte le plus de voix
et où Macri déclare une nouvelle fois vouloir briguer
la Présidence de la Nation – il avait déjà
fait le paon de la même manière la dernière fois
avant de se dégonfler piteusement) et la Province de Santa Fe
qui renoue avec son paisible ex-Gouverneur, Hermés Binner, un
socialiste aux mœurs très
démocratiques mais qui a déjà échoué
à plusieurs reprises au niveau national. Comme les médias
francophones d'Europe s'informent, exclusivement semble-t-il, en
lisant Clarín et La Nación, ils nous affirment depuis
ce matin que c'est le début de la fin pour Cristina (4)...
Pour
ma part, je trouve que c'est aller bien vite en besogne. Les
Provinces qui ont basculé l'ont fait en élisant des
personnalités locales, bien enracinées, mais qui,
jusqu'à présent en tout cas, n'ont jamais pu
s'installer au niveau national. Et quand j'entends s'émerveiller que Massa ait triomphé alors que son parti n'a que six mois d'existence, ça m'amuse. Massa est depuis très longtemps une personnalité
flamboyante de la Province de Buenos Aires et c'est grâce à cette
Province et uniquement grâce à elle qu'il a fait son carton. Cela n'a
donc rien d'une prouesse électorale soudaine et miraculeuse ! Si le
Frente para la Victoria se trouvait bientôt un autre champion,
aussi charismatique que Cristina, mathématiquement il n'est donc pas interdit de penser qu'il pourrait se maintenir au pouvoir. Le
fait est que, pour l'heure, aucun candidat de cette envergure ne
semble exister dans ses rangs. Or il lui faudrait surgir dans les deux
ans qui restent à courir, ce qui est peu. Assez invraisemblable par conséquent vu d'Europe mais
en Argentine, on ne peut jurer de rien.
Malgré
son échec d'hier et celui, cuisant et particulièrement
injuste, d'il y a deux ans quand il avait visé la ville de
Buenos Aires et qu'il a échoué à la ravir à
Macri (voir mon article du 1er août 2011), le
sénateur Daniel Filmus, qui n'a pas pu se faire réélire
cette fois-ci (c'est Solanas qui lui a soufflé son siège),
pourrait être celui-là, à condition qu'il en ait
le désir bien chevillé au corps (ce n'est pas dit),
qu'il sache faire bon usage de son temps libre après le 10
décembre et que Cristina, si elle a l'intelligence de préparer
sa succession, ait la sagesse de lui confier une mission visible,
utile, prestigieuse et pas trop partisane.
Galerie de portraits pour Página/12, le seul quotidien national acquis au FpV |
A la
Legislatura de Buenos Aires, le dépouillement n'est toujours
pas terminée mais il semblerait que la situation antérieure
se maintienne presque à l'identique. Le PRO de Mauricio Macri reste
minoritaire en sièges, ce qui ne l'empêche pas d'être toujours le groupe le plus important au sein de l'hémicycle
portègne. Le FpV, qui arrive en troisième position dans ce scrutin, resterait cependant le premier groupe de l'opposition qui,
dans son ensemble, continue d'être dispersée sur
plusieurs partis qui ne construisent guère que des alliances
ponctuelles en fonction de l'ordre du jour des séances. Deux
fortes personnalités quittent l'assemblée :
Pino Solanas, élu sénateur national, grand cinéaste
mais piètre politique, à l'égocentrisme
démesuré, et Juan Cabandié, un petit-fils
retrouvé par Abuelas de Plaza de Mayo, élu député
national pour le FpV malgré un récent incident qui sentait beaucoup le coup monté in extremis pour le discréditer (une vidéo
qui pouvait le faire passer pour un automobiliste peu respectueux des
forces de l'ordre). Ces deux départs pourraient transformer
les équilibres politiques à l'intérieur de la
chambre portègne où les alliances ne se font pas que
par discipline de parti (laquelle est assez fragile) mais aussi sur le
charisme, plus ou moins fort, de quelques ténors capables
d'emporter l'adhésion d'un certain nombre d'autres élus (Cabandié)
ou de faire l'unanimité contre soi ou peu s'en faut (Solanas).
Impressionnante, non ?, cette similitude des photos sur les unes des quotidiens de droite |
Pour
en savoir plus :
consulter
la page de l'agence Télam consacrée aux résultats.
Vous
pouvez également accéder aux différents journaux
grâce aux liens permanents dans la rubrique Actu de la Colonne
de droite de ce blog.
(1)
Cette versatilité du corps électoral est bien visible
dans la Province de Buenos Aires où les gens ont
voté différemment le même jour pour l'une et l'autre chambre du
congrès provincial. Dans l'une, c'est le FpV qui arrive en tête,
dans l'autre, c'est le Frente Renovador, la formation ad hoc de Sergio Massa ! C'est une manière de ne pas mettre tous
ses œufs dans le même
panier et de créer un contre-pouvoir face au gouverneur Daniel
Scioli, ex-vice-président de Néstor Kirchner, dont on
célébrait hier le troisième anniversaire du
décès (voir mon article du 27 octobre 2010).
(2)
Mais avec seulement de 1 à 4 élus pour chacune de ces
quatre familles politiques. Autrement dit, chacun n'a que très
peu de poids. Et quand on sait la difficulté d'établir
des alliances durables et solides entre ces partis, on voit que le
succès relatif du FpV l'assure tout de même d'une bonne
fidélité du Congrès pour la suite du mandat
présidentiel.
(3)
Il faudra pour cela qu'il se fasse connaître dans tout le pays.
Ce n'est pas fait mais c'est faisable.
(4)
De toute manière, aux termes de la Constitution, c'est son
dernier mandat avant de passer la main et le cas échéant
de retenter sa chance dans six ans.