La Cour Suprême fédérale argentine hier (photo Télam) |
Promulguée
depuis octobre 2009, la loi sur l'audiovisuel qui avait pour but
d'empêcher la création ou le maintien d'un
quasi-monopole d'un groupe privé dans le monde des médias
nationaux (radio, télévision, presse écrite et
fourniture Internet et câble) ne pouvait pas entrer en
application parce que le groupe Clarín, dont la domination
économique à l'échelle du pays était
clairement visée par cette loi, s'y est opposé en
tirant une à une toutes les ficelles procédurales et
judiciaires et Dieu sait si l'Argentine est championne du monde en
lenteur de la Justice.
La plus belle fête, dit la Une de Página/12, sur fond de Congrès |
Mais
hier, la Cour Suprême s'est enfin prononcée, comme elle
l'avait dit (elle ne voulait le faire qu'après la tenue des
élections législatives de dimanche dernier), et elle
s'est prononcée pour la constitutionnalité de la loi et
son inocuité pour la gestion des entreprises du pays à
six contre un pour un groupe de réclamations et à
quatre contre trois pour les autres demandes (Clarín
prétendait en effet que l'application de la loi mettrait en
danger sa viabilité économique alors qu'elle ne fera
que l'obliger à se défaire d'un certain nombre de ses
activités au profit d'investissements dans d'autres secteurs,
comme ce fut le cas dans les années 80 en France avec le
groupe Hersant).
Quand
Página/12 entonne un chant de victoire, bien naturel car
l'hégémonie médiatique de Clarín entrave
le développement des médias alternatifs, Clarín
affiche ses contradictions en gros titre : dans la même phrase,
la Une annonce que le groupe respecte l'arrêt de la Cour et
pour faire valoir ses droits (que la Cour Suprême dit être
respectés par le nouveau cadre réglementaire) songe à
attaquer la loi devant les tribunaux internationaux. Rien que ça
! Ceci dit, on voit dans le courrier des lecteurs qui s'affiche à
la suite des articles sur le site Internet qu'il y a des commentaires
qui invitent Clarín à suivre l'arrêt de la Cour
et à abandonner sa lutte trop visiblement procédurière
et nettement antidémocratique.
En
fait, le groupe Clarín prétendait que l'intervention de l'Etat
dans l'organisation des médias relevait d'une atteinte à
la liberté d'expression (en fait, Clarín plaide pour le libéralisme sauvage à la Reagan-Thatcher-Bush qui
lui permettrait de multiplier ses profits à l'infini), la Cour
Suprême vient de dire que la régulation d'une activité
économique faisait bel et bien partie des compétences
de l'Etat. Or c'est un grand débat qui traverse toute
l'histoire de l'Argentine depuis l'indépendance : l'Etat
peut-il ou non intervenir dans la distribution des richesses
matérielles pour favoriser la justice sociale et garantir
l'exercice effectif de la liberté d'opinion pour tous. Le Groupe Clarín
va donc jusqu'à prétendre qu'en rendant son arrêt,
la Cour Suprême a voulu tendre la main au Gouvernement (qui
serait d'après lui aux abois, après sa cuisante défaite
de dimanche, dont on a vu qu'elle n'était cuisante que dans
les rêves de l'opposition).
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Clarín (1)
(1)
Force est de constater que malgré ce jeu politico-idéologique
très insidieux que développe le groupe Clarín
depuis des années, contre les aspects de la démocratie
qui gênent la rapacité inouïe des propriétaires
du capital social et notamment la famille du fondateur, Roberto
Noble, le quotidien phare du groupe, Clarín, a dans sa
rédaction de vrais grands journalistes. La difficulté
ici est de séparer le groupe dont le comportement politique
est particulièrement condamnable, notamment lorsqu'il veut
soumettre les institutions du pays à ses intérêts
financiers, et les salariés, qui sont loin d'en être
systématiquement et servilement les complices.